E-commerce et Black Friday : marée noire de colis ?

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Le vendredi 24 novembre 2023, des dizaines de millions de consommateurs se sont rués, comme chaque année, sur les magasins en quête de « bonnes affaires ». Un jour noir pour l’environnement qui porte plutôt bien son nom : le Black Friday. Une catastrophe importée des Etats Unis, où ces scènes d’hystérie collective ont fait 17 morts et 125 blessés entre 2006 et 2021…

Depuis quelques années toutefois, la ruée s’est déplacée des magasins physiques vers les boutiques en ligne. L’e-commerce a facilité l’accès de tout un chacun à des millions d’articles : en quelques clics, vous pouvez commander un article directement à l’autre bout du monde, et fini le pied de grue et les prises de catch pour « remporter » le fameux cuiseur vapeur affiché à -70%…

Ce report pose toutefois question. En effet, le commerce en ligne (ou e-commerce) est de plus en plus pointé du doigt pour ses conséquences tant environnementales que sociales (salaires médiocres, aucune sécurité de l’emploi, cadences de travail infernales, etc.) et économiques (concurrence déloyale aux magasins de proximité).

Début février 2022, ces problématiques ont poussé le président du PS, Paul Magnette, à appeler à un débat sur la place de l’e-commerce en Belgique. D’autres acteurs se battent également contre les dérives du secteur et de ses géants comme Amazon, Alibaba ou, en Belgique, Bol.com. On peut par exemple ici citer la campagne Stop Alibaba – soutenue par Canopea – qui visait à éviter l’extension des activités du géant chinois à l’aéroport de Liège.

Mais l’avènement de l’e-commerce est-il vraiment synonyme de désastre écologique ?

L’e-commerce, un secteur en pleine croissance

L’e-commerce (ou, si l’on veut éviter le « globish », commerce électronique ou commerce en ligne) est une manière d’échanger des biens et des services au moyen d’une interface numérique. On associe souvent l’acheteur à un particulier (un consommateur), que le vendeur soit un professionnel (B2C) ou un particulier (C2C). Cependant, en Belgique, 70% du chiffre d’affaires 2022 de l’e-commerce provenait des entreprises (B2B) et des gouvernements (B2G)1[4]. De plus, lorsque l’on pense e-commerce, on pense souvent à ses géants multinationaux. Toutefois, et bien que les grandes entreprises soient 2 fois plus actives dans la vente par internet que les petites, il n’en reste pas moins qu’1/5 des petites entreprises belges ont également reçu des commandes via un site web, une application ou une place de marché en ligne en 2022. Il existe également de grandes divergences entre produits2. L’e-commerce est donc fondamentalement multiforme.

Cette manière de faire du commerce a explosé ces dernières années : le nombre de Belges ayant commandé au moins une fois sur internet durant les 12 derniers mois a tout bonnement doublé entre 2011 et 2022, passant de 31% à 62%3. A noter ici que, si la pandémie de covid-19 a mis en lumière le secteur, avec une forte augmentation de l’achat de produits, le confinement a aussi réduit les ventes de services, limitant l’impact sur le chiffre d’affaires total du secteur. De plus les choses se sont tassées depuis 2022 et les consommateurs ont plus ou moins repris leurs habitudes. Bien que le secteur reste en forte croissance, l’explosion annoncée de l’e-commerce suite à la crise sanitaire n’a donc pas eu lieu.

Cette modification des comportements d’achats rend ce mode d’échange quasi incontournable pour de nombreuses entreprises si elles veulent rester compétitive et survivre. En la matière, les entreprises belges sont particulièrement dépendantes de l’e-commerce, près de 30% de leur chiffre d’affaires dépendant de celui-ci (contre seulement 17,6% en moyenne dans l’Union Européenne)1.

On entend souvent parler de la concurrence à bas coût issue de plateformes internationales. Si cette concurrence est bien réelle, elle est toutefois à nuancer : en Belgique, la moitié des biens achetés sur internet le sont auprès d’un vendeur belge, et 9/10 d’un vendeur européen4.[8] La question primordiale en termes d’impact environnemental n’est toutefois pas le lieu de domiciliation du vendeur, mais bien davantage le lieu de production des biens vendus… En effet, les principaux impacts environnementaux associé à l’e-commerce sont liés au transport de marchandise. Or, plus un produit fait de kilomètres, plus son empreinte carbone sera forte…

Toutefois, les impacts environnementaux de l’e-commerce diffèrent-ils vraiment des impacts du commerce traditionnel ?

Le transport, point noir de l’e-commerce ?

Comme toute entreprise, les entreprises actives dans l’e-commerce cherchent à minimiser leurs coûts. Or, le transport est une source de coût majeur en logistique. Pour diminuer ce coût, les entreprises vont donc chercher à regrouper (consolider) au maximum le transport de marchandises5. Ainsi les marchandises vont généralement être acheminées (par l’entreprise ou un prestataire de service logistique) vers des entrepôts, où elles vont être regroupées avec d’autres marchandises en vue d’être préparées pour leur distribution. Ces entrepôts (possédés par l’entreprise ou par un tiers) sont généralement situés à proximité des marchés nationaux sur lesquels l’entreprise est active.

Jusque-là, l’e-commerce ne diffère en réalité pas trop du commerce « classique ». La plupart des grands distributeurs possèdent également des centres de distribution pour réassortir leurs magasins, et il arrive d’ailleurs souvent que ceux-ci utilisent ces entrepôts pour préparer et expédier des commandes e-commerce. La grosse différence dans la chaîne logistique entre commerce physique (« brick and mortar ») et en ligne arrive donc au niveau de ces centres de distribution : alors que la marchandise arrive au point de vente physique en palette (ou du moins en quantité importante), elle est expédiée au client e-commerce par colis unitaire, parfois composés d’articles variés. Pour comprendre la différence d’impact entre commerce « classique » et e-commerce, il convient donc d’analyser plus en détail comment les produits arrivent chez le client final.

Ras de marée de camionnettes sur nos villes ?

L’un des impacts les plus visibles associé à l’e-commerce et celui de la multiplication des camionnettes de livraison. Bien que les petits commerces de détail puissent aussi être livrés en camionnette (les plus gros bénéficiant d’une livraison par camion), l’e-commerce change fondamentalement la manière dont les camionnettes se déplacent : alors que les livraisons aux commerces consistent en quelques gros arrêts, les livraisons pour l’e-commerce sont, elles, composées de multiples arrêts fréquents (on parle de « milk runs » en référence aux livreurs de lait).

Cette méthode de livraison spécifique peut avoir de nombreux impacts locaux, tant en termes de congestion (liée par exemple au parking en double file) que de pollution atmosphérique (liée aux gaz d’échappement mais aussi à l’usure plus importante des freins et des pneus). Par exemple, une étude de la VUB a montré que le coût externe (c’est-à-dire pour la société) du transport de marchandise à Bruxelles s’élevait à plus de 50.000€ par jour6.

Il est donc urgent de réduire l’impact du transport de marchandise dans nos villes et villages. La bonne nouvelle pour les villes, c’est que cela est tout à fait faisable. En effet, la BCLF (la fédération des professionnels de la cyclologistique) estime qu’il est possible d’effectuer 33% des livraisons en ville avec des vélos cargos7 en lieu et place de camions et de camionnettes. Quant aux camionnettes restantes peuvent être « rétrofitées » pour rouler à l’électrique. Enfin il est possible, comme nous le verrons ci-dessous, d’améliorer l’efficacité de la livraison, notamment à travers l’utilisation de points d’enlèvement. Toutes ces mesures peuvent permettre de réduire drastiquement les émissions, comme le montre avec succès le projet d’Ecozones développé par BPost, qui a permis de réduire les coûts externes de la livraison en ville de 32%, notamment grâce à une baisse significative des émissions de polluants atmosphériques (CO2 mais aussi NOX et particules fines).

Outre les entreprises de livraisons, les vendeurs peuvent aussi jouer un rôle dans la réduction de l’impact environnemental de la livraison de leurs colis, par exemple en réduisant l’emballage (et donc l’espace vide transporté), ou encore en proposant des emballages réutilisables comme Hipli ou Opopop8.

Il est donc possible pour les entreprises de réduire l’impact de leurs envois. Mais qu’en est-il du consommateur ?

Un colis, Des livraisons

La gestion du « dernier kilomètre », c’est-à-dire la livraison d’un colis à son destinataire, est l’aspect opérationnel le plus complexe de l’e-commerce. Si l’origine et la destination du colis sont invariables, la manière de relier ces deux points peut considérablement faire varier les coûts tant pour l’entreprise que pour la société (impacts environnementaux et sociaux). Il est heureusement possible de réduire les impacts associés au « dernier kilomètre » en adaptant le mode de livraison d’un colis.

Premièrement, il convient d’éviter à tout prix la livraison « express ». En effet, ce mode de livraison en 24 ou 48h ne permet pas au vendeur d’optimiser sa chaîne logistique et de regrouper (consolider) les commandes. Le colis va alors se retrouver dans des camions ou des camionnettes à moitié vides, ce qui va non seulement augmenter le prix mais aussi l’impact environnemental associé à la livraison de ce colis. Ainsi, si le vendeur vous le propose, optez toujours pour l’option de livraison la plus lente : patience est mère de vertu !

Deuxièmement, essayez autant que possible de vous faire livrer en point relai/d’enlèvement (« pick-up point » en anglais). En effet, de nombreuses livraisons échouent du fait d’une absence du destinataire, ce qui augmente inutilement les kilomètres parcourus par le colis. Si vous en avez la possibilité, faites vous livrer en point relai : cela vous permettra de choisir le moment qui vous arrange le mieux pour aller chercher votre colis, et au transporteur de réduire les kilomètres inutiles !

Attention toutefois si vous choisissez cette option : la manière dont vous vous rendez au point relai a un impact non négligeable… Ainsi, si vous devez effectuer un aller-retour en voiture spécifiquement pour aller chercher votre colis, évitez cette option de livraison… Si vous être par contre en capacité d’aller récupérer votre colis à pied, à vélo, ou lors d’un trajet que vous auriez de toute façon effectué (et à condition d’éviter les détours), alors cette option est probablement la plus adaptée. Afin de vous aider dans ce choix, la VUB a développé, en partenariat avec Comeos, un calculateur à destination des boutiques en ligne : Smart Drop. Malheureusement, l’utilisation de ce calculateur ne dépend pour le moment que de la bonne volonté du vendeur.

Enfin, dernier moyen, et non des moindres, pour limiter l’impact de vos livraisons e-commerce : éviter au maximum les retours produits. En effet, de nombreuses entreprises proposent une politique de « retour gratuit ». Toutefois le transport gratuit n’existe pas : en réalité, cela signifie que l’entreprise prend à sa charge les frais de retour (qui peuvent être répercutés dans le prix d’achat) … et que l’environnement doit supporter le poids d’un trajet inutile. En plus de cela, et malgré le retour à la vente de nombreux produits (souvent sous le label « reconditionné »), certains produits renvoyés finissent « à la casse »… Un gigantesque gâchis environnemental. Face à cela, l’Union Européenne (qui est à l’origine de l’obligation pour les commerçants d’accepter les retours produits) vient de promulguer tout récemment une interdiction de détruire les invendus… un premier pas tout à fait insuffisant : l’interdiction ne concerne que les textiles et les chaussures, ne sera applicable que dans 2 ans pour les grandes entreprises, 6 ans pour les moyennes… et jamais pour les petites. Face au fléau des retours massifs, une seule solution : l’interdiction du « retour gratuit ». Charge alors au consommateur de payer le coût réel du transport associé au retour des articles commandés avec la mauvaise taille ou simplement trop vite.

Ainsi, il est donc possible pour le consommateur de réduire l’empreinte de ses achats par internet en choisissant un mode de livraison adapté. Et de nombreux consommateurs sont prêts à sauter le pas, puisque 60% des Belges souhaiteraient recevoir leurs colis de manière durable. Toutefois, toutes les boutiques en ligne ne laissent pas le choix sur le mode de livraison. Pour remédier à cela, la Ministre des Télécommunications et de la Poste, Petra De Sutter (Groen) souhaite imposer aux entreprises de proposer au minimum deux options de livraison. Une initiative bienvenue, mais à l’impact malheureusement limité car (1) les opérations de livraison restent relativement opaques (ce que déplore d’ailleurs la Ministre elle-même), ce qui limite la capacité des consommateurs à évaluer l’impact de leurs choix ; (2) rien n’indique que les deux options proposées seront effectivement celles minimisant l’impact de la livraison ; et (3) des exceptions à la règle sont envisagées, notamment pour les entreprises de moins de 3 ans…

A qui la faute : e-commerce, commerce international ou surconsommation ?

En conclusion, il est très difficile de savoir si l’e-commerce a plus ou moins d’impact que le commerce physique en raison de la diversité de ses formes9. L’e-commerce n’est, au final, qu’un moyen pour une entreprise d’augmenter sa zone de chalandise et donc d’atteindre de nouveaux clients. Le modèle d’affaire des géants du secteur (type Amazon ou Alibaba) n’est qu’un modèle parmi tant d’autres : détaillants historiques qui diversifient leurs canaux de distribution, petites marques qui décident de faire de la vente directe, boutiques en ligne spécialisées en produits locaux et de saison, etc.

Quel que soit le modèle commercial, une chose est cependant très claire : plus un produit voyage, plus son impact sur l’environnement sera important. Acheter des produits industriels fabriqués en Chine chez Action ou Trafic aura vraisemblablement plus d’impact sur l’environnement que d’acheter des objets artisanaux, fabriqués en Belgique, sur internet… Ainsi, le cœur du problème environnemental ne vient pas de l’e-commerce en lui-même10, mais plutôt du commerce international et de ses excès. Comme l’a souligné Canopea lors de sa récente campagne « Acheter ? Oui mais local alors ! », le meilleur moyen de réduire son empreinte carbone est d’acheter des produits fabriqués localement. Produits qui peuvent aussi se vendre sur internet11. Ainsi, si vous avez besoin d’acheter quelque chose, privilégiez les circuits courts et les productions locales, quel que soit le canal de vente.

Pour en revenir à l’introduction de cet article, il existe une option encore plus écologique que l’achat de produits locaux : le non-achat. En effet, le Black Friday pousse à la surconsommation en nous incitant à acheter des objets dont nous n’avons pas l’utilité au moyen de processus marketing jouant sur des leviers psychologiques. Avant toute décision d’achat, la mise en place d’un processus de choix rationnel est donc nécessaire pour casser les pulsions irrationnelles induites dans notre cerveau par le biais du marketing. Pour cela, il n’est besoin que d’une chose : un BISOU ! La méthode BISOU est une méthode qui permet de se poser les bonnes questions lors d’un achat. Elle nous permet de vérifier si nous avons vraiment urgemment besoin de cliquer sur ce bouton. Car derrière ce clic, il y a des personnes qui travaillent pour produire, mais également transporter, l’objet en photo.

Finalement, le vrai « pouvoir d’achat », c’est aussi le pouvoir de ne pas acheter et, si absolument nécessaire, de n’acheter que des biens et services respectueux des hommes et du vivant… Alors, lors des prochaines soldes (du 10 janvier au 6 février 2024), faites la grève de la carte, du cash et du clic !

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  1. SPF Economie. (04/12/2023). Les entreprises et le commerce électronique.
  2. Comeos. (2023). e-commerce survey.
  3. Eurostat. (19/09/2023). Internet purchases by individuals (2020 onwards). https://europa.eu/!3YckXb ; Eurostat. (19/09/2023). Internet purchases by individuals (until 2019). https://europa.eu/!Tkvnt4
  4. Eurostat. (19/09/23). Internet purchases – origin of sellers (2020 onwards). https://europa.eu/!hrDHvN
  5. Ce constat est toutefois à tempérer dans certains cas. En effet, certaines entreprises cherchent surtout à optimiser le rapport coût du transport/coût du stockage en jouant sur les temps de livraison : plus le transport est rapide, plus il est cher mais moins il est nécessaire de prévoir du stock. Or, la gestion d’inventaire (stock) représente également un coût, coût qui dépend de la valeur du foncier. C’est notamment le principe de la méthode du Just-in-Time (JIT), beaucoup utilisé dans l’industrie manufacturière. En conclusion, la minimisation des coûts opérationnels est une équation complexe, que nous avons ici grandement simplifiée.
  6. Mommens, K. et al. (2019). A dynamic approach to measure the impact of freight transport on air quality in cities. Journal of Cleaner Production, 240.
  7. BCLF. (2023). The Yearly Cycle Logistics Barometer.
  8. A condition, bien sûr, que l’impact du retour et du nettoyage de ces emballages soit moindre que celui de la production d’un emballage à usage unique…
  9. Buldeo Rai, H., Touami, S. & Dablanc, L. (2023). Not All E‑commerce Emits Equally: Systematic Quantitative Review of Online and Store Purchases’ Carbon Footprint. Environmental Science & Technology, 57(1), 708-718.
  10. Si l’on exclue les problèmes liés à l’empreinte carbone du numérique, qui ne sont pas spécifiques a l’e-commerce.
  11. Le site https://belgische-eshops-belges.be/index.php liste un certain nombre de marques belges vendant leurs produits directement sur internet.