« Acheter moins cher » : voilà sans nul doute le mantra cardinal du consumérisme. Telle une formule sacrée dirigeant nos consciences, un commandement divin guidant nos actes, la quête du « moins cher » semble constituer le déterminant majeur de nos achats, celui qui nous amènera in fine à choisir tel produit ou tel vendeur. Sans jamais vraiment nous préoccuper des implications de ce comportement. Or, derrière nos bonnes affaires il y a toujours un coût facturé par ailleurs ; pour chacun de ces produits ou services dont nous sommes par le bas prix alléchés, il existe une addition plus ou moins cachée, plus ou moins salée.
Même si nous peinons à en tirer et plus encore en appliquer les conclusions qui s’imposeraient, nous savons que les tarifs imbattables de nos fringues et gadgets électroniques résultent de leur production dans des usines délocalisées où le salaire, les horaires et les conditions de travail renvoient à ce qui existaient chez nous au 19ème siècle. Nous avons également conscience mais nous accommodons du fait que notre indispensable smartphone s’avérerait impayable si les minerais et terres rares qu’il contient n’étaient pas extraits au mépris de toutes normes environnementales, dans des mines où la vie humaine n’a de valeur que productive ; ou que les juteuses oranges Made in Spain présentes sur notre table coûterait bien davantage si elles n’étaient pas fruits de l’exploitation de clandestins sous payés. Et qui oserait prétendre ignorer la situation de nos agriculteurs pressurisés par les centrales d’achat de la grande distribution, contraints de vendre lait, viande, fruits ou légumes à perte afin que nous puissions bénéficier de « prix serrés » ou d’une « Promo choc : 1 kilo acheté = 1 kilo offert !!! » ?
Mais à côté de ce qui s’apparente à des évidences, la culture du moins cher recèle des effets autrement plus pernicieux.
Un titre en couverture du magazine « Test Achats » daté de mai 2017 m’a ainsi fait bondir : « Hors frontières – Achetez moins cher » proclamait-il en prélude à un article qui recensait les économies réalisables en s’approvisionnant dans les pays limitrophes (Pays-Bas, France, Allemagne et Luxembourg ) car « pas de doutes, faire ses courses dans nos pays voisins peut être très avantageux ».
Cela est bel et bien, comme disait notre Père qui est au cieux en contemplant son œuvre, si ce n’est que l’exercice faisait fi d’un élément fondamental : le « consommateur » ne peut être réduit à cette seule fonction ; il est également travailleur et citoyen. Et pas sûr que de ces points de vue, l’achat à l’étranger, aussi bon marché soit-il, constitue une pratique à encourager. Les explications avancées aux différences de prix en défaveur de la Belgique méritent en effet que l’on s’y arrête.
Passons rapidement sur le fait que « la petite taille de notre pays nous désavantagerait en matière de prix de gros » et que « le multilinguisme et donc les règles d’étiquetage (qui) compliquent l’arrivée de certains produits chez nous » : ces éléments sont ce qu’ils sont et ne pourront pas être changés. D’autres, par contre, relèvent de choix et soulèvent des enjeux qui n’ont rien d’anodins.
« Une première explication est le coût du travail plus élevé. Dans notre pays, beaucoup d’employés travaillent à temps plein et font carrière dans le secteur de la distribution (entraînant des coûts supplémentaires liés à l’ancienneté). Aux Pays-Bas, par exemple, un tiers de ces emplois sont occupés par des étudiants qui travaillent de manière flexible. »
Le Monsieur Dupont consommateur est-il prêt à remettre en cause le statut voire l’emploi du Monsieur Dupont travailleur pour permettre une baisse des prix ?
Deuxième élément explicatif : « Des taux de TVA, des droits d’accises et des écotaxes plus élevés que dans les pays voisins sont également en cause. » Sachant que ces taxes contribuent aux finances de l’Etat, acheter à l’étranger revient donc à priver celui-ci de rentrées… Mais il y a plus gênant : hormis pour la TVA, les taux appliqués ne relèvent pas d’une approche strictement budgétaire ; droits d’accises et écotaxes visent également à influer sur les comportements poiur les rendre plus « vertueux ».
Le Monsieur Dupont citoyen accepterait-il de voir ses impôts et/ou cotisations sociales augmenter afin de « démocratiser » (!) l’accès aux cigarettes, bières, vins et spiritueux ? Considérerait-il éthiquement tolérable que l’ensemble de la société soit financièrement sollicitée afin de faciliter des excès dont elle devra en outre assumer collectivement les coûts (frais médicaux directement ou indirectement – accidents de roulage… – liés à l’abus d’alcool) ?
Il s’agit-là de questionnements fondamentaux sur lesquels on aurait tort de faire l’impasse.
Autre exemple, ô combien significatif d’une approche dangereusement réductrice : le 16 février dernier, dans son JT de 20 heures, France 2 consacra un reportage au « nouvel eldorado » des skieurs européens, Bankso, en Bulgarie. Depuis quelques années, le lieu attire une clientèle en croissance exponentielle qui déserte les Alpes. Outre une neige de qualité et des installations devenues pleinement concurrentielles, Bankso fonde son succès sur un élément marketing majeur « grâce au coût peu élevé des salaires, la station affiche des prix défiant toute concurrence (…) Dans les Alpes, il faut compter le double voire le triple. »
Pensez-vous que ce panégyrique de la glisse à bas prix traita des conséquences de ce succès pour le tourisme en France ? Que nenni.
Sans doute attendra-t-on de voir l’une ou l’autre station vidée de sa clientèle historique se muer en village-fantôme pour s’interroger sur les causes de cet inéluctable déclin et s’apitoyer sur son sort…
Entendons-nous bien, il se ne s’agit pas ici de jouer les pères la morale et fustiger celles et ceux qui doivent composer avec un pouvoir d’achat de plus en plus érodé. La quête du prix bas est parfois une véritable stratégie de survie. Elle devient toutefois problématique lorsqu’elle s’inscrit dans une évolution culturelle qui déconnecte le produit fini de son processus de production et de son juste coût, lorsque l’illusion que « chacun(e) à droit à tout » entretient un choix du moins cher qui constitue de facto un lent suicide économique.
Lodz in translation
Le cas de l’usine Whirlpool d’Amiens que la direction américaine du groupe a décidé de délocaliser à Lodz en Pologne laissant sur le carreaux 290 employés, fut un des sujets chauds de la campagne présidentielle française. « Libération »[[Edition du vendredi 14 avril 2017]] a choisi d’aller voir de l’autre côté du miroir, de se rendre sur le site qui accueillera prochainement la nouvelle unité de production. En se mettant à l’écoute des supposés « gagnants » de ce qui s’avère en fait un terrible jeu de dupes dont les travailleurs d’ici et là-bas ne sont que des pions interchangeables, en adoptant le point de vue de « l’autre », le reportage de Libé permet d’appréhender plus concrètement la réalité et la mécanique en œuvre. De comprendre pourquoi et comment cette mondialisation-là ne génère in fine que des perdants dans les rangs des travailleurs.
« On plaint nos collègues en France mais on n’y est pour rien dans cette histoire. C’est le marché libre, la mondialisation qui fait tout. On a opté pour les quatre libertés, la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux… » – « On aimerait bien gagner ne serait-ce que la moitié de ce que gagnent les salariés de Whirlpool à Amiens. » – « Au début, un ouvrier gagne 1.600 zlotys nets par mois. (377 euros) Avec les heures supplémentaires, payées le double les samedis, ou le travail de nuit payé 20% en plus, on peut arriver jusqu’à 2.300 ou 2.600 zlotys maxi. » – « Dans les années 90, après la thérapie de choc introduite à la chute du communisme, les usines de Lodz tombaient une par une. Ce n’était pas 290 personnes qui se retrouvaient au chômage du jour au lendemain mais 2.000 ou 3.000. Quand des familles entières se retrouvaient sans argent, il n’y avait personne ni en Pologne ni dans l’UE pour s’apitoyer sur notre sort. » – « Aujourd’hui, notre marché de travail est envahi par des travailleurs ukrainiens bon marché. S’ils n’étaient pas là, les employeurs seraient contraints d’augmenter les salariés en Pologne. » – « La Bulgarie et la Roumanie attirent également ce secteur par une main d’œuvre bon marché. Ils nous marchent déjà sur les pattes. On sent leur souffle dans le dos. »
Le soldat Hulot monte au front
Alors, ça y est ! L’irrésistible Macron a réussi là où Sarkozy et Hollande avaient échoué. Après moult hésitations, esquives et dérobades[[http://www.iew.be/spip.php?article7619]], Nicolas Hulot a décidé de sauter le pas et consentir enfin à rejoindre un équipage gouvernemental.
Il serait particulièrement malvenu de m’en désoler alors que j’ai à plusieurs reprises déploré que l’homme ne saisisse pas les chances qui lui étaient offertes d’impulser des politiques environnementales à la hauteur des enjeux ou, le cas échéant, d’expérimenter, révéler et condamner une bonne fois pour toutes le double discours de politiques privilégiant l’inaction. Je vais donc m’abstenir de tirer sur le camion de pompier… mais je ne peux toutefois m’empêcher d’exprimer ma surprise devant la composition de l’équipage auquel Monsieur Hulot accorde sa confiance.
Dans une interview accordée au « Monde »[[http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/05/04/nicolas-hulot-afflige-par-l-absence-de-l-environnement-du-debat-presidentiel_5122351_4854003.html]] au lendemain du débat d’avant deuxième tour qui opposa Emmanuel Macron à Marine Le Pen, le désormais Ministre d’Etat en charge de la transition écologique et solidaire – qui avait précédemment annoncé qu’il voterait Macron « par raison et non par adhésion »[[http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/04/29/nicolas-hulot-macron-un-vote-de-raison-pas-d-adhesion_5119838_3232.html]] – notait : « J’ai reçu et lu la feuille qu’a envoyée Emmanuel Macron à tous les potentiels électeurs avant le vote de dimanche : il y a une ligne sur la transition écologique. On voit que ce n’est pas une priorité dans son programme, que cela reste une variable. Je ne dis pas qu’il n’y a rien dans le programme de
M. Macron, mais s’il était aussi convaincu, il aurait eu plusieurs fois l’occasion de le mettre en lumière hier soir. Il ne l’a pas fait. (…)
On va voir. Je ne veux pas faire de procès d’intention. Emmanuel Macron s’est entouré de personnes qui ont des compétences dans ce domaine, qui n’était pas, on l’a vu, l’argument le plus vendeur durant la campagne. On sera fixé dans les jours qui viennent en fonction de la structure du futur gouvernement. Le juge de paix, ce sera l’architecture gouvernementale. Est-ce que l’environnement sera une fois de plus un ministère parmi d’autres ? Est-ce que ce sera encore Bercy qui donnera le tempo ou une organisation qui permettra à l’écologie d’être le prisme par lequel sera définie la politique gouvernementale ? (…)
Mon inquiétude vient du fait que l’on n’a pas été au bout de l’analyse critique du modèle économique dominant en Europe et dans le monde. Une mondialisation qui nous a échappé, qui épuise nos ressources, concentre les richesses et ne partage pas. Le personnel politique n’a pas profité de cette campagne pour prendre acte que ce modèle était à bout de souffle et qu’on ne pouvait pas s’en accommoder. »
Le moins que l’on puisse écrire est qu’avec un premier ministre qui fut pendant quatre ans le lobbyiste en chef d’AREVA, le « fleuron » du nucléaire français, qui, lorsqu’il était parlementaire, a voté contre les lois « sur la transition énergétique pour la croissance verte » et « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages », qui a demandé et obtenu le report de la fermeture la centrale à charbon de sa ville de 2023 à 2035, « l’architecture gouvernementale » ne semble guère privilégier l’environnement…
Il faut par ailleurs une sacrée dose d’optimisme et un fameux pouvoir d’auto-persuasion pour considérer que la vision économique d’Emmanuel Macron est susceptible de mettre en cause « une mondialisation qui nous a échappé, qui épuise nos ressources, concentre les richesse et ne partage pas »…
Tout cela sent la claque qui guette au coin des illusions.
Mais bon, « soyons printemps » (sic) comme dit le président nouveau et souhaitons « Bon courage » au soldat Hulot. Il en aura besoin.