Le projet de “valorisation de biomasse” à Givet fait parler de lui depuis déjà longtemps, mais c’est seulement depuis le 7 novembre qu’il est enfin soumis à enquête publique, et ce jusqu’au 17 décembre prochain (tous les détails sur le site internet de la Préfecture des Ardennes).
Concrètement, le projet consiste à brûler des déchets de papier issus du recyclage pour produire de l’électricité “verte”. Le combustible utilisé devrait dériver d’une part de ce qu’on appelle le « reject » dans le jargon industriel, c’est-à-dire la fraction non recyclable des vieux papiers arrivant à l’usine de recyclage (fraction composée de fibres trop courtes, mal cuites, mais aussi de plastiques, agrafes et autres inertes divers que l’on peut récupérer lors de la collecte des vieux papiers) et d’autre part de chutes de papier lors de sa fabrication. Le principe tel qu’il est présenté est de trier ces flux pour en isoler la partie constituée de fibres de bois, puis de l’incinérer pour récupérer de l’électricité et de la chaleur. Selon les concepteurs du projet, leur projet permettrait d’éviter la mise en décharge de ces déchets. Un tout beau projet : éviter la mise en décharge de certains déchets et les convertir en électricité verte… Que demander de plus?
Mais le dossier soumis à enquête ne résiste pas à une lecture attentive, comme n’ont pas tardé à le découvrir les riverains mais aussi l’autorité environnementale (voir leur avis sur la page internet indiquée au-dessus). Le verdict est sans appel : argumentation technique insuffisante, dimensionnement non justifié, composition du reject non étayée et insuffisamment prise en compte dans le process industriel proposé, caractérisation des émissions atmosphériques insuffisante… La contre-expertise citoyenne, financée par le conseil Régional des Ardennes, enfonce encore le clou : certaines affirmations de l’auteur du projet sont tout-à-fait mensongères. Par exemple, on découvre à la lecture très attentive du dossier que contrairement à ce qui était présenté initialement, tout le plastique n’est pas séparé du combustible, et qu’une partie finit donc brûlée. Ou bien qu’il n’existe à l’heure aucune certitude sur la mise en place d’un projet de valorisation de la chaleur produite (via le chauffage de serres de maraichage), ce qui exclut l’appelation de “cogénération” (production simultanée de chaleur et d’électricité).
Pire encore, le projet présenté ne peut même pas correspondre à l’appellation de valorisation de biomasse selon la législation française, qui exige un rendement de 65% minimum pour qu’une nouvelle installation d’incinération puisse prétendre à l’appellation d’unité de valorisation énergétique. Or, si l’étude d’impact se garde bien de calculer ce rendement, le bureau chargé de la contre-expertise a lui effectué ce calcul et arrive à tout juste 54%. Voici comment une unité de valorisation énergétique devient officiellement un incinérateur…
Quant à l’argument selon lequel les flux qui devraient être incinérés (reject et chutes de production de papier) seraient actuellement mis en décharge, rappelons que ce n’est en tout cas pas le cas en Wallonie, où les déchets contenant de la matière organique (dont le papier, issu du bois) sont interdits de mise en décharge. Or l’approvisionnement du projet est centré sur le Nord de la France et sur la Belgique. La construction d’un incinérateur à la frontière franco-belge risquerait d’attirer ces flux de papier, alors qu’ils font de plus en plus souvent l’objet d’une valorisation énergétique avec cogénération sur leurs sites de production.
Petite cerise sur le gâteau, qui explique très certainement une étude d’impact mal ficelée et très lacunaire : l’administrateur du groupement d’intérêt économique qui porte le projet n’est autre que le gérant du bureau d’étude qui coordonne l’étude d’impact. On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même…
L’écran de fumée autour de ce projet de valorisation de biomasse se dissipe donc pour laisser apparaitre un banal incinérateur totalement inefficace énergétiquement, alors même que tous les pays européens sont occupés à mettre en oeuvre la Directive cadre « déchets » de 2008 qui fixe une hiérarchie de gestion pour les déchets. En tête de cette hiérarchie se trouve la prévention, ici bien oubliée par la Préfecture des Ardennes qui soutient un projet d’aspirateur à déchets transfrontaliers…