L’habitat est, en Belgique et en Région wallonne, un secteur énergivore. Par exemple, en 2011, le secteur domestique[[Le domestique concerne le résidentiel et équivalents c’est-à-dire les logements, le secteur tertiaire et l’agriculture. Pour pouvoir comparer les données de consommations finales, il n’est pas possible d’isoler le logement du tertiaire et de l’agriculture des données.]] représente 38% de la consommation énergétique finale belge, devant l’industrie (28%) et le transport (34%). En Région wallonne, les logements représentent 25% de la consommation énergétique primaire.
Les raisons qui expliquent la mauvaise qualité énergétique de ces bâtiments sont en effet assez simples : les constructions sont anciennes et sont principalement des 4 façades. La Région wallonne compte 1.633.181 logements, avec une croissance d’un peu plus de 1% par an[SPF Economie, « Statistiques du cadastre immobilier belge », 2013]]. Sur ce total, 502.263 sont des maisons 4 façades, 451.305 des 2 façades, 369.388 des 3 façades et 216.227 des buildings et immeubles à appartements. Plus de la moitié des logements sont donc peu voire pas du tout mitoyens, ce qui représente un coût énergétique plus important à niveau d’isolation égale[[ [http://www.safe-energie.be/fiches-pratiques/le-parc-de-logement-wallon-presentation-evaluation-et-approche-de-son-evolution/ ]]. L’âge du bâti mérite également une mention : 76% des bâtiments ont été construits avant 1981 – la première réglementation thermique wallonne date de 1985 –, 62% avant 1971 – date du premier choc pétrolier – et 38% avant 1945. Il est généralement accepté que les habitations datant d’avant la fin de la seconde guerre mondiale ont une isolation inexistante[[SPF Economie, op. cit.]].
Comparé au niveau des autres pays européens, la performance énergétique du bâti belge est donc médiocre. Selon McKinsey le logement belge a une consommation énergétique en moyenne 72% supérieure à la moyenne européenne[Mc Kinsey, « Pathways to World Class Energy efficiency in Belgium », 2009, p.12]]. Le niveau d’isolation de nos habitations est équivalent à celui d’une maison du sud de l’Espagne où il fait en moyenne sensiblement plus chaud ! Selon [les bilans énergétiques calculés pour l’ensemble de la Belgique, le chauffage est, avec 76%, le premier poste de consommation d’énergie des ménages . Si l’on y ajoute les 11% d’énergie voués au chauffage de l’eau sanitaire, on voit que 87% de la consommation énergétique est destiné à un confort de vie normal.
Ces consommations importantes ont évidemment un poids financier non négligeable dans le budget des ménages. Selon la dernière enquête réalisée en 2012 par le SPF économie, les dépenses moyenne en énergie – électricité, gaz et autres combustibles – se chiffrent à 967 euros par personne et par an, soit la 4ème dépense derrière le transport, la nourriture et le logement. La facture énergétique payée pour un logement wallon moyen s’élève en 2008 à près de 2.276 € dont 56% pour des dépenses liées au chauffage[ICEDD, « [Atlas de l’énergie », 2013]]. Cette moyenne cache mal les disparités qui existent derrière ce chiffre. En effet, plus de 750.000 ménages belges – soit un septième d’entre eux – sont en situation de précarité énergétique (consacrer plus de 10% de ses revenus à ses dépenses énergétiques). Le prix de l’énergie est évidemment un facteur qui entre en compte dans l’aggravation de ces situations mais il n’est qu’une des trois composantes. La faiblesse des revenus et la qualité médiocre des logements et des équipements ont une grande part de responsabilité dans ces situations.
Enfin, cette consommation importante a un impact environnemental et climatique élevé. Selon les indicateurs clés de l’environnement wallon, en 2010, seul 4,3% de l’énergie finale directement consommée était produite à base de renouvelable et seulement 10,2 % de la consommation finale d’électricité était issue des énergies renouvelables[[SPW, « Les indicateurs clés de l’environnement wallon », 2013, p.43]]. La très large majorité de l’énergie que nous consommons est donc produite à partir de combustibles fossile et nucléaire. Quand on sait que selon les prévisions de la Commission européenne, « la Belgique ne devrait pas atteindre son objectif de 15 % en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les secteurs non couverts par le système d’échange de quotas d’émission de l’Union d’ici à 2020 »[[Commission européenne, « Programme national de réforme. Recommandations à la Belgique », Juin 2014, p.6]], il est urgent d’agir à la fois dans l’augmentation de la production de renouvelables mais prioritairement dans la réduction structurelle de la consommation énergétique et l’amélioration de l’efficacité.
Pour répondre à cette problématique centrale d’une politique de transition énergétique, l’Allemagne a, de son côté, développé une stratégie ambitieuse de rénovation du logement avec pour objectif de réduire de 20 % les besoins de chaleur du parc immobilier d’ici 2020 et de porter à 2 % par an le rythme de rénovations thermiques lourdes dans l’existant. En voici les principales caractéristiques.
Un circuit de financement original
La banque publique de développement KfW y constitue la pierre angulaire du dispositif d’aides à la rénovation énergétique. Elle bénéficie d’une garantie à 100 % de l’État allemand et d’un rating « AAA » lui permettant de se refinancer sur les marchés internationaux, pour un volume annuel de 80 milliards d’euros. Cette capacité de refinancement à coût relativement réduit permet d’une part d’assurer un volume conséquent de prêts et d’autre part, de limiter le coût de la bonification. En 2010, la KfW a ainsi injecté près de 5 milliards d’euros pour la rénovation énergétique (9 milliards en incluant les constructions éco-performantes neuves).
L’exigence de performance globale
Pour les rénovations lourdes, la KfW met en œuvre une exigence de résultats, définie en relation à la performance énergétique d’un bâtiment neuf équivalent. Afin d’être éligible aux aides (prêt préférentiel et subvention), le projet de rénovation doit permettre d’atteindre au minimum un standard équivalent à 115 % des besoins énergétiques d’un bâtiment neuf (KfW 115). À l’inverse, les instruments wallons mettent en œuvre une obligation de moyens, ce qui ne va pas sans poser au moins deux problèmes. En premier lieu, elle peut engendrer d’importants effets d’aubaine, si les fournisseurs et constructeurs décident d’augmenter le prix de vente des équipements éligibles, absorbant ainsi la subvention tout en réduisant l’attractivité économique pour l’usager. À l’inverse, l’obligation de résultats met en avant la neutralité technologique, favorisant la concurrence entre les fournisseurs de différentes solutions souhaitant augmenter leurs parts de marché. En second lieu, le manque d’attention portée à la performance globale peut nuire à la cohérence d’ensemble du projet, avec le risque de tuer le gisement d’économies sur le plan technique ou économique.
L’articulation des aides avec la réglementation thermique
Il s’agit ici de la lisibilité du dispositif et l’harmonisation entre les critères techniques définis pour la réglementation thermique du neuf, de l’existant et des aides. Les exigences techniques sont les mêmes pour la RT neuf et RT existant (élément par élément) et les aides de la KfW pour la rénovation lourde s’expriment en valeurs relatives vis-à-vis de cette même réglementation. Ce système à plusieurs avantages parmi lesquels la lisibilité pour les acteurs du marché qui ne doivent se référer qu’à un seul ensemble de critères. Il garantit en outre une évolution simultanée de l’ensemble des critères en cas de renforcement des exigences pour le neuf, ce qui est prévu pour 2013.
La progressivité des aides
La stratégie allemande exige de corréler le montant de l’aide avec le niveau de performance énergétique réalisé après travaux. Plus le projet est ambitieux, plus il recevra de subventions. Ce principe a deux avantages majeurs. D’une part, il permet de tirer le marché vers le haut, en rendant plus attractives les rénovations très ambitieuses. D’autre part, en fixant le standard minimal d’éligibilité au niveau de performance « BBC-rénovation », il est cohérent avec l’objectif de long terme et évite de « tuer le gisement » d’économies d’énergie par une démarche trop partielle ou incohérente sur le plan technique ou économique.
Intégration de l’expertise et évaluation des travaux
Que ce soit pour une rénovation lourde ou pour des actions simples, les bénéficiaires des aides financières de la KfW doivent impérativement faire appel à un expert thermicien avant et après les travaux. Pour un coût relativement réduit (2 à 5 % du coût global), cet accompagnement permet d’assurer la qualité de réalisation et la cohérence du projet vis-à-vis des exigences réglementaires et des caractéristiques du bâtiment. En second lieu, l’externalisation du contrôle de conformité des travaux permet aux banques locales et à la KfW à se concentrer sur les aspects financiers.
Les aides à la rénovation : une aide financière pour l’État
Deux facteurs doivent alors être pris en considération : l’effet de levier généré par l’investissement public et les effets macroéconomiques de cette politique, incluant les retours économiques pour les comptes publics. Sur ces points, l’exemple de la KfW fournit un retour d’expérience intéressant : l’effet de levier pour les programmes de soutien à la rénovation a ainsi atteint un ratio de 1:11 en 2010 : avec 650 millions de fonds publics investis dans la bonification des prêts et les subventions, des investissements de 7,25 milliards d’euros ont pu être déclenchés. Partant de cet effet de levier, une analyse plus approfondie des impacts macroéconomiques a permis d’observer que les autorités publiques récupèrent plus d’argent qu’ils n’investissent au départ : pour un euro investi, entre 2 et 4 euros reviennent aux comptes publics, grâce au surplus d’impôts et de taxes générés par l’activité économique additionnelle.
Cette analyse permet d’illustrer qu’une politique ambitieuse de rénovation énergétique ne représente pas un fardeau pour les comptes publics, mais peut au contraire être un vecteur fort d’une relance économique verte, à deux conditions : disposer d’un effet de levier important entre fonds publics et investissements générés et injecter suffisamment de financement pour permettre la montée en puissance du rythme de rénovation dans les prochaines années. Une autre étude récente sur l’impact macroéconomique d’un programme de rénovation ambitieux jusqu’en 2050 estime la création de valeur additionnelle nette entre 10 et 15 milliards d’euros par an contribuant à la création ou au maintien de jusqu’à 350 000 emplois avec un bénéfice net pour les comptes publics. Notons également que ces bilans ne prennent pas en compte les bénéfices environnementaux et la réduction de la précarité énergétique qui constituent des enjeux centraux de la transition énergétique.