Vous souhaitez découvrir une philosophie politique inspirée du vivant pour répondre aux bouleversements contemporains ? Ou encore faire un pari sur l’incohérence en lieu et place de la logique totalitaire de l’injonction de cohérence responsable de politiques publiques stériles ? Et ainsi participer à l’amélioration de la robustesse de la société civile ? Alors, lisez le dernier ouvrage d’Olivier Hamant : De l’incohérence – Philosophie politique de la robustesse1. Petite recension…
Pour une présentation d’Olivier Hamant, je vous renvoie au texte de ma collègue Anne Thibaut.
La Robustesse
Pour introduire la présentation, il convient, tout d’abord, de repréciser ce que le biologiste entend par Robustesse, un concept central dans sa pensée.
Il définit la robustesse comme le maintien d’un système stable malgré les fluctuations. Cette notion serait essentielle dans un monde de plus en plus instable et imprévisible. Contrairement à la performance, qui se concentre sur l’efficacité et l’optimisation, la robustesse privilégie l’adaptabilité et la diversité des solutions pour faire face aux imprévus. Elle privilégie l’adaptabilité à l’adaptation :
Adaptation : Anticiper les changements et optimiser les ressources pour y faire face.
Adaptabilité : Se construire sur ses points faibles et développer une diversité de réponses pour naviguer dans un environnement fluctuant.
Les interactions sont essentielles dans cette approche, très proche en cela de l’approche systémique dans laquelle l’auteur inscrit pleinement sa réflexion.
La robustesse implique d’ajouter des marges de manœuvre dans les systèmes, permettant ainsi de gérer les crises sans s’effondrer. Par exemple, une usine fonctionnant à 80% de sa capacité peut mieux gérer une panne qu’une usine opérant à pleine capacité. (Voyez aussi les exemples – ou contre-exemple – de la robustesse dans ce pdf d’Olivier Hamant présenté par Anne Thibaut)
Hamant s’inspire des systèmes naturels, qui montrent que la robustesse est souvent liée à des caractéristiques telles que l’inefficacité et la redondance. Ces traits permettent aux organismes de survivre à des conditions variables sur le long terme.
Il est intéressant, pour mieux comprendre, de distinguer la robustesse de la résilience.
- Caractéristiques de la robustesse:
- Stabilité : Un système robuste reste stable malgré les variations environnementales à court et à long terme.
- Préparation : Elle nécessite des plans de secours, de la redondance et une diversité d’options pour gérer les imprévus.
- Approche proactive : La robustesse favorise l’expérimentation et la diversification des activités, permettant ainsi d’explorer différentes voies sans se concentrer sur un seul objectif.
La Résilience
- Définition : La résilience est souvent définie comme la capacité d’un système à absorber des changements et à rebondir après une perturbation. Cela inclut un processus d’adaptation qui permet au système de revenir à son état initial après un choc.
- Caractéristiques :
- Adaptabilité : La résilience implique une phase d’absorption des perturbations suivie d’un retour à l’état précédent, ce qui nécessite une certaine flexibilité.
- Réaction après coup : Contrairement à la robustesse, qui cherche à éviter les perturbations, la résilience se concentre sur la capacité à se remettre d’une crise.
- Injonction à la performance : Dans certains contextes, comme dans le monde néo-libéral, la résilience peut être perçue comme une pression pour « rebondir » après un échec, ce qui peut conduire à une forme de performance mortifère.
En bref, la robustesse se concentre sur la capacité d’un système à rester stable face aux perturbations, tandis que la résilience met l’accent sur la capacité d’adaptation et de récupération après un choc. Hamant souligne que pour être véritablement résilient, il est essentiel d’abord d’être robuste, car cela permet de prendre des marges de manœuvre face aux incertitudes du monde moderne.
La cohérence
Pour O.Hamant, si la cohérence est un objectif louable, elle constitue en réalité une très mauvaise stratégie.
- La cohérence construit l’ignorance car elle nous empêche de remettre en question nos croyances et de penser autrement.
- Elle nous pousse à confirmer, aller dans le même sens, ajouter et amplifier ce qu’on croit déjà savoir.
- La cohérence totale fonctionne bien dans un monde stable et abondant en ressources, mais serait suicidaire dans un environnement instable et en pénurie.
- Le culte de la cohérence, défini comme l’absence de contradiction logique, est comparable au fonctionnement d’une secte où tout le monde est d’accord.
Il considère que l’injonction de cohérence, très répandue dans nos sociétés, nous empêche de remettre en question nos certitudes et de nous adapter aux fluctuations du monde contemporain. C’est pourquoi il plaide pour une philosophie politique inspirée du vivant, faisant l’éloge de l’incohérence vertueuse comme clé de la robustesse sur le long terme.
L’Incohérence
Venons-en alors au concept clé d’incohérence.
Pour Hamant l’incohérence permet d’accueillir l’incertitude et les fluctuations, essentielles pour s’adapter aux défis contemporains tels que les crises écologiques et sociales. Il propose que les systèmes vivants, qui intègrent des éléments d’incohérence, offrent des modèles viables pour construire une société plus robuste. En embrassant l’incohérence, on favorise la créativité et la diversité des solutions face à des problèmes complexes, contrastant avec l’approche rigide de la performance.
Il présente alors une série d’exemple d’incohérence qui améliore la robustesse sociale :
- la modération sur les réseaux sociaux, lieu dédié soi-disant à la liberté d’expression maximale ;
- la confrontation approfondie par des pairs en recherche scientifique ;
- un exemple très intéressant pour le travail associatif : le premier devoir d’un exécutif est de stimuler les contre-pouvoirs ;
- garantir sans faillir le secret des sources en journalisme ; idem avec le secret médical ;
- adopter des sanctions, mais relativement faibles, pour garantir l’adhésion ;
- promouvoir la tolérance mutuelle et la retenue institutionnelle dans le processus législatif ;
- le tirage au sort et la diversité dans le cadre des conventions citoyennes ;
- la redistribution optimale pour la justice économique (il prône le salaire universel) ;
- la coopération comme boucle incohérente transversale ;
- …
L’auteur développe ensuite une réflexion sur l’incohérence comme levier de transformation. Il précise qu’il y a deux types de transformation : la transfermation qui nous conduit droit dans le mur (ce que l’on vit majoritairement aujourd’hui avec le néolibéralisme et la droitisation des opinions en politique) et la mutation qu’il prône : « on déraille de la trajectoire fatale de l’engrenage cohérent, en changeant les liens, en faisant respirer le système et en construisant une autre trajectoire viable » grâce aux liens et aux interactions. Il s’agira de :
- s’arrêter pour résister : « quand on ne s’arrête pas, on ne change pas, on ne se transforme pas ».
- s’ouvrir pour se protéger plutôt que se replier au nom d’une pseudo-sécurité.
- interdire pour relier ou, pour se relier il faut se sevrer.
- diviser pour converger
- débattre pour mûrir : le conflit est un bouclier contre le conflit ( !)
- grandir sans s’agrandir : la déconcentration apporte une robustesse accrue en faisant de l’organisation un système plus apte à s’adapter dans un monde fluctuant.
- transformer le cœur par les marges : une force de transformation n’est pas la lutte contre le cœur du système, mais la multiplication des marges.
- dérailler pour créer : créer ou être pionnier est un acte fondamentalement incohérent.
En bref : « L’incohérence est une force de stabilisation qui tempère les engrenages sans fin par une respiration oscillante. Est-elle aussi une force de transformation ? L’injonction de cohérence n’autorise qu’un type de transformation, sur les mêmes rails, et se termine toujours en rupture brutale. Face à la cohérence qui transferme plus qu’elle ne transforme, l’incohérence pave le chemin des transformations systémiques. Ainsi, le premier pas vers le changement est paradoxalement l’arrêt face à la trajectoire imposée. De même, interdire peut parfois fédérer. En fragmentant, un mouvement de convergence peut être induit, en stimulant des interactions plus locales et des débats plus constructifs. Grandir sans s’agrandir grâce à la déconcentration implique une stratégie d’adaptabilité mieux à même de confronter les fluctuations du milieu. Le changement du système global passe d’abord par des révolutions aux marges. Dérailler devient alors l’étape nécessaire à la création. Enseigner devient une démarche moins descendante et plus interactive. Douter devient le vecteur de la connaissance. Finalement, la transformation, c’est d’abord la perturbation. Accepter notre part d’incohérence est indispensable pour pouvoir muter ».
Une stimulante lecture qui n’apporte pas de nouveautés majeures dans l’approche de ce qu’il est nécessaire de faire pour mettre en place un mode de fonctionnement qui soit adapté aux défis qu’il convient de relever, mais qui solidifie (j’allais dire robustifie) l’argumentation pour soutenir ces propositions d’actions auprès des acteur·rices qui détiennent des leviers pour ces changements nécessaires et urgents.
Crédit image d’illustration : Unsplash
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