Que ce soit à travers les déboires médiatisés de Bayer qui a absorbé le sulfureux Monsanto ou via les plaintes des riverains de champs traités aux pesticides, la question de la fin de l’utilisation des nombreux pesticides pour l’environnement et la santé est au cœur de la transition de notre agriculture. La constitution de nouvelles majorités est un moment privilégié pour faire le point afin de convaincre nos politiques d’inscrire cette évolution indispensable dans les futures déclarations de politiques.
Le géant de la chimie Bayer, depuis qu’il a absorbé il y a un an la firme Monsanto est confronté à de nombreux revers ou scandales.
Il a perdu son procès contre le paysan français Paul François[1] ainsi que face au paysan américain E. Hardeman[2], ces paysans souffrant de cancers et autres sérieux problèmes de santé suite à l’utilisation de la substance active glyphosate (herbicide commercialisé notamment sous le nom Roundup).
Ce jeudi 9 mai, France 2 et Le Monde révèlent que Monsanto fichait de manière confidentielle 200 personnalités issues des média, d’ONG[3], de syndicats agricoles (FNSEA et la Confédération paysanne) voire même de partis politiques dont le député européen belge Philippe Lamberts… Elles sont classées en fonction du type de rapport qu’elles entretiendraient avec la très décriée firme.
Découvrira-t-on une liste avec des rebelles belges depuis le départ de la firme US de Fernelmont (ex Franc-Waret) suite à l’action de « décontamination » perpétrée par 200 militants, en mode carnavalesque, pour éviter la dissémination des OGM & la profusion des pesticides ad-hoc le 8 mai 2000[4] ? Les militants du groupe d’action du CAGE[5] ont tous été acquittés en justice après les discours à décharge de R. Riesel, P. Lannoye et la philosophe Isabelle Stengers et ce, malgré les fortes pressions de Monsanto[6]. Dans la foulée, des « essais illégaux » pratiqués par Monsanto ont même été évoqués… Mais faut-il s’étonner de telles pratiques de la part de la sulfureuse firme qui commercialisa l’« agent orange », firme qui aujourd’hui fait partie de Bayer au passé tout aussi inquiétant ?[7]
Faut-il parler de « PPP » ou de pesticides ?
Encore appelés erronément par le secteur « PPP », c’est-à-dire « Produits de Protection des Plantes », les pesticides, et autres herbicides tels le Roundup, visent pourtant à tuer les plantes. Nous parlerons donc de pest–icide qui signifie étymologiquement qui tue « icide » le « pest » c’est-à-dire le prétendu « nuisible » mais bien souvent aussi les insectes auxiliaires[8] qui sont les prédateurs des « pest ». Les pesticides tuent aussi la vie du sol[9] (humus, carbone). De plus, les pesticides englobent aussi les raccourcisseurs de céréales (très toxiques), biocides selon la définition de l’agence européenne Efsa.
Les pesticides (et biocides) perturbent de nombreuses fonctions de la santé chez l’Homme (système endocrinien, nerveux, hormonal, immunitaire) et entraînent de nombreuses maladies chroniques (cancers, malformations congénitales, problèmes neurologiques, troubles de la reproduction,…). Les voies d’exposition sont multiples : cutanée, digestive et respiratoire.
Cette imprégnation se fait de manière indirecte par l’air, l’eau[11] et l’alimentation, et de manière directe lors de la fabrication, du stockage et l’utilisation des pesticides.
Les riverains sont-ils les seuls impactés par les pesticides ?
Les riverains qui s’en plaignent et en souffrent ne sont pas les seuls à être impactés par les pesticides. Le sont aussi : les agricult.eurs.rices, paysan.ne.s, les ouvrier.e.s agricoles, les ouvrier.e.s dans les usines de fabrication, les employé.e.s communaux/régionaux et autres collectivités ou d’entreprises affecté.e.s à l’entretien des espaces « verts » (chemins de fer p.ex.). Sans oublier les passants occasionnels dont les sportifs et naturalistes (« bystanders »).
La préparation du produit, son épandage, le nettoyage du matériel ou encore le retour dans les champs après traitement sont des moments de risques accrus, en particulier d’intoxications aiguës qui peuvent entraîner des troubles respiratoires ou dermatologiques, voire même parfois la mort. Cependant, les intoxications aiguës, pourtant les plus spectaculaires, ne constituent pas le seul risque, et leurs effets immédiats ne doivent pas faire oublier la chronicité de l’impact des pesticides. Cet aspect est méconnu et son importance est loin d’être négligeable. Elle est responsable de l’apparition plus fréquente de certains cancers chez les paysans (cancers du sang, du cerveau ou de la prostate) ou de maladies neuro-dégénératives (maladie de Parkinson). Elle pourrait impacter des riverains en bord de champs comme c’est suspecté avec les nombreux cas connus à Fernelmont. Les enfants ou même les fœtus sont aussi très exposés[12] et encore plus vulnérables: avortements spontanés, cancers hématopoïétiques et troubles de l’immunité, retards de croissance, malformations génitales,… ne sont pas rares. Cette exposition est notamment favorisée par le fait que l’aménagement du territoire wallon a configuré l’étalement[13] de la zone d’habitat en bordure de champs en forme de pattes d’oies, sans bande tampon, ce qui a exposé fortement les nouveaux riverains aux pesticides.
Que disent les programmes de partis ?
Les partis francophones sont en discussion pour former un Gouvernement wallon mais aussi fédéral.
Soucieux de la santé des citoyens et de la préservation de l’environnement, nous sommes favorables aux coalitions qui favoriseront la transition écologique de l’ensemble du système alimenatire dans la nouvelle Déclaration de Politique Régionale (DPR[14]).
ECOLO, le PS et le cdH proposent un plan de sortie totale et progressive de l’ensemble des pesticides, en priorité ceux qui contiennent des perturbateurs endocriniens et le cdH surenchérit et propose d’interdire la publicité pour tous les pesticides, leur promotion ou leur vente liée à usage privé et professionnel (presse agricole).
Quant au PTB, il conseille aux agriculteurs une utilisation la plus limitée possible de pesticides et d’engrais. C’est assez timide comme position vu le manque d’instruments de réduction proposé mais ils proposent aussi que les conseillers privés, la publicité, la promotion et la vente liée (engrais-pesticides-semences) soient interdits.
Le MR est en faveur d’un programme de réduction des pesticides et propose de développer la recherche pour des alternatives, économiquement viables, aux pesticides. Le MR est donc plus mitigé sur un plan de sortie totale des pesticides et propose même de développer activement les biopesticides ainsi que la Smart Farming (technologie agriculture de précision, localisation GPS,…).
Pour IEW, les biotechnologies, les biopesticides et les TIC ne sont pas la panacée pour réduire réellement les pesticides dans les champs, donc dans nos assiettes.
En effet, l’orientation productiviste de l’agriculture versus « Smart Farming » vise à produire plus sur moins d’hectares au moindre coût et sur de grandes surfaces ce qui n’est pas compatible avec les services éco-systémiques rendus par l’agriculture paysanne. Il nous faut avant tout, une réorientation complète de la vision agricole vers la transition écologique pour que le « Smart farming » soit compatible…
Défi propose de tendre vers l’utilisation zéro des pesticides et autres produits dangereux présents dans l’alimentation. DéFI propose de mettre fin à l’utilisation des substances « extrêmement préoccupantes » lorsque des alternatives plus sûres sont disponibles.
Il est par contre très étonnant de lire que Défi avance que « 95% des agriculteurs wallons répondent aujourd’hui aux critères de durabilité, et qu’en la matière l’agriculture wallonne est à la pointe de l’échelle mondiale ». On est pourtant très loin de ce chiffre : les 5,1 Kg de substances actives par hectare en 2016 en témoignent.
Le trio PS-ECOLO-cdH souhaitent également des conseils indépendants sur les intrants (pesticides-engrais-semences) et le MR les rejoint sur ce point. Le PTB veut interdire les « conseils » privés des négociants tandis que Défi n’en dit rien.
Quelle est la situation du glyphosate : « Business as usual » ?
Quand est-il du glyphosate de Monsanto chez nous ? Le SPF Santé nous informe que 619.295 kg de matière active de glyphosate étaient vendus en Belgique en 2017 contre 503.268 kg en 2016, ce qui laisse présager que des stocks ont été réalisés avant les interdictions wallonnes et bruxelloises de vente aux particuliers.
Ces quantités importantes nous font comprendre pourquoi le lobbying est si actif dans nos contrées. Pourtant, des solutions existent bel et bien pour désherber électriquement ou avec des bineuses[15]…
Les états[16] du Midwestern américain qui ont promotionné le soja-coton RR, sont passés de 0Kg de glyphosate en 1991 à 50.000 tonnes en 2014 ! Mieux encore l’Argentine et le Brésil avoisinent les 150.000T de glyphosate (Syngenta) par an et par pays avec des techniques culturales de « non labour » dans certains cas !
De son côté, la Wallonie a commencé à baisser son utilisation de pesticides, vu les nombreuses conversions en Bio. Il faudra être encore plus ambitieux dans les deux régions du pays lors des cinq prochaines années si on veut ne pas être le 1er pays UE le plus pollué par les pesticides… Et cela c’est sans compter les importations de soja Roundup Ready pour nourrir des élevages hors-sol belges et européens !
Le Dicamba va-t-il sauver les agriculteurs ?
Les USA avec l’utilisation massive des semences-plantes OGM résistantes au Roundup sont maintenant confrontés aux mauvaises herbes résistantes au Roundup et les agriculteurs sont contraints de ressortir des désherbants plus puissants, tel le Dicamba avec sa semence OGM associée Xtend !
La Belgique a utilisé 4.458 kg de substance active Dicamba en 2017. Selon François Veillerette de Générations futures, le Dicamba est toxique[17] pour la reproduction et le développement des mammifères, pose des problèmes de contamination de l’eau et de l’air, et s’attaque à la végétation alentour. Vu que les OGM ne sont pas autorisés sur le sol wallon, nous sommes à l’abri pour l’instant.
Les agriculteurs américains renoncent[18] aux OGM et son engrenage inéluctable de pesticides, non pour des raisons environnementales mais vu le prix exorbitant des semences et les résistances incontrôlables.
Pour « sortir des pesticides, c’est possible » comme l’annonce la Confédération Paysanne[19], il faudra revoir en profondeur le modèle agricole et ne plus viser de « nourrir le monde » avec de la chimie de synthèse[20] au départ de la Belgique et de l’Europe… Il va falloir « shifter » au plus vite, entre-autre par une réforme de l’enseignement agricole public[21], vers la transition écologique en agriculture, thème de la prochaine Université d’IEW début 2020.
[1] Défaut d’étiquetage du Lasso
[2] « Le tribunal fédéral de San Francisco avait déclaré, le 19 mars, que le désherbant était un « facteur significatif » dans le déclenchement du lymphome non hodgkinien d’E. Hardeman. » http://www.lefigaro.fr/flash-actu/proces-roundup-monsanto-condamne-a-payer-81-millions-de-dollars-20190327
[3] ONG qui vise à défendre les intérêts des citoyens.
[4] 13 militants du CAGE sont en justice
[6] https://www.dhnet.be/actu/faits/destructeurs-d-ogm-51b7d001e4b0de6db98fa092
[7] lire à ce propos l’édifiant ouvrage de Fabrice Nicolino : Un empoisonnement universel aux éditions LLL.
[8] Les pesticides ne tuent pas que les auxiliaires mais aussi la faune dont les bactéries, collemboles, et lombrics du sol qui empêchent une bonne structure et aération du sol et favorisent alors les coulées de boue lors de fortes pluies.
[9] http://www.gessol.fr/content/biodiversite-la-vie-cachee-des-sols
[10] A healthy, fertile soil is at the heart of food security, thus rendering any threat to these functions a direct threat to food availability. https://angelidelsuolo.wordpress.com/2019/05/16/efficient-management-of-the-soil/
[11] http://etat.environnement.wallonie.be/files/Publications/REEW2016/DGRNE-16-16716-REEW%202016-sl-051217-prod2%20-%20basse%20r%c3%a9solution.pdf
[12] Dont les Perturbateurs Endocriniens, le glyphosate en ferait partie.
[13] https://www.canopea.be/pourquoi-marcher/ H. Ancion.
[15] https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/agriculture-quelles-sont-les-alternatives-au-glyphosate-7797665587
[16] Similarities and differences in occurrence and temporal fluctuations in glyphosate and atrazine in small Midwestern streams (USA) during the 2013 growing season, published in 2017, USGS. https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0048969716322896?via%3Dihub
[17] Les services de l’Agence américaine de protection de l’environnement sont débordés. Depuis début 2017, ils doivent enquêter sur plus de 2 700 plaintes visant les effets de l’herbicide Dicamba.
https://www.france24.com/fr/20171103-etats-unis-glyphosate-dicamba-monsanto-devastateur-pesticide-agriculture
[18] https://www.lesechos.fr/2016/11/les-agriculteurs-americains-reviennent-du-tout-ogm-231270
[19] http://www.confederationpaysanne.fr/actu.php?id=8568
[20] Débat en vidéo très intense et clivé à l’Union internationale de chimie pure et appliquée (Union of Pure and Applied Chemistry, IUPAC) mai 2019, Ghent.
https://www.youtube.com/watch?v=KRHtoed_4FI
[21] Les mots sur la transition agro-écologique ne suffisent pas, cette année encore près de 62.000 tonnes de pesticides ont été pulvérisées dans les campagnes françaises. Une révolution des pratiques agricoles doit commencer dès la période d’apprentissage. https://www.snetap-fsu.fr/Renforcer-l-Enseignement-Agricole-Public-une-necessite.html