Energie : un manque de réalisme ! 

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Une bonne nouvelle d’abord ! Le Gouvernement va « chercher à diminuer la dépendance aux énergies fossiles » ce qui est très positif. Mais par quelle énergie remplacer les fossiles qui représentent toujours 80% de notre mix énergétique ? Hélas le Gouvernement met un peu trop ses œufs dans le même panier (troué)… 

Quel mix électrique pour demain ?  

L’accord de Gouvernement commence par une bonne idée. Il propose d’élaborer une vision interfédérale avec une composition « la plus RENTABLE de notre mix énergétique ». Un peu plus loin, il propose de partir « du principe de la neutralité technologique et stipule même que « l’Accord de gouvernement ne se prononce donc pas sur la part de chaque source d’énergie dans le mix ».  

Mais c’est pour se dédire quelques lignes plus loin et fixer déjà un objectif de 4GW nucléaire dans le mix. Comment ? Deux pistes sont énumérées « prolongation des unités existantes répondant aux normes de sureté » dont en tout cas une prolongation jusqu’à 60 ans, voire plus ( !!!) des deux réacteurs déjà prolongés par le Gouvernement précédent. Autre piste, il « s’efforcera de lever tous les obstacles, de faciliter et d’accélérer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires ».  

Un choix du nucléaire qui nous projette dans l’incertitude 

Le retour du nucléaire est clairement le cœur du programme énergie de ce gouvernement. Cela a déjà été abondemment mis en avant dans la presse.  

Pour Canopea, il reste hautement questionnable et ne représente absolument pas la meilleure option de production électrique pour faire face à la souhaitable électrification de nos besoins énergétiques. Si c’est une source d’énergie bas carbone indéniablement, c’est loin d’être une source d’énergie durable, comme le Conseil supérieur de la santé composé de scientifiques de tout horizon l’a par exemple clairement rappelé en 2021, et ce, pour des questions de sécurité dans cette Belgique si densément peuplée ou de déchets. La déclaration de gouvernement le reconnait d’ailleurs de manière implicite en précisant que le mix énergétique futur devra être « abordable, sur et neutre en carbone. » …  Mais pas « durable ».  

Sur l’épineuse question des déchets nucléaires, bien qu’un paragraphe entier y soit consacré, la volonté du gouvernement de « poursuivre » la politique en la matière est emblématique. Après 50 ans de nucléaires, nous ne savons toujours pas quoi faire de nos déchets (qui sont stockés de manière provisoire sur les sites de Tihange et Doel. Et les pistes évoquées par l’Accord de gouvernement ne risquent pas de lever cette incertitude. 

Quant à savoir si le scénario nucléaire est le plus abordable, l’étude blueprint 2050 montre que, si les incertitudes sont grandes sur le coût de tous les scénarios envisagés, c’est clairement dans le scénario nucléaire que l’incertitude est la plus élevée. On peut littéralement parler d’explosion des coûts (scénarios « high cost » ci-dessous) si on suit les tendances des derniers projets de développement nucléaires européens (EPR de Flamandville en France, par exemple). 

L’étude Blueprint 2050 envisage les impacts en termes de couts de différents scénarios par rapport à un scénario de référence. Le scénario le plus économe est le scénario « sufficiency » c’est-à-dire sobriété, alors que les scénarios « non domestic offshore » (eolien offshore européen) sont tendanciellement plus bas que les scénarios New nuclear. Enfin le scénario new nuclear « high cost » explosent les compteurs en termes de surcoût…   

Ce que le Gouvernement oublie : quoi qu’il arrive, nous devons investir…  

Le coût de l’énergie occupe une grande place dans la déclaration, à juste titre, mais le Gouvernement refuse de trancher le dilemme entre le besoin d’investissement de notre système énergétique, et ce, quel que soit les choix de mix énergétique futur et la volonté qu’« aucun coût supplémentaire de la politique fédérale ne vienne s’ajouter aux factures d’électricité des ménages et des entreprises. » Cette promesse de campagne n’est pas tenable à moins de faire payer ces coûts par l’impôt, ce qui n’est pas du tout assumé par ailleurs dans le texte…  

Les investissements de réseau, dont notamment l’interconnexion avec le réseau européen est dans tous les scénarios futurs la priorité absolue. Si l’accord de Gouvernement le reconnait, nous craignons clairement à sa lecture que ce ne soit la priorité absolue du Gouvernement. En tout cas ces investissements ne se feront pas simplement en « améliorant les conditions de marchés » comme la déclaration l’espère.  

Le projet d’ile énergétique dont les couts ont fortement augmenté par rapport aux projections est illustratif du risque inhérent à tout investissement stratégique. Si on reprend le scénario Blueprint déjà mentionné, on voit que le scénario le plus souvent rentable à long terme est de se connecter à de l’éolien offshore « non domestic » c’est-à-dire situé en dehors des eaux territoriales belges, mais cela demandera de renforcer les connexions longue distance en courant continu. Quand nous lisons que « Le gouvernement prendra une décision d’ici la fin mars 2025 concernant l’avenir de l’ile énergétique » nous craignons donc une réaction précipitée.  

Challenger notre consommation d’énergie, un défi trop peu pris en compte 

Si la Déclaration reconnait que « nous pouvons ralentir quelque peu l’accroissement de la demande en électricité en nous concentrant sur une utilisation raisonnable de l’énergie et en investissant dans l’efficacité énergétique », elle reste très peu ambitieuse de ce côté, se contentant par exemple de prendre pour un fait accompli que « la consommation d’électricité va doubler d’ici 2050. »  

Parallèlement notons que la déclaration mentionne souvent la flexibilité, mais sans qu’une vision claire n’apparaisse sinon « de maximiser les forces du marché. » Notons ici que le mix énergétique le plus « abordable » (pour reprendre l’objectif de la déclaration) selon le Blue print d’Elia est le scénario « sufficiency » c’est-à-dire sobriété…  

Les fossiles out…. All about money 

Outre les investissements dans notre système électrique déjà mentionné et la nécessaire sobriété et efficacité, le fédéral reste le meilleur endroit pour fixer un prix favorable « à l’électricité et aux combustibles neutres en carbone et défavorable aux combustibles fossiles » comme le prévoit la Déclaration.  Toutefois, la Déclaration reste en campagne électorale et pêche par manque de réalisme en stipulant que ce transfert des prix ne peut affecter ni les entreprises ni les consommateurs, ou que les « accises sur l’électricité pour les entreprises seront « abaissées au minimum européen » et « le tarif transport au niveau de ceux des pays voisins » … Si cela veut dire que l’unique option est une baisse du coût de l’électricité pour tous, comment financerons-nous les investissements dans le système électrique susmentionné ?  

Peut-être en « supprimant » les soutiens financiers aux énergies fossiles ?  Comme Eva Joskin  le mentionne dans l’article “climat”. On est dubitatif sur la volonté du Gouvernement d’y arriver.  

En parlant de fossile, l’accord de Gouvernement ouvre trop la porte à l’utilisation d’Hydrogène non vert produit à partir de gaz fossile. Sur cette base il envisage même une utilisation de l’Hydrogène y compris dans le transport, alors qu’il faut restreindre son utilisation aux secteurs où il n’y a pas d’autres options.

Le Ministre Bihet aura en tout cas largement de quoi faire dans les 4 années qui s’ouvrent. Car ne rien faire n’est pas une option si on veut offrir à notre pays un avenir énergétique abordable et durable… Mais à la lecture de la déclaration de Gouvernement, nous pensons qu’il faudra sans doute changer l’ordre de certaines priorités…