Jamais les astres n’ont été aussi bien alignés pour voir notre pays adopter une politique d’investissement public massive centrée sur l’environnement. Comme nous le soulignions dans notre récent dossier « Vers un plan Finance climat intégré », cette politique est une condition nécessaire pour la transformation de notre société. Nécessaire mais pas suffisante ! Car évidemment il ne suffira pas de mettre la main au portefeuille pour sauver la planète ! Mais la finance jouant un rôle important dans la manière dont notre société fonctionne aujourd’hui, changer la finance, c’est changer le monde.
L’Europe donne le ton
Le Green deal européen, plan pour une « croissance verte » présenté par la Commission de madame Ursula Von Der Leyen en juillet 2019, semble gagner en importance dans l’agenda européen. Il constitue notamment la colonne vertébrale, du plan de relance post covid (appelé Next génération). Au cœur de ce plan on trouve la stimulation des investissements « durables ». Par exemple, la Commission propose que 30% de tous les budgets européens soient consacrés à l’action climatique…
Cette ambition budgétaire devrait se répercuter sur les pays membres dont la Belgique. Elle devrait « recevoir » 5 milliards € d’aides dans le cadre de cette relance EU. Une condition : consacrer une part de ce montant au climat et à la protection de la biodiversité (40% climat et 10% pour la biodiversité selon le parlement mais la répartition finale doit être confirmée). Evidemment, cette enveloppe devra être partagée entre les Régions et le Fédéral, ce qui promet d’ores et déjà de passionnantes discussions intra belges. La Belgique doit rendre un plan pour accéder a cette manne avant avril 2021.
Au fédéral, le train est en route
Un pilier du nouvel Accord de Gouvernement est la mise en place d’un « plan de relance et de transition interfédéral », plan de relance de type Keynesien par l’investissement centré notamment sur la transition énergétique, le rail et l’intermodalité etc. Objectif affiché : booster les investissements publics qui passeraient à 4% du PIB, contre 2,6% en 2018.
La promesse n’est pas neuve. Le Gouvernement précédent avait également mis en place un Plan de relance par l’investissement. Mais étant donné la touche plus verte du Gouvernement actuel, on est en droit d’espérer une nouvelle mouture plus « durable »…
Il reste quelques domaines de compétence fédérale cruciaux pour la transition et en manque d’investissement. Au premier chef, citons le ferroviaire. Les besoins d’investissement sont estimés à 2 milliards €/an, soit les estimations du précédent plan pluriannuel d’investissement de la SNCB/Infrabel 2013/2025. Lequel n’a jamais été mis en œuvre. L’éolien offshore requiert aussi un soutien public pour atteindre 4,4GW en mer du Nord avant 2030.
Un moyen de dégager les fonds nécessaires ? Réorienter l’activité (et les 2,5 milliards € d’actifs !) de la puissante Société Fédérale de participation et d’investissement (SFPI) vers des activités plus durables. Cette promesse figure d’ailleurs dans le tout nouvel Accord de Gouvernement.
Notons enfin que le Fédéral devra surtout jouer un rôle de chef d’orchestre notamment pour coordonner le plan national de résilience et de relance demandé par l’Europe d’ici à fin avril, condition sine qua non pour obtenir les fameux 5 milliards € européens ! Gageons que cette obligation de s’entendre pour toucher le magot poussera les gouvernements régionaux et fédéraux à s’entendre vite.
Les Régions, en première ligne
Mais la part du gâteau en terme d’investissement revient aux Régions. LA priorité absolue en la matière, on ne le répètera jamais assez, est la Rénovation des logements privés. Il va falloir entre autres choses de l’argent public pour y arriver… Bien plus que ce qui est actuellement sur la table ! IEW estime le montant nécessaire à une fourchette comprise entre 250 et 500 millions €/an d’argent public dans les prochaines années. La stratégie rénovation avec une vision plus optimiste des choses ramène cette enveloppe autour de 150 millions/an mais elle table sur une amélioration substantielle de l’efficacité de mesures d’accompagnement et sur l’implémentation d’une tarification carbone… Or une tarification carbone socialement juste semble repoussée aux calandes grecques par le nouveau Gouvernement fédéral, compétent en la matière.
A coté de cela, IEW a listé en 2019 quelques investissements publics nécessaires pour la Wallonie. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive.
Quoi | Montant estimé (Millions €/an) |
Rénovation privée | 250-500 |
Politique cyclable ambitieuse | 100 |
Concrétiser les plans communaux de mobilité | 20 (en crédit d’impulsion) |
Developer des bandes bus TEC (10-30 bandes prioritaires) | 200 |
Mise en œuvre de la Directive « bruit » | 30 |
Total | 580-880 |
S’il s’agit d’importantes sommes, rappelons que c’est de l’argent bien investit dans le cadre d’une politique de relance. Par exemple, chaque million investi dans la rénovation amène, selon l’IWEPS, 13,5 emplois nouveaux……
Comment trouver tout cet argent
C’est évidemment le cœur du problème. Aujourd’hui, les Etats se sont émancipés des règles budgétaires et s’endettent sans compter. Mais cet endettement reste un report de dépenses vers des années ultérieures. En d’autres termes, emprunter aura toujours un coût pour les générations futures. Un endettement supplémentaire pour des investissements publics dans la transition énergétique n’est dès lors acceptable que s’il permet d’éviter des coûts (notamment ceux liés aux changements climatiques) pour ces mêmes générations futures. Mais surtout, comme nous le développions dans notre dossier Vers un plan finance climat intégré, la politique d’investissement doit se mener conjointement à un assèchement de l’économie grise, à la mise en place d’une fiscalité verte et à l’assainissement et au verdissement de la finance privée (voir tableau ci-dessous).
Cet article est rélisé en soutien de la Minor foundation for Major challenge.