Espace public ou espace publicité ?

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Lyon, Edimbourg, Grenoble, Amsterdam, Londres, La Haye … Partons à la découverte de ces quelques villes ayant eu l’audace d’interdire certains contenus publicitaires dans leurs espaces publics ! Croisières en bateau, vols touristiques, SUV, malbouffe… comment espérer un changement de comportement de la part de sa population lorsqu’une commune cautionne en son sein la promotion d’un mode de vie malsain ?

TABLE DES MATIÈRES

Table des matières

  1. Une Pollution visuelle omniprésente
  2. La publicité, au service de l’intérêt général ?
  3. Publicité et santé mentale
  4. Que disent les partis ?
  5. Les initiatives locales
  6. Conclusion

Une Pollution visuelle omniprésente

Un sentiment d’impuissance

Un autocollant « Publicité non merci » sur notre boite aux lettres pour éviter de remplir notre poubelle carton de magasines publicitaires, l’extension Adblock pour limiter la publicité sur notre ordinateur, les spams pour épurer notre boite mail du contenu indésirable, quitter son fauteuil momentanément lorsque la publicité s’empare de notre écran TV… mais quelles solutions pour se prémunir de la publicité dans l’espace public ?

Comme le souligne le collectif Bruxelles Sans Pub, « la pub est violente, parce qu’elle est imposée, à sens unique et qu’on ne peut en faire abstraction. Elle résulte d’une volonté des entreprises de matraquer les citoyennes et citoyens pour créer un besoin qu’ils n’avaient pas auparavant. »

Des initiatives émergentes

« La publicité a un rôle clé à jouer dans la promotion des comportements à faible émission de carbone. À l’inverse, la promotion de produits à forte teneur en carbone est incompatible avec les objectifs « net zéro ». » Voilà la position assez claire du Conseil municipal d’Edimbourg concernant la publicité dans l’espace public. Dans les rues de la ville écossaises, cela se traduit par une interdiction des publicités pour les compagnies de combustibles fossiles, les compagnies aériennes, les aéroports, les voitures à moteur fossile, tous les SUV et les navires de croisière. La Haye a également appliqué cette ligne de conduite. En effet, la métropole néerlandaise souhaite «  être neutre sur le plan climatique d’ici 2030. Il n’est donc pas approprié d’autoriser la publicité pour les produits de l’industrie fossile« 

En France, depuis 2014, la métropole de Grenoble a l’audace de supprimer petit à petit la publicité de son territoire ! L’initiative de Grenoble avait d’ailleurs amené l’Union de Villes et des Communes (UCVW) à se positionner auprès du Gouvernement wallon sur l’opportunité d’interdire la publicité sur le domaine public. Selon l’UVCW, « L’espace public constitue, à n’en pas douter, un support efficace pour une enseigne ou un dispositif de publicité en ce qu’il permet de viser le plus grand nombre de citoyens. Cette utilisation de l’espace public participe de la sorte, d’une part à la poursuite du droit constitutionnel qu’est la liberté de commerce, mais également à la fourniture de services aux citoyens. »

Si la Wallonie n’est pas encore motrice dans la modération publicitaire, Bruxelles, par l’intermédiaire de son nouveau règlement régional d’urbanisme (RBU), compte diminuer d’environ 50% le nombre de panneaux publicitaires de type « sucettes ». Notamment à proximité des écoles, des crèches, à l’abord des carrefours, etc. Aussi, les dispositifs lumineux devront être éteints la nuit, entre 1 heure et 6 heures.

Mais quel est réellement l’ampleur de la publicité dans l’espace public belge ?

Pour répondre à cette question, rendons-nous sur les sites des principales compagnies publicitaires du pays : JCDecaux et ClearChannel.

En visitant le site de ClearChannel, nous avons accès au portail « Ma Pub en Rue ». Cette plateforme permet à chaque entreprise de choisir les emplacements pour diffuser leurs campagnes marketing au sein de l’espace public. On y trouve notamment le nombre d’emplacements par quartier ainsi que leurs positions exactes. Une petite mine d’or quand on cherche à objectiver cette pollution visuelle. Au total, ClearChannel dispose de 13 000 panneaux publicitaires !

Le site de JCDecaux ne présente pas une telle carte, mais dénombre les installations présentes sur le territoire : 15 000 ! Ils déclarent avoir suffisamment de supports publicitaires dans toute la Belgique pour « toucher jusqu’à 70% de la population active en une semaine » ! Sept personnes sur dix sont donc, malgré elles, exposées aux publicités de JCDecaux en l’espace de sept jours.

Près de 30 000 supports publicitaires donc, uniquement pour ces deux compagnies…

Entre schizophrénie et greenwashing

Une petite pépite trouvée sur le site de JCDecaux, où la photo suivante est reprise à côté de cette déclaration : « Nous travaillons avec des designers de renom pour créer des mobiliers attractifs, conçus pour s’intégrer harmonieusement à leur environnement. » Bien que la notion « d’intégration harmonieuse » reste très subjective à chacun d’entre nous, en quoi une moule en métal de 30 mètres de long est-elle plus attractive que les arbres à présent occultés en arrière-fond ?

Légende : Kensington Screen (Londres) – Zaha Hadid Design – Source: Capture d’écran de la page JCDecaux)

Sur la photo suivante, vous voyez le prototype de JCDecaux  d’un support publicitaire censé dépolluer l’air ambiant de ses particules fines afin de protéger la santé des voyageurs attendant leur bus. Alors, comment vous dire… Si vous souhaitez réellement améliorer la qualité de l’air que l’on respire, arrêtez d’afficher des publicités promouvant l’usage de biens et services polluants ! Et pas la peine de se donner bonne conscience en affichant des publicités pour SUV électriques, leurs pollutions en particules fines (hors échappement) restent un véritable problème sanitaire !

Abribus Filtreo déployé à Strasbourg (Source : Capture d’écran sur le site actu.fr | ©JCDecaux)

Trouveriez-vous ça normal d’avoir : une publicité pour cigarette ou alcool dans une salle d’attente médicale ? Une publicité pour l’e-commerce chez votre commerçant de quartier ? Une publicité pour liseuse numérique dans votre librairie préférée ? Ou carrément… une publicité pour voitures dans une gare ? Ah non pardon, ça, c’est fait !

Voici un dernier exemple, particulièrement indignant, et illustrant à merveille que certains affichages publicitaires rendent les citoyens complètement schizophrènes : une belle publicité pour SUV dans le hall d’une gare (Liège Guillemins) ! Et oui, c’est important de rappeler aux passagers de la SNCB que ce serait quand même mieux pour leur statut social d’avoir une grosse bagnole plutôt que de s’em****** à prendre les transports en commun.

Figure 2: Publicité pour SUV dans la gare de Liège Guillemins (©Pierre Jamar)

Depuis plusieurs décennies, la publicité pour le tabac est interdite. Cette mesure règlementaire a permis, en plus de l’interdiction de fumer dans certains lieux, de contribuer à la réduction du nombre de fumeurs. Au même titre qu’un fumeur est addicte à la nicotine, la plupart des Occidentaux que nous sommes sont addictes à leur mode de vie consumériste. Comme pour le tabac, le sevrage ne devrait-il pas être stimulé par une épuration de la tentation dans nos lieux publics ?

La publicité, au service de l’intérêt général ?

Les arguments exprimés par certains défenseurs de la publicité mobilisent généralement le fait que les revenus publicitaires permettent de financer du mobilier urbain (vélos partagés, toilettes publiques, poubelles, abribus, …). “Nous augmentons le confort des citoyens dans l’espace public et finançons cela grâce aux revenus publicitaires”, résume ainsi le CEO de JCDecaux.

Supprimer l’affichage publicitaire serait-il vraiment une perte de revenus pour les communes ?

« Une étude britannique de la New Economics Foundation révèle qu’une livre sterling de valeur créée par la publicité engendre onze livres d’externalités négatives, soulignant que les coûts environnementaux, sociaux et sanitaires pour la collectivité sont nettement supérieurs aux revenus générés par les contrats publicitaires. Réparer les dommages causés par la publicité coûte plus à la société que ce qu’elle rapporte, ce qui doit être anticipé par les autorités politiques. »1

De plus, quels sont réellement les bénéfices générés par l’affichage publicitaire au sein de chaque commune ? Bien qu’il existe une vraie zone de flou sur ce sujet, l’UVCW estime que « certains dispositifs permettent aux communes de réaliser de substantielles économies dans la fourniture de services aux citoyens. ». « Il est en effet question de financer via les dispositifs publicitaires, l’installation de stations vélo pour les vélos en libre-service, mais également de leur entretien et de leur maintenance. On parle également de l’installation, de l’entretien, des réparations et de la maintenance de centaines d’abris de bus pour les communes d’une certaine ampleur. Ces contrats permettent l’entretien et les réparations pour plusieurs années. Ces deux exemples représentent un coût de plusieurs millions d’euros qui serait impossible à assumer pour les pouvoirs locaux dans un contexte d’investissement local limité. »

De la logique des bénéfices communaux à la prise en compte des coûts évités

La malbouffe, la mobilité lourde (SUV), la fast-fashion, le tourisme low-cost,… ont d’énormes répercussions sanitaires qui coûtent à la collectivité. Prenons l’exemple de la malbouffe. Qui n’a jamais aperçu une affiche publicitaire vous présentant un gros burger faisant saliver au moindre regard ? Ou bien cette publicité promouvant une boisson sucrée ? Personne.

A l’heure où la Belgique compte 1 enfant sur 4 en surpoids, est-il encore responsable promouvoir ce type d’alimentation dans l’espace public ? 

Le Conseil supérieur pour la santé semble avoir un avis assez clair sur la question et prie « les autorités d’intervenir à tous les niveaux (européen, fédéral, régional, local) et d’introduire des réglementations qui protègent les enfants jusqu’à 18 ans contre la publicité et le marketing d’aliments malsains. » (Vous trouverez une présentation du rapport ici). L’opinion publique semble également encline au déploiement de cette recommandation. En effet, « une étude récente de Sciensano souligne que 66% de la population est favorable à une interdiction du marketing alimentaire visant les enfants et les adolescents. » Le Président du PS, Paul Magnette a d’ailleurs plaidé à plusieurs reprises en ce sens.

Londres n’a pas attendu la sortie de cet avis pour interdire, dès 2019, la pub pour la malbouffe dans son réseau de transport. Les résultats qui s’en suivirent se passent de tout commentaire : réduction de 20% de la croissance des achats pour les confiseries et le chocolat, achat de 1000 calories en moins par semaine par ménage (diminution de 6,7%), et pas de pertes de revenus publicitaires car les entreprises ont mis en avant des produits plus sains. Cette mesure a donc incité / obligé les annonceurs à donner plus de visibilité à de meilleures alternatives.

Un autre argument avancé par certains libéraux pour défendre la publicité consiste à dire que la publicité est une matérialisation de la liberté d’expression et que chaque consommateur a le droit d’obtenir des informations sur la disponibilité d’un produit.

Quid de la liberté de chacun de ne pas se faire manipuler au quotidien ? En parlant de manipulation, ne lit-on pas sur le site de ClearChannel que « l’affichage est la première source de repérage pour plus de 8 personnes sur 10 et incite plus d’1 personne sur 2 à se rendre au magasin ». Ou encore, « 72% des consommateurs qui ont vu une affiche dans les 30 dernières minutes envisagent de chercher plus d’informations sur les produits affichés. 59% déclarent que cela augmente la probabilité d’un achat. ». Mais rassurez-vous, vous n’êtes pas manipulé. Surtout pas. Juste « incité ». Juste une petite information, à prendre ou à laisser.

Publicité et santé mentale

La publicité nous rend malheureux. C’est ce qu’ont constaté une équipe d’économistes et chercheurs en science comportementale.

La satisfaction de vie de 900 000 citoyens européens a été analysée sur trois décennies (1980 – 2011) et comparée avec les sommes annuelles dépensées en publicité.

Résultat de l’étude: + les dépenses publicitaires augmentent, + le niveau de satisfaction générale diminue.

Selon le professeur Andrew Oswald, à la tête de cette étude, cette corrélation négative peut être expliquée de manière assez intuitive: « Les publicitaires cherchent à générer cette insatisfaction. Ils troublent nos désirs pour que nous cherchions ensuite à apaiser ce trouble en achetant plus de biens, plus de services (…) Face à toute cette publicité, les attentes sont plus élevées – du coup, notre vie, nos succès, nos biens, nos expériences nous semblent peu satisfaisants« .

Avez-vous déjà entendu parler du concept de « Dissonance cognitive » ? En psychologie sociale on parle de dissonance cognitive lorsqu’une personne se trouve confrontée simultanément à des informations, opinions, comportements ou croyances incompatibles entre elles.

La grande majorité des publicités automobiles actuelles nuisent à l’atteinte des objectifs climatiques en vantant les mérites de modèles fonctionnant aux énergies fossiles.

Légaliser la présence de ces contenus publicitaires dans l’espace public revient donc à légitimer la promotion d’un mode de vie néfaste et non soutenable.

Des philosophes et psychanalystes ont également démontré qu’à travers le concept de « désir mimétique », qui est au cœur même du fonctionnement de la publicité, le lien social est tronqué en favorisant la rivalité en lieu et place de l’empathie.

Une remise en question de la publicité est nécessaire si nous souhaitons promouvoir un changement de comportement auprès des consommateurs.

Que disent les partis ?

En période pré-électorale, Canopea avait mené une analyse des différents programmes de partis politiques sous l’angle de la santé-environnement. Les mesures touchant à la publicité en faisaient donc naturellement partie. Voici une synthèse du positionnement des différents partis :

Chers partis, il ne vous reste plus qu’à mettre en pratique ces bons vœux dans vos communes !

Les initiatives locales

Envie de vous mobiliser, d’en savoir plus sur les luttes en cours contre la publicité dans nos espaces publics ?

Voici quelques initiatives en cours qui pourraient vous intéresser, voir vous inspirer à lancer un mouvement dans votre commune :

Conclusion

En septembre 2024 plusieurs associations et collectifs de citoyens, dont Canopea, ont signé une carte blanche dans laquelle ils écrivaient: « Pour mettre en œuvre les engagements internationaux pris ces dernières années par l’Europe et l’Etat belge (notamment l’Accord de Paris visant à limiter le réchauffement climatique), notre société gagnera à informer ses concitoyen.ne.s de manière cohérente et à créer les conditions nécessaires à l’émergence de modes de consommation et de production soutenables. La publicité peut et doit y jouer un rôle. Elle est un puissant vecteur de références socioculturelles déterminantes pour la transition écologique et sociale. »

Les contrats étant passés avec les entreprises d’affichage publicitaire et signés par la Région ou par les communes, il est possible (et enviable !) de changer les règles du jeu pour épurer la publicité de ses contenus nuisibles à la santé et à l’environnement. Pour cela, il « suffit » de poser un meilleur cadre lors du renouvellement des contrats.

« Par quoi avez-vous remplacé les panneaux publicitaires ? » C’était la question posée à l’échevin des espaces publics de la ville de Grenoble. Sa réponse fera office de conclusion : « Par des choses diverses et variées : des arbres, de la végétation, du street art, tout ce qui peut rendre la ville plus agréable à vivre pour ses habitant·es, tout simplement. Nous avons aussi déployé de nouveaux dispositifs d’affichage municipal avec notre mobilier design VOX mais aussi de panneaux d’affichage libre à destination des associations, des unions de quartiers, des acteur·tices culturel·les… Bref, de celles et ceux qui font vivre la ville et la démocratie locale plutôt que de chercher à booster la consommation par le rêve orienté. »

Pour en savoir plus :

En 2023, Canopea a mis à jour sa Position sur la régulation de la publicité commerciale et rédigé un dossier en Education Permanente sur le sujet.

Crédit image d’illustration : Adobe Stock

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  1. Carte Blanche, « Libérons l’espace public de l’affichage publicitaire », 05/09/2024