Etalement urbain: des collectivités européennes innovent

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S’il existe malheureusement en Wallonie un problème environnemental qui se poursuit dans l’indifférence quasi-généralisée, c’est bien celui de l’étalement urbain. La dispersion de l’habitat, en particulier, constitue un phénomène grave qu’on étudie et suit, au moins depuis les années 1980. Et sans dire que sur ce dossier la Wallonie a fait sien l’adage « Connaissance sans conscience n’est que ruine de l’âme », admettons que la lutte contre ce processus grave, quelle qu’en ait été l’intensité, n’a pas abouti à des résultats particulièrement probants. Bien au contraire serait-on tenté de dire.
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L’étalement urbain atteint des proportions alarmantes en Wallonie : Waterloo, à gauche, Erpent, à droite (crédits : Google Earth)

Plutôt que de procéder à une énième analyse des outils successifs développés ad hoc par les politiques wallons, si on s’intéressait un peu à ce qu’ont mis en place nos voisins européens ? Car, si nous sommes tentés, souvent, de nous autoflageller sur la médiocrité de notre organisation territoriale, et à s’enthousiasmer sur les qualités urbanistiques de la compacité allemande ou néerlandaise, qu’en connaît-on fondamentalement ? Dans ce contexte : petit tour de vue de différents dispositifs mis en place ces dernières années dans des régions d’Europe qui innovent politiquement, parce qu’elles considèrent leur territoire comme une ressource rare et primordiale au sens du développement durable

Compensation à l’urbanisation

Dresde, Allemagne

Aujourd’hui, l’enjeu principal en matière d’aménagement du territoire, c’est la diminution voire l’arrêt de l’urbanisation réalisée sur des espaces non urbanisés. Si les processus constructifs doivent forcément pouvoir se poursuivre – évolution démographique, évolution de la taille des ménages, évolution des besoins des acteurs économiques, enjeux de l’espace public et de l’accès à la nature… – ceci doit se faire a maxima en réinventant la forme de l’espace urbanisé, la modulation de la densité, la répartition des espaces non bâtis, en quelque sorte en « construisant la ville sur la ville ». La limitation de l’urbanisation par une réglementation ad hoc, c’est à Dresde qu’elle semble aujourd’hui la plus aboutie. Sans y proscrire en théorie l’urbanisation, la ville a mis en place un système de compensation hectare pour hectare, à même de maintenir la surface urbanisée de la ville à un niveau constant.

La Ville de Dresde a défini un objectif de planification à long terme qui limite à 40% l’urbanisation (parcelles urbanisées et assiette des axes de communication) du territoire communal. Pour rencontrer cet objectif, la Ville a mis en place un système de compensations. Le principe en est simple : quand on urbanise un terrain alors non urbanisé, on doit compenser en désurbanisant une surface équivalente jusque là urbanisée. S’ils ne peuvent pas ou ne souhaitent pas effectuer les mesures de compensation, les demandeurs ont la possibilité de payer une indemnité à l’administration communale de l’environnement, dont une des missions est de mener des projets de désurbanisation. Les demandes pour bâtir dans les quartiers les plus centraux sont généralement exemptés de mesures de compensation, ceci dans le but d’orienter les développements immobiliers dans les zones géographiques les plus adéquates et ainsi arrêter l’étalement urbain.

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A densité de population équivalente, l’urbanisation (en rouge) exerce une pression sur le territoire beaucoup plus importante en Belgique qu’aux Pays-Bas : mitage du territoire, occupation de plus d’espace (crédits : Gorm Dige EEA)

Soutien au centre des petites villes par le commerce

Danemark

La politique danoise de soutien au centre des petites villes est basée sur l’idée que le commerce constitue un facteur clé d’animation, d’attractivité et d’habitabilité. Cette politique vise à lutter contre une réalité territoriale qui a vu ces dernières décennies les centres-villes perdre beaucoup. A la façon wallonne, les commerces n’ont eu de cesse, au Danemark, de quitter les centres-villes au profit de localisations périphériques plus favorables, en particulier au niveau des disponibilités foncières, du coût du foncier, du parking, de l’accessibilité automobile. Le résultat, les centres-villes de petites villes danoises sont largement sur le déclin.

Dans ce contexte, un système de trois outils de planification y a été mis en place :
(1) la délimitation des centres-villes et des centres de quartiers
(2) la fixation d’une superficie totale maximale de m2 commerciaux pour chaque zone donnée
(3) l’institution d’une taille maximale pour les commerces : pour les commerces généralistes, 3000m2, et pour les commerces spécialisés, 1500 m2.

Taxe sur l’eau de pluie rejetée à l’égout

Allemagne

L’artificialisation des sols constitue un problème environnemental majeur connexe à celui de l’étalement urbain. Plus le sol est imperméable, plus il y a de sols imperméables, moins les précipitations peuvent s’y infiltrer et plus les épisodes pluvieux risquent de générer inondations et glissements de terrains. La prise en charge des eaux de pluie par l’égouttage public constitue une fausse bonne solution : il est coûteux ; sa capacité est limitée ; en situation de surabondance de la quantité d’eau à traiter, l’assainissement perd en efficacité. En outre, si elle est égouttée, l’eau de pluie ne vient plus alimenter la nappe phréatique dont le niveau alors baisse. D’où l’enjeu majeur pour la collectivité de limiter l’imperméabilisation des sols.

L’Allemagne a développé à cet égard un système de taxation intéressant. Les communes allemandes prélèvent une taxe sur les eaux de ruissellement. Cette taxe se rapporte à la quantité d’eau dirigée, pour chaque parcelle, vers le réseau d’égouttage communal. La taxe est calculée sur base de la surface imperméabilisée de la parcelle. Certaines communes offrent des abattements sur cette taxe, par exemple dans le cas de l’installation de dispositifs valorisant l’eau de pluie (récupération de l’eau à des fins domestiques, d’arrosage) ou pour l’installation de surfaces perméables pour les revêtements au sol (gravier, dolomie, pavement à larges joints).

Fiscalité favorable aux toitures vertes

Berlin, Allemagne

Pour lutter contre l’artificialisation de son sol, la ville de Berlin prélève des taxes sur la quantité d’espace au sol utilisée par les bâtiments commerciaux. Cette taxe s’y élève à 2 euros par an par m2. Cette taxe peut être diminuée dans certains cas. Ainsi, si le bâtiment commercial est coiffé d’une toiture verte, cette taxe sera diminuée de 50%. Ce système incitatif a été développé dans d’autres villes allemandes (Bonn, Munich, Stuttgart), ce qui a progressivement rendu la toiture verte assez commune en Allemagne et y a ainsi considérablement limité la charge de l’eau de pluie sur l’égouttage public.

Protection de l’espace agricole face à l’urbanisation

République Tchèque

La protection de la surface agricole face à l’urbanisation constitue aujourd’hui une des questions majeures que ce pose l’aménagement du territoire. Ceci, parce que l’espace agricole constitue une part très importante de la surface non artificialisée du territoire, et qu’à ce titre, elle joue un rôle crucial dans l’infiltration dans le sol de l’eau de pluie et dans l’alimentation de la nappe phréatique. Mais aussi, parce que la nécessaire transition agricole vers une agriculture plus extensive et plus locale implique le maintien d’une surface agricole au moins aussi importante. A cet égard la République Tchèque s’est révélée pionnière.

Jusque dans les années 1990, la surface agricole du pays était en baisse constante. L’urbanisation se développait à un rythme soutenu en lieu et place de cultures et pâtures. Souvent, les meilleurs sols en étaient les victimes. Proches des plus grandes agglomérations, les pressions qui s’y exerçaient étaient très importantes.

C’est alors, encore au temps de la Tchécoslovaquie, qu’une législation ad hoc pour protéger la ressource agricole a été mise en place. Le système définit cinq classes de terres agricoles, les classes I et II représentant les terres les plus fertiles.

Le principe de base de cette réglementation, c’est de rendre l’urbanisation des terres agricoles d’autant moins aisée que les terres agricoles visées sont de bonne qualité. Si théoriquement l’urbanisation de toute terre agricole reste possible, la prise en compte de l’intérêt agronomique dans le processus oriente l’urbanisation vers les terres de moins bonne qualité. En effet, plus la terre est de bonne qualité, plus la procédure pour être autorisé à y développer un projet immobilier est contraignante : niveau institutionnel de l’autorité délivrant l’autorisation, délais, niveau de la taxe sur le m2 urbanisé contribuant à l’alimentation d’un budget public de protection de l’environnement.

« Rode contour », plus qu’un frein, un stop à l’étalement urbain

Pays-Bas

Les Pays-Bas incarnent depuis plusieurs décennies un vrai modèle d’aménagement durable du territoire : des espaces bâtis compacts, de franches ruptures entre zones bâties et non-bâties, la pratique d’une densité raisonnée qui ménage de réels espaces publics et espaces verts en ville. Un pays aux relents socialistes dans l’action publique ? Ou, un pays appréhendant avec à-propos des enjeux environnementaux qui sont aussi les nôtres ? Sans trancher la question, observons juste l’extrême efficacité du planning néerlandais. Une efficacité qui n’a pas semblé affecter l’insolent développement du pays, aujourd’hui encore une des économies mondiales les plus performantes.
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« Uitsnede streekplan Zuid-Holland Oost » : sur le plan régional d’aménagement de l’est de la Hollande du sud aux Pays-Bas, le « rode contour » limite clairement l’urbanisation dans la zone définie

L’entièreté du territoire national se répartit entre une zone urbaine et une zone rurale. Les projets d’urbanisation prennent place en zone urbaine. Celle-ci doit respecter des standards précis concernant la qualité de vie – espaces verts, espaces publics, bonne accessibilité –, la zone urbaine constituant la zone où on habite. La zone rurale rassemble elle l’espace dédié à l’agriculture et à la nature. Si urbanisation il y a, elle doit servir la ruralité. Les constructions autorisées doivent contribuer à son développement. Une réalité, par exemple, qui y exclut strictement le périurbain pur jus qui ceinture, pas toujours très heureusement, nos villes wallonnes.

Une boîte à outils, enrichie depuis plusieurs décennies, garantit cette organisation territoriale. Parmi eux, le « rode contour ». Il consiste à dessiner une limite physique entre zone urbaine et zone rurale. Il définit donc clairement une orientation quant au développement du lieu, avec des implications très concrètes concernant les droits à bâtir, la densité autorisée, le type d’activité, les aides éligibles. D’un côté du « rode contour » on pourra bâtir assez généreusement ; par contre, de l’autre côté on sera beaucoup plus limité. Un arbitrage politique des plus difficiles à adopter… mais un arbitrage des plus nécessaires environnementalement.

Malheureusement, de tels arbitrages, la Wallonie semble généralement loin. Et ce n’est pas les débats interminables et parfois si surréalistes autour des concepts de « noyaux d’habitat » ou de « territoires centraux » qui nous démentiront.