Quels sont les résultats de l’étude « Greenlight » menée par GiveAction, agence de pub durable en collaboration avec RMB et JCDecaux ? Et ce type d’étude fait-il avancer la nécessaire réflexion sur la régulation de la publicité commerciale ou contribue-t-elle à assurer au secteur une forme de toute-puissance sur fond de désertion des autorités politiques ?
GiveActions, qui se définit comme une agence média responsable, vient de mener une étude dénommée « Greenlight, », en partenariat avec RMB (Régie Média Belge active à la RTBF, LN24, NRJ, …) et JCDecaux (affichage), étude qui analyse l’état du greenwashing dans la publicité en Belgique en 2023. Elle examine 12 950 publicités diffusées à la télévision, à la radio et sur les panneaux d’affichage extérieurs.
Les auteurs de l’analyse précisent qu’elle s’est basée sur les règles déontologiques publicitaires fournies par les jurys d’éthique publicitaires belge et français (JEP & JDP), le Code ICC, les recommandations de l’ADEME en France ainsi que via les informations retenues dans la dernière directive européenne sur le greenwashing.
Les principaux résultats sont
- 9,2% des publicités contiennent une allégation environnementale1.
- Parmi ces publicités :
- 60,8% respectent les règles déontologiques
- 30,6% présentent un risque de greenwashing
- 8,6% sont considérées comme des cas très probables de greenwashing
Au total donc, 39,2% des publicités avec une allégation environnementale sont à risque de greenwashing.
Résultats par média
- L’affichage extérieur (OOH) présente plus d’allégations environnementales, mais moins de risques élevés de greenwashing.
- La radio montre un taux plus élevé de risque de greenwashing, en partie dû à une campagne spécifique.
Résultats par secteur
L’étude révèle des disparités entre les secteurs :
- Certains communiquent peu sur l’environnement, comme le précise le graphique ci-dessous :
D’autres présentent des taux élevés de greenwashing lorsqu’ils le font.
Madame de Kerchove, de RMB, dans le journal L’Echo du 20/11/2024, souligne que « l’automobile n’arrive qu’à la 14é place s’explique par le fait que le secteur a été attaqué pour ses allégations très tôt et a corrigé le tir. Il est davantage prudent ». Nous reviendrons brièvement sur cette assertion.
Recommandations
GiveActions termine son travail par quelques recommandations aux annonceurs :
- Ajouter de la nuance et être spécifique dans les allégations
- Fournir des preuves et des explications concrètes
- Utiliser des expressions comme « contribuer à » pour plus de précision
- Assurer la proportionnalité entre les visuels et l’impact écologique réel.
Quelques réflexions autour de cette étude
Verdir, est-ce encore vendeur ?
- Saluons ce travail d’objectivation d’une dérive classique au sein du secteur publicitaire qu’est le greenwashing. Sur 12.950 pubs, 1196 comportent des allégations environnementales et 468 sont « at risk of greenwashing » : 3% de l’échantillon. C’est trop, bien sûr, mais ce n’est objectivement pas dramatique… Un encadrement de plus en plus strict, comme le fait notamment l’Europe devrait encore réduire ce risque. Surtout, un des points positifs de ce travail est d’établir un état des lieux. Il conviendra de répéter l’opération afin de mettre en évidence les évolutions.
Il serait à ce titre intéressant de voir si la publicité va suivre les tendances sociétales actuelles que l’on pourrait résumer sous le terme d’écolobashing. Si la lutte contre les dérèglements climatiques et la perte de la biodiversité était relativement tendance il y a 6-7 ans, c’est loin d’être encore le cas aujourd’hui. Les discours simplistes et démagogiques martelés par de nombreux partis politiques notamment de droite ont trouvé une oreille attentive auprès d’une population déboussolée, mobilisée par la peur ou le déni. Associer, de façon mensongère ou non, des valeurs ou représentations « vertes » à un produit pourrait dans un tel contexte s’avérer contreproductif. L’exercice sur les pubs de 2024 pourrait nous éclairer sur cette évolution.
Pub+greenwashing = non; Pub-greenwhasing=OK ?
- Le cas de l’automobile est, comme c’est souvent vrai en matière d’analyse des publicités, intéressant. Le secteur est friand des allégations environnementales mais reste dans les clous. L’explication en termes d’auto-régulation avancée par la RMB nous semble légère car elle ne prend pas en compte l’évolution des produits : il est, avec l’électrification progressive du parc, beaucoup plus facile de se déclarer vertueux en matière de climat puisqu’on ne considère, par exemple, que les émissions de CO2 à l’échappement dans la règlementation. Le secteur va donc se concentrer sur des véhicules électriques zero émission CO2, mais très consommateurs de matières premières dont certaines produites dans des conditions totalement inacceptables, véhicules lourds, puissants et agressifs, dangereux pour les autres usagers, surtout les usagers actifs, le tout à des prix qui excluent d’office les personnes aux revenus modestes. Notons que le secteur automobile n’est pas repris dans la liste des activités refusées de la charte de GiveActions (« il sera du ressort du comité de décider au cas par cas si un constructeur automobile est réfusé ou non). C’est une concession importante – et critiquable – à un des plus gros annonceurs. Comme le souligne, Pierre Courbe, dans son édifiant dossier « Voitures et CO2 : une défaite européenne« , l’adoption d’objectifs de réduction des émissions de CO2 des voitures neuves vendues en Europe est souvent présentée comme une « success story ». Mais c’est aussi et surtout une succession d’égarements, évitements et renoncements des autorités (Commission, Parlement et Conseil européens) devant le lobby automobile, soit, l’histoire d’une défaite. L’industrie automobile ne mérite aucune concession !
Le secteur de l’énergie profite du même biais : une entreprise énergétique fortement engagée dans les énergies fossiles pourra faire de la publicité pour la branche « renouvelable » de ses activités et ainsi se verdir tout en restant largement vendeuse de produits fossiles.
- On touche là un point sensible relatif à l’étude abordée : on a l’impression que si une pub parle d’environnement sans enfreindre les règles relatives au greenwashing, elle devient une « bonne » pub : « 9,2% des publicités mentionnent directement ou indirectement un aspect environnemental. C’est un résultat positif, car cela prouve l’intérêt du développement durable pour les entreprises et les citoyens en Belgique ». C’est, pour le dire gentiment, un peu naïf. A la lecture des différentes pages du site de GiveActions, je perçois également cette forme de naïveté. Que l’on me comprenne bien : je considère la démarche comme positive parce qu’à sa façon, elle participe à la réflexion sur la régulation nécessaire de la publicité et sur la nécessité de promouvoir des informations fiables et étayées sur les questions environnementales au sens large, mais aussi sur les nombreux domaines souvent mis à mal par la publicité : inégalités, racismes, questions de genre etc.
Est-ce envisageable de changer la pub « de l’intérieur » ?
Mais il faut aussi être attentif à ne pas se faire, à son insu (ou pas, d’ailleurs, le doute est ici permis), récupérer par les professionnels du secteur de la publicité qui sont particulièrement habiles pour, d’une part minimiser l’impact négatif de leurs pratiques sur de nombreux domaines de la vie et d’autre part prouver qu’ils sont capables de contrôler les dérives au sein de ces pratiques : échapper à toute régulation est essentiel pour eux et ils sont passés maître dans l’art de préserver cette échappatoire à toutes formes de régulations. RMB et « ses « Blue Screen » à la RTBF en est un bel exemple. Nous avons constaté que GiveAcitions et RMB ont développé conjointement le concept de Blue Speaker : sans que nous ayons eu l’occasion de l’analyser en profondeur, nous pensons que les réserves que nous avons émises dans notre analyse des Blue screen pourraient être valables dans ce nouveau cas de figure. Le cas de Coca-Cola est à cet égard tout aussi emblématique.
Et à ce jour, JCDecaux reste un des leaders incontestés de publicités non régulées dans l’espace public : toute tentative d’intervention sur le « contenu » des panneaux a, jusqu’à présent, échoué.
Vouloir changer, de l’intérieur, le secteur de la publicité est, à nos yeux, peu crédible.
Une pub n’est pas un message socio-éducatif et vice-versa
Canopea a mis récemment à jour sa position sur la régulation de la publicité commerciale et, sur base de plus de vingt ans d’observations et d’actions dans ce domaine, en est arrivé à mentionner l’importance de faire une distinction nette entre les messages socio-éducatif de sensibilisation et les messages publicitaires. Distinction totalement inexistante chez les acteurs de la pub abordés dans le présent article.
Quelles sont les différences ? Jetez un œil au résumé ci-dessous et rendez-vous dans notre dossier page 58 pour de plus amples explications.
J’ai lu récemment, je ne sais plus très bien où, mais c’était des propos tenus par un éminent psychologue, qu’il refusait la radicalité dans son approche car, selon lui, « elle était nécessairement synonyme de simplismes ». A mon sens cette affirmation est simpliste et, en l’occurrence, la position de Canopea en matière de régulation de la publicité commerciale, toute radicale soit-elle, est inscrite dans une approche systémique et complexe. Elle est reprise dans un dossier qui offre, en sus de la position elle-même, des illustrations concrètes pour appuyer le raisonnement.
Croire à une évolution vers une publicité durable néglige d’emblée deux aspects primordiaux :
- d’une part la dimension manipulatoire intrinsèque à la publicité qui « pousse à l’acte d’achat sans réfléchir » alors qu’il s’agit de réfléchir pour ne plus passer à l’acte car il s’avère impulsif et inutile;
- et d’autre part, elle participe à occulter la dimension nuisible de la publicité qui est aujourd’hui totalement déniée par notre société grâce à un lobbying intense du secteur et une lâcheté du politique qui est majoritairement conscient que la publicité est un mal, mais estime que ce mal est nécessaire (voir : La pub, « mal nécessaire » ou nécessairement mal ?).
Pour approfondir cet enjeux : La publicité commerciale dégrade l’empathie en envie
Crédit image d’illustration : Adobe Stock
Aidez-nous à protéger l’environnement,
faites un don !