A partir du premier septembre 2018, toutes les voitures neuves mises sur le marché de l’Union européenne seront testées selon une nouvelle procédure. Les émissions officielles de CO2 seront dès lors plus proches de la réalité, donc plus élevées qu’avec l’ancienne procédure de test. Différents outils (fiscaux et d’information) doivent être adaptés en conséquence. C’est le cas des étiquettes CO2 (avec code couleur) apposées dans les points de vente. Le surréalisme belge a encore frappé (à moins que ce ne soit le lobby automobile ?) : des voitures nettement plus polluantes que la moyenne bénéficieront dorénavant d’un label vert !
Des étiquettes CO2 pour des choix éclairés
L’arrêté royal du 05 septembre 2001 transposant la directive 1999/94/CE[[Arrêté royal concernant la disponibilité d’informations sur la consommation de carburant et les émissions de CO2 à l’intention des consommateurs lors de la commercialisation des voitures particulières neuves]] établit en son article 3 que : « Toute personne qui propose a` la vente ou en crédit-bail des voitures particulières neuves veille à ce qu’une étiquette de consommation de carburant, conforme aux exigences de l’annexe I, soit apposée sur chaque modèle concerné de voiture particulière neuve dans le point de vente, d’une manière clairement visible. » L’annexe I impose un modèle d’étiquette comprenant notamment un code couleurs en sept catégories, allant du vert foncé (pour les voitures les moins émettrices de CO2) au rouge (pour les voitures les plus émettrices), le jaune correspondant au milieu de l’échelle. Deux échelles sont définies : l’une pour les véhicules à essence, l’autre pour les véhicules diesel.
Une flèche indiquant la position des émissions de CO2 du véhicule concerné sur cette échelle permet à la personne regardant l’étiquette de directement se faire une idée des performances du véhicule par rapport à la moyenne. C’est pourquoi la case jaune a, en 2001, été centrée sur les émissions moyennes de l’époque. Soit 175 g/km pour les véhicules à essence neufs vendus en 2000, la case jaune s’étendant de 160 à 190 g/km, comme il apparaît sur la figure 1. La même logique s’appliquait pour les véhicules diesel, avec une case jaune centrée sur 160 g/km et s’étendant de 145 à 175.
Figure 1 : échelle de l’étiquette CO2 pour les voitures à essence conforme à l’arrêté royal du 05/09/2001
L’arrêté royal était donc fidèle à l’esprit de la directive dont l’objet était de « garantir que des informations relatives à la consommation de carburant et aux émissions de CO2 des voitures particulières neuves proposées à la vente ou en crédit-bail dans la Communauté sont mises à la disposition des consommateurs afin de permettre à ceux-ci d’opérer un choix éclairé. »[[Directive 1999/94/CE concernant la disponibilité d’informations sur la consommation de carburant et les émissions de CO2 à l’intention des consommateurs lors de la commercialisation des voitures particulières neuves, Article premier]]
Le changement de test de tous les dangers
Le cycle NEDC utilisé depuis les années 1980 pour tester les voitures et mesurer leurs émissions présente deux faiblesses principales. Un, il n’est pas représentatif des conditions réelles d’utilisation d’une voiture. Deux, la procédure associée contient de nombreuses « échappatoires » qui permettent aux constructeurs de « tricher légalement » et d’annoncer des performances environnementales qui n’ont rien à voir avec celles expérimentées dans la vraie vie. L’introduction d’objectifs contraignants de réduction des émissions de CO2 des voitures neuves a induit un effet indésirable : les constructeurs ont exploité avec un savoir-faire grandissant ces échappatoires. De 9% en 2001, l’écart entre émissions officielles et réelles a progressivement augmenté pour atteindre 42% en 2016[[https://www.theicct.org/publications/laboratory-road-2017-update]].
Le développement d’une nouvelle procédure de test dite WLTP (Worldwide harmonised Light vehicles Test Procedure) a, selon la commission d’enquête EMIS du Parlement européen, pris un temps « extrêmement long »[[European Parliament. 2017. Report on the inquiry into emission measurements in the automotive sector (2016/2215(INI)), p. 5]]. Mais nous y sommes ! Tous les nouveaux types de véhicules doivent être testés selon le WLTP depuis le 1er septembre 2017 et tous les véhicules neufs vendus en Europe (y compris de types plus anciens) le seront à partir du 1er septembre de cette année.
Le nouveau cycle étant plus représentatif des conditions réelles et offrant moins de possibilités de manipuler les chiffres, ceux-ci seront plus fiables[[On estime que la différence entre les émissions officielles et réelles devrait être ramenée de 42% à 20%.]]. Donc plus élevés que ceux issus d’un test NEDC. Selon le centre de recherches conjoint de la Commission européenne (le JRC), les émissions WLTP seront en moyenne 1,21 fois supérieures aux émissions NEDC. Mais le facteur multiplicatif est plus grand pour les véhicules dont les émissions sont faibles tandis que les émissions NEDC et WLTP seront sensiblement égales pour les véhicules dont les émissions seront élevées[[JRC. 2017. From NEDC to WLTP: effect on the type-approval CO2 emissions of light-duty vehicles, p. 2, 10, 25]]. Le JRC propose la formule de conversion suivante :
Tout cela est documenté et étudié depuis des années. On pourrait dès lors s’attendre à une migration relativement sereine de l’ancien vers le nouveau test. On pourrait. Mais ce serait compter sans l’inventivité du secteur automobile, toujours à l’affût d’une idée plaisante pour présenter ses produits sous un jour flatteur. D’autant que les enjeux sont aussi fiscaux, beaucoup d’Etats membres européens calculant tout ou partie des taxes automobiles sur base des émissions de CO2 des véhicules.
Le nouvel arrêté royal
Le 31 mai 2017, la Commission européenne publiait un document de recommandations à destination des Etats membres pour baliser la manière dont ceux-ci intégreront le passage NEDC-WLTP dans l’information aux consommateurs. L’arrêté royal du 17 décembre 2017 modifiant l’arrêté royal du 05 septembre 2001 fait suite à ces recommandations. Dans un souci de simplification, le nouvel arrêté opte pour une seule échelle de couleur applicable quelle que soit la motorisation des véhicules ; ce qui est logique, le différentiel d’émissions entre voitures à essence et voitures diesel se resserrant continuellement du fait des évolutions technologiques. Une case bleue correspondant aux véhicules réputés « zéro CO2 » sera ajoutée sur la gauche de l’échelle.
Jusqu’au premier septembre 2019, l’échelle sera graduée en émissions NEDC (les émissions WLTP du véhicule concerné seront également mentionnées à titre d’information complémentaire).
A partir du premier septembre 2019, l’échelle sera graduée en émissions WLTP.
Tout cela semble très raisonnable. Là où les choses commencent à sérieusement se gâter, c’est dans la manière dont les échelles utilisées pour les codes couleurs sont établies.
La case jaune de la première échelle s’étendra de 125 à 150 g/km, soit une valeur moyenne de 137,5 g/km (figure 2). Pour bien apprécier cela, il faut se rappeler que :
- le jaune correspond au milieu de l’échelle (ce qui n’est plus aussi aisément perceptible qu’auparavant vu l’adjonction de la case bleue…) ;
- la valeur moyenne des émissions des voitures neuves vendues en Belgique en 2016 était de 115,8 g/km.
Dès lors, une voiture neuve vendue en 2018 émettant par exemple 124 g/km se trouvera dans la case vert clair tout en étant plus polluante que la moyenne des émissions des voitures vendues deux ans plus tôt… On appréciera la qualité de l’information !
Figure 2 : échelle de l’étiquette CO2 conforme à l’arrêté royal du 31 mai 2017 et valable jusqu’au premier septembre 2019
Pour graduer (en émissions WLTP) l’échelle qui sera applicable dès fin 2019, le législateur a appliqué un facteur multiplicatif de 1,2 à l’ensemble des valeurs de l’échelle NEDC (figure 3). Ainsi, les 75 g/km deviennent 90, les 100 g/km deviennent 120 etc. La case jaune s’étend dès lors de 150 à 182 g/km avec une valeur moyenne de 165 g/km. Cette manière de procéder apparaît proprement scandaleuse dès lors que l’on se rappelle que :
- le facteur de conversion est proche de l’unité pour les émissions élevées (cfr ci-dessus) ; en utilisant la formule de conversion proposée par le JRC, les 200 g/km NEDC séparant les cases F et G se traduisent par une valeur WLTP de 210 g/km (et non 240) ;
- la législation européenne impose un planning de réduction des émissions de CO2 des voitures neuves vendues en Europe : leur valeur moyenne ne devrait pas dépasser 95 g/km (NEDC) en 2021, soit 114 g/km WLTP (en appliquant le facteur 1,2) ou 125 g/km WLTP (en utilisant la formule du JRC), bien en-dessous des 165 g/km retenus par le législateur belge pour le milieu de l’échelle.
- la directive 1999/94/CE s’inscrit dans la stratégie européenne de réduction des émissions de CO2, stratégie nécessaire (quoique insuffisante) pour relever le défi climatique, ce qui implique de diviser par dix les émissions de gaz à effet de serre des pays occidentaux au cours des 30 prochaines années…
Figure 3 : échelle de l’étiquette CO2 (test WLTP) conforme à l’arrêté royal du 31 mai 2017 et valable à partir du premier septembre 2019
Une proposition de conversion non partisane
Pour répondre aux faiblesses de l’arrêté royal du 31 mai 2017, il conviendrait de tenir compte de l’évolution des émissions de CO2 des voitures neuves vendues en Europe et des travaux du JRC. Le tableau 1 présente une approche non partisane pour réaliser l’exercice :
- la première ligne reprend les valeurs NEDC de l’échelle essence de 2001 ;
- la deuxième ligne reprend les valeurs NEDC de l’échelle diesel de 2001 ;
- les valeurs de la troisième ligne correspondent aux moyennes entre les deux lignes précédentes ;
- la quatrième ligne a été calculée en divisant les valeurs de la troisième ligne par 1,763, soit le rapport entre la moyenne des émissions des voitures neuves vendues en Belgique en 2000 et l’objectif 2021 pour la moyenne des émissions des voitures neuves vendues en Europe en 2021 : 167,5/95=1,763 ;
- la formule du JRC a été utilisée pour calculer, sur base des valeurs NEDC de la quatrième ligne, les valeurs WLTP de la cinquième ligne qui sont également présentées sous forme graphique à la figure 4.
Tableau 1 : calcul d’une échelle WLTP qui tienne compte de l’évolution des émissions de CO2 des voitures neuves et des travaux du JRC relatifs à la conversion NEDC-WLTP
Une telle échelle permettrait aux consommateurs désireux de faire un achat responsable de s’orienter vers des véhicules moins polluants que la moyenne. Ce qui n’est pas du tout le cas de l’échelle de l’arrêté royal (figure 3) qui ne fournira aucune information utile aux consommateurs pour leur permettre de faire un choix éclairé – ce qui est pourtant l’objectif de la directive 1999/94/CE.
Figure 4 : proposition d’une échelle de l’étiquette CO2 (test WLTP) prenant en compte la réduction légalement planifiée des émissions de CO2 des voitures neuves et la conversion NEDC-WLTP proposée par le JRC
De l’art de mépriser les avis demandés
Les faiblesses du projet d’arrêté royal ont été dénoncées dans l’avis rendu conjointement par le Conseil central de l’Economie, le Conseil de la Consommation et le Conseil Fédéral du Développement Durable[Avis du 12/12/2017 « concernant l’étiquette de consommation de carburant lors de la commercialisation des voitures particulières neuves » – téléchargeable ici : [http://www.frdo-cfdd.be/fr/publications/advices/avis-concernant-letiquette-de-consommation-de-carburant-lors-de-la]] suite à la demande de la Ministre de l’Energie, de l’Environnement et du Développement durable.
Les trois conseils n’ont malheureusement pas su convaincre : leur avis conjoint, solidement argumenté et documenté, n’a nullement été pris en compte dans l’arrêté royal. La Ministre n’était bien sûr aucunement tenue de suivre à la lettre les avis demandés, mais il est tout de même dommage que le projet d’arrêté n’ait pas profité de cet éclairage : une étiquette CO2 proche de celle de la figure 4 aurait été plus performante par rapport à l’objectif de la directive européenne (pour rappel, une information qui permette aux consommateurs d’opérer des choix éclairés).
Au-delà de ce cas particulier, la non prise en compte récurrente d’avis étayés pose question. Demander des avis pour n’en rien faire constitue une dépense inutile de temps, d’argent et d’énergie. Mais c’est aussi – et peut-être surtout – une pratique qui s’apparente à un pied de nez à répétition aux nombreuses personnes impliquées tant au niveau des secrétariats des Conseils que des parties prenantes. Ce qui participe à nourrir cette défiance grandissante pour la sphère politique qui nuit tant à nos sociétés.