La législation relative à l’homologation des véhicules en Europe a beaucoup évolué depuis 2015, grand millésime pour les constructeurs en tant qu’année du scandale du « dieselgate ». Petite visite guidée.
Du dieselgate à la révision de la législation
Le 18 septembre 2015 éclatait le scandale du dieselgate qui allait faire la lumière sur des pratiques cachées (quoique de nombreux professionnels de la mobilité en soupçonnaient depuis longtemps l’existence) : la plupart des constructeurs d’automobiles (pour ne pas dire tous) équipaient sciemment leurs voitures diesel Euro 5 et 6 de « dispositifs d’invalidation ». Ces dispositifs, illégaux (selon l’article 5, §2 du règlement (CE) N° 715/2007), avaient pour fonction de repérer (grâce à la mesure de différents paramètres) si le véhicule se trouvait ou non dans les conditions des tests d’homologation. Dans l’affirmative, les systèmes de dépollution permettant de ramener les émissions d’oxydes d’azote (NOX) sous les normes étaient maintenus actifs – dans la négative (c’est-à-dire dans la plupart des conditions de conduite sur route), ils étaient désactivés. L’objectif : augmenter la durée de vie des systèmes de dépollution et limiter les besoins d’entretien de ceux-ci. Ceci ne pouvait se produire que dans un système d’homologation et de surveillance du marché défaillant.
L’ampleur du scandale motivait le Parlement européen à mettre en place une Commission d’enquête sur les mesures d’émissions dans le secteur automobile (commission EMIS). Celle-ci a grandement contribué à identifier les différentes faiblesses du système d’homologation et de surveillance du marché automobile en Europe, révélées dans un remarquable rapport de synthèse publié le 2 mars 2017 au terme d’un non moins remarquable travail d‘enquête1. Parmi les très nombreuses conclusions de la commission EMIS, pointons-en deux :
- « Les technologies de contrôle des émissions disponibles au moment de l’adoption des limites d’émissions de NOX Euro 5 et Euro 6, utilisées correctement, permettaient déjà aux voitures diesel de respecter les limites Euro 5 de 180 mgNOX/km et Euro 6 de 80 mgNOX/km à la date de leur entrée en vigueur respective, en conditions réelles et non seulement en laboratoire. »
- « Le développement d’une nouvelle procédure de test en laboratoire, plus réaliste, dénommée Worldwide harmonised Light vehicles Test Procedure’ (WLTP), destinée à remplacer le test obsolète NEDC, a nécessité un temps extrêmement long. […] Les délais étaient également dus à des choix de priorités politiques, à l’influence de lobbys et à une pression constante de la part de l’industrie. »
Les enseignements de la commission d’enquête ont été (en majeure partie, mais pas intégralement) intégrés dans la nouvelle législation.
Un système amélioré, avec quelques faiblesses
Le règlement (UE) 2018/858 fixe les règles d’homologation (ou de « réception » selon la terminologie européenne) et de surveillance du marché des véhicules motorisés. Ceux-ci doivent répondre aux exigences techniques détaillées dans les directives et règlements européens ou dans les règlements ONU correspondants. Les exigences en matière d’environnement sont notamment définies dans les 4 règlements « RDE » (pour real driving emissions : émissions en conditions de conduite réelles), celles relatives à la sécurité routière sont détaillées dans le règlement (UE) 2019/2144 dit « GSR2 » (pour General Safety Regulation n°2 : règlement général sur la sécurité [routière] n°2).
Contrairement au système américain, les compétences d’homologation et de surveillance du marché ne sont pas centralisées au niveau européen. Les États membres doivent mettre en place ou désigner leurs propres autorités compétentes en matière de réception ainsi que leurs propres autorités chargées de la surveillance du marché. Les rôles et responsabilités de ces autorités sont strictement séparés et elles fonctionnent indépendamment l’une de l’autre. Les Etats peuvent percevoir des redevances auprès des constructeurs pour financer la réception et la surveillance du marché. En Belgique, la réception est de compétence régionale et la surveillance du marché de compétence fédérale.
Les autorités compétentes en matière de réception désignées par les États membres sont responsables de la désignation, de l’évaluation et de la surveillance des services techniques (prestataires de services). Ceux-ci sont désignés pour réaliser une ou plusieurs catégories d’activités relatives (1) aux essais des véhicules, réalisés soit dans leurs propres installations, soit dans les installations d’un constructeur et (2) aux procédures de vérification de la conformité de la production.
Pour faire homologuer un véhicule, les constructeurs doivent s’adresser à un ou des services techniques afin de réaliser les différents tests de conformité ou superviser et valider ceux qu’ils réalisent eux-mêmes dans leurs propres installations. Les résultats doivent ensuite être validés par les autorités compétentes en matière de réception. Une fois homologué dans un Etat, un véhicule peut être vendu dans toute l’Union européenne.
Les prescriptions à respecter sont définies à l’annexe II du règlement (UE) 2018/858. 86 items sont répertoriés, du niveau sonore au système eCall en passant par les serrures et organes de fixation des portes, les systèmes de chauffage, les masses et dimensions, ou encore la protection des piétons.
Le règlement européen insiste sur l’indépendance des services techniques, supposés être « à l’abri de toute pression et incitation, en particulier d’ordre financier, susceptible d’influencer [leur] jugement ou les résultats de [leurs] travaux d’évaluation ». Néanmoins, ces services continuent à être rémunérés directement par les constructeurs, contrairement à ce qui se pratique aux USA par exemple. Ce lien financier direct nuit inévitablement à l’indépendance des services techniques. Il s’agit là d’une faiblesse majeure de la législation européenne !
Les autorités nationales de surveillance du marché vérifient la conformité des véhicules mis en vente, en réalisant au moins 1 essai par tranche de 40 000 véhicules vendus l’année précédente (avec un minimum de 5 essais).
Les autorités compétentes en matière de réception et de surveillance de chaque État membre participent à un « forum » d’échange d’informations présidé et géré par la Commission. Les autorités chargées de la surveillance du marché des différents États membres coordonnent leurs activités de surveillance du marché, coopèrent et s’informent mutuellement des résultats de ces activités et en informent le forum.
Real driving emissions
Le scandale du dieselgate a permis de mesurer l’ampleur des inégalités en termes de « respect » des normes d’émissions par les constructeurs d’automobiles. Vérité difficile à affronter : les émissions excédentaires de NOX dues aux dispositifs d’invalidation utilisés par les constructeurs (comme exposé ci-dessus) ont induit des morts. Des centaines par an à l’échelle de la Belgique selon les calculs de Canopea, des milliers par an en Europe2.
Pour pallier le problème, la Commission européenne a hâté l’introduction des règlements (qui étaient en discussion depuis un temps certain…) relatifs à la mesure des émissions en conditions réelles (RDE) au moyen de systèmes portables de mesure des émissions (PEMS). Les quatre actes législatifs adoptés3 garantissent aujourd’hui un meilleur respect des normes. Certains points d’attention demeurent toutefois, notamment en ce qui concerne les émissions en-dehors des conditions limites des tests RDE, les dérives acceptables au cours de la durée de vie des véhicules et les polluants non inclus dans les RDE4.
Homologation et sécurité
Le règlement (UE) 2019/2144 définit les prescriptions applicables à l’homologation des véhicules « en ce qui concerne leur sécurité et leurs caractéristiques générales, ainsi que la protection et la sécurité des occupants des véhicules et des usagers vulnérables de la route ». Ce règlement comprend une série de nouvelles mesures de sécurité des véhicules très positives, telles l’installation obligatoire de nouvelles technologies d’aide à la conduite, des normes minimales révisées en matière de tests de collision ou encore des mesures visant à protéger les piétons et les cyclistes.
Les législateurs européens ont toutefois quelque peu manqué d’ambition sur le calendrier… Ainsi, les nouvelles règles en matière de vision directe des véhicules lourds ne seront applicables qu’à partir de juillet 2029. L’entrée en vigueur de l’obligation d’équiper toutes les voitures d’un système ISA (pour Intelligent Speed Assistance : adaptation intelligente de la vitesse) se fera quant à elle en juillet 2024. Les deux délais sont inexplicables, les technologies requises étant déjà disponibles (certains véhicules mis en vente il y a plusieurs années répondaient déjà aux futures obligations).
Par ailleurs, les prescriptions techniques relatives à la mise en œuvre de quelques-uns des systèmes de sécurité visés dans le GSR2 doivent faire l’objet d’actes délégués. C’est notamment le cas des systèmes ISA. Le règlement délégué adopté par la Commission le 23 juin 2021 et ses annexes techniques présentent plusieurs faiblesses. La principale est sans doute d’autoriser des systèmes d’avertissement d’un dépassement de la vitesse maximale autorisée n’ayant fait l’objet d’aucune recherche scientifique prouvant leur efficacité. Ces systèmes sont donc contraires aux critères du GSR25 ! C’est dans les détails que se cache le diable. Et il y a hélas beaucoup de détails dans les actes délégués de la Commission…
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- European Parliament. 2017. Report on the inquiry into emission measurements in the automotive sector
- Dieselgate : 320 morts par an
- Règlement (UE) 2016/427 de la Commission, Règlement (UE) 2016/646 de la Commission, Règlement (UE) 2017/1154 de la Commission et Règlement (UE) 2018/1832 de la Commission
- SUAREZ-BERTOA R., ASTORGA C., FRANCO V., KREGAR Z., VALVERDE V., CLAIROTTE M., PAVLOVIC J., GIECHASKIEL B. 2019. On-road vehicle emissions beyond RDE conditions. JRC et BERNARD Y. 2019. Current situation and perspectives on vehicles real-world emissions. ICCT
- Voir l’analyse de l’ETSC : https://etsc.eu/opinion-will-intelligent-speed-assistance-isa-live-up-to-its-promise/