Un débat aux conséquences potentielles énormes pour la facture énergétique future des citoyens et pour la (non) mise en place d’une transition énergétique dans notre pays est en train de se dérouler dans l’indifférence quasi générale. Apparemment trop techniques pour le commun des mortels, les mécanismes de capacité ou « capacity mechanism » que le Gouvernement fédéral entend mettre en place ne semblent intéresser pas grand monde. Du pain béni pour les grands groupes énergétiques qui peuvent développer leur lobby à l’abri des regards ! Coup de projecteur !
350 millions de subsides publics/an
Etant donné leur prix et leur impact plus faible sur l’environnement, les renouvelables variables seront le moyen de production d’électricité principal à moyen terme. C’est un fait acquis dans le petit monde de l’énergie. Il n’en demeure pas moins que leur variabilité pose un défi pour les réseaux électriques. Que faire quand le vent ne souffle pas et que le soleil ne brille pas ?
Pour les propriétaires de centrales électriques, la solution préconisée est évidemment de garder ouvertes (ou de construire) des centrales (surtout au gaz) qui tourneraient en cas de besoin. Or, il semblerait que, n’étant pas rentables, ces centrales aient besoin de plantureuses subventions pour jouer ce rôle. Ce soutien public s’appellerait « mécanisme de capacité » ou « capacity payment ». George Dallemagne, le président de la FEBEG, la fédération des producteurs d’électricité, nous expliquait récemment qu’il faudrait subventionner 4000MW à 8000MW, soit plus que le parc nucléaire actuel ! Les sommes en jeu sont énormes. Un rapport réalisé par Sia Partners estime à 350 milllions d’euros/an le soutien qui pourrait leur être accordés. Un nouveau soutien à des centrales fossiles à l’heure où la crise climatique devrait précisément nous pousser à les désinvestir.
Pas si vite donc ! Si la nécessité d’assurer la sécurité d’approvisionnement électrique ne fait pas de doute, il est crucial de ne pas répondre aux sirènes du lobby sans une analyse approfondie et sérieuse et un débat démocratique. Car in fine, ces soutiens se retrouveront d’une manière ou d’une autre sur la facture des consommateurs.
Les grandes questions qui demeurent…
1. Nos centrales au gaz sont-elles si peu rentables ?
Cette faible rentabilité est avancée par la FEBEG. Ces centrales tournent aujourd’hui quand l’électricité est la plus chère sur le marché (au moment de tension entre l’offre et la demande). Dans les faits, c’est peu fréquent. Par ailleurs, le coût principal pour le fonctionnement de ce type de centrale est lié à l’achat de combustible (du gaz en majorité) ; leurs frais de fonctionnement fixes sont, eux, faibles. En résumé donc, elles ne coûtent que quand elles tournent… Faire toute la lumière sur le manque de rentabilité des centrales belges est donc plus que nécessaire.
2. N’y a-t-il pas de meilleures options ?
Il y a de nombreuses autres options sur la table pour adapter le système électrique à la variabilité des renouvelables. On peut notamment développer davantage notre réseau électrique sur une grande zone géographique comme par exemple l’Europe du nord-ouest (le vent souffle toujours quelque part dans cette région…). Il est aussi possible de déplacer notre demande d’électricité ou carrément de la diminuer aux moments difficiles. Ainsi, des entreprises peuvent, contre rémunération, couper leurs machines quelques heures, sans impact important sur leur production. C’est ce qu’on appelle la gestion de la demande. Enfin une autre solution consiste à adapter le fonctionnement de nos réseaux et de notre marché de l’électricité à la nouvelle réalité d’une production renouvelable, flexible et décentralisé… Hélas, ces options a priori moins coûteuses sont insuffisamment prises en compte par les autorités.
3. De combien de centrales fossiles a-t-on vraiment besoin ?
Pour rappel, la FEBEG préconise 4000MW à 8000 MW de capacités de remplacement. Le gestionnaire de réseau Elia a lui aussi analysé les capacités dont nous aurions besoin en 2026, soit après la fermeture de l’ensemble de notre parc nucléaire. Il estime la capacité de remplacement nécessaire à 4000MW dont une moitié pourrait provenir de la gestion de la demande… Au final, ce ne sont donc que 2000MW qui devraient provenir de centrales de substitution ! Mais d’où la FEBEG tire-t-elle ses estimations ?
Madame Marghem, soyez vigilante !
La Ministre Marghem a demandé à son administration de prendre sa calculette. Deux questions appellent donc des réponses : combien de centrales et quelles sommes pour les soutenir. Sur cette base, elle devrait prendre une décision qui devrait être connue d’ici la fin de l’année dans le cadre du « Pacte Energétique ».
Si nous ne sommes a priori pas contre des aides, nous estimons qu’au minimum elles doivent être justifiées et que toutes les options douteuses soient écartées après analyse approfondie. De nombreux autres secteurs méritent de bénéficier d’aides publiques prioritaires comme l’isolation du bâti par exemple.
Ce scénario est d’autant moins acceptable que lesdites aides iraient une fois de plus aux grands acteurs de l’énergie comme Engie ou EDF qui ont largement bénéficié de la rentabilité du maintien des centrales nucléaires.
Une révolution énergétique, oui ! Le maintien de politiques du passé favorables aux énergies fossiles et fissiles, non !