Le 02 juin étaient publiés les résultats de l’évaluation des rejets atmosphériques par les véhicules légers diesel en Wallonie[[http://diantonio.wallonie.be/resultats-de-l-evaluation-des-rejets-atmospheriques-par-les-vehicules-legers-diesel-en-wallonie
]]. L’évaluation concluait à « un dépassement généralisé et significatif des normes » pour les oxydes d’azote (NOx) et le dioxyde de carbone (CO2). La FEBIAC réagissait dans la foulée par voie de presse[[http://www.febiac.be/public/pressreleases.aspx?ID=947&lang=FR]], avec un ton d’une arrogance sidérante – à la hauteur des dépassements de normes… Brève analyse d’extraits de sa communication.
FEBIAC : « Les tests wallons de véhicules démontrent uniquement que deux tests différents délivrent deux résultats différents »
Le titre provocateur du communiqué de presse de la fédération belge de l’industrie automobile révèle d’emblée sa stratégie de défense. Il s’agit de jeter le discrédit sur les résultats publiés par les autorités publiques. La FEBIAC tape sur le clou avec insistance : « il s’agit d’un test distinct qui a délivré ses propres résultats ».
L’argumentation serait recevable si les autorités régionales montaient en épingle une légère différence entre leurs résultats (obtenus en simulant un trajet domicile-travail réel) et les résultats publiés par les constructeurs (sur base du test utilisé pour l’homologation des véhicules). Rien de tel ici cependant, la divergence dans les résultats est phénoménale : en moyenne 3,4 fois la norme et 4,4 fois la moyenne des émissions annoncées par le certificat de conformité des véhicules (141 mg/km).
FEBIAC : « 38 véhicules de la génération précédente ont été testés »
Très habilement, la fédération industrielle laisse entendre que les tests wallons auraient été menés avec de vieux véhicules. Or, il s’agit de voitures répondant à la norme Euro 5, dont l’industrie ventait encore le caractère respectueux de l’environnement il n’y a pas deux ans.
Le dépassement observé en Wallonie avec des véhicules Euro 5 est de 3,4 en moyenne. En Allemagne et au Royaume-Uni (où des tests ont également été effectués), la moyenne des émissions sur route pour les véhicules Euro 6 (norme en vigueur pour tous les véhicules depuis septembre 2015) est respectivement de 491 et 500 mg/km, soit plus de six fois la norme (80 mg/km). La FEBIAC aurait-elle vraiment préféré que l’on teste des véhicules de la « nouvelle génération » Euro 6 ?
Quoiqu’il en soit, Euro 5 ou Euro 6, le respect de la norme en vigueur au moment de l’immatriculation est une obligation légale. Obligation que la FEBIAC relativise outrageusement.
FEBIAC : « un cycle de test qui ne correspond pas au cycle de test officiel auquel doivent se conformer les constructeurs »
Singulièrement pervers, ce commentaire désobligeant sur les tests menés en Wallonie laisse entendre que les constructeurs respectent scrupuleusement leurs obligations légales en se conformant au test officiel.
Les tests et procédures officiels ont pour vocation de mesurer les performances des véhicules et donc de juger de leur aptitude à répondre au prescrit légal.
Les tests sont mis au point par des comités techniques au sein desquels les constructeurs sont surreprésentés. Ceux-ci ont donc une influence énorme sur les tests et procédures et sont dès lors bien mal placés pour critiquer la non-représentativité de ceux-ci.
Le prescrit légal est clair : les constructeurs ont l’obligation de garantir « une limitation effective des émissions au tuyau arrière d’échappement et des émissions par évaporation […] tout au long de la vie normale des véhicules, dans des conditions d’utilisation normales. »[[Règlement (CE) n° 715/2007, article 4 (2)]]
FEBIAC : « Dans la communication entourant les résultats des tests wallons, tant la non-conformité du test que la procédure suivie demeurent largement passées sous silence. Le fait qu’en outre l’impression que les constructeurs n’atteignent pas dans les tests standardisés les résultats qu’ils promettent soit très fortement suscitée est, pour FEBIAC et ses membres, tout bonnement inacceptable. »
Le communiqué de presse diffusé par le Ministre wallon de l’Environnement le 02 juin et le rapport technique publié le même jour rappellent sans ambiguïté le contexte, le type de tests menés et la similarité avec les résultats obtenus en Allemagne, en France et au Royaume-Uni.
Il n’est nulle part suggéré que les constructeurs « n’atteignent pas dans les tests standardisés les résultats qu’ils promettent ». Tout le monde reconnaît qu’ils les atteignent dans ces conditions – le problème est qu’ils ne les atteignent majoritairement que dans ces conditions.
De plus, dès que l’on s’éloigne des conditions standards, il existe des preuves que des dispositifs d’invalidation désactivent ou limitent l’efficacité des systèmes de dépollution. Que ce soit en repérant le profil de vitesse suivi par le véhicule (VW) ou en mesurant la température ambiante (Alfa Romeo, Audi, Fiat, Hyundai, Jeep, Nissan, Opel, Porsche, …). Il existe par ailleurs de fortes présomptions que d’autres dispositifs d’invalidation sont utilisés : ainsi, une Opel Zafira testée en octobre 2015 dans un laboratoire suisse sur demande de l’ONG allemande DUH émettait 2 à 4 fois plus de polluants lorsque ses roues arrières tournaient que quand lorsqu’elles étaient immobiles, toutes autres choses restant égales par ailleurs[[http://www.duh.de/uploads/media/PR_High_nitrogen_oxide_emissions_Opel_Zafira_Diesel_231015.pdf]]. Comment un tel phénomène peut-il s’expliquer si ce n’est par le fait qu’un dispositif « repère » cette différence par rapport aux conditions de test officielles et modifie la dépollution en conséquence ?
Ce qu’il y a de réellement inacceptable dans cette affaire est que l’industrie automobile, en ne respectant pas les normes d’émissions légales dans des conditions d’utilisation normales comme l’y oblige la législation européenne, provoque sans doute plusieurs milliers de décès par an en Europe[[« La statistique est implacable: avec sa tricherie, VW a tué » Etienne de Callataÿ, La Libre Belgique, 15/10/2015 – Voir aussi notre petit calcul indicatif de l’ordre de grandeur des impacts sanitaires en Belgique ici : http://www.iewonline.be/spip.php?article7605]] et semble ne pas s’en soucier du tout. Cette absence totale de reconnaissance des faits et de compassion envers les victimes (qui, pour être anonymes, n’en sont pas moins réelles) associée à une arrogance sans nom et à l’adoption d’une posture de victime des pouvoirs publics est tout simplement écoeurante.
FEBIAC : « FEBIAC regrette que les tests non-conformes de la région wallonne et les résultats qu’ils ont délivrés n’apportent que plus de confusion, d’incertitude et mènent à une désinformation. Et cela ne sert ni le pouvoir politique, ni l’industrie automobile. »
Les tests simulant un parcours réel sur route menés par la Wallonie sont similaires, dans leur objectif sinon dans le détail de leur application, aux tests en conditions réelles (RDE pour Real Driving Emissions) dont la FEBIAC rappelle dans sa communication l’entrée en vigueur prochaine. A ce propos, il n’est pas sans intérêt de souligner que l’incessant plaidoyer de l’industrie a mené à un report de l’entrée en vigueur et un affaiblissement de ces RDE. Le recul par rapport au règlement (CE) n° 715/2007 est tel que le texte adopté par la Commission européenne constitue un acte d’exécution illégal[[Voir notre analyse ici : http://www.iewonline.be/spip.php?article7605]], ce qui a motivé Anne Hidalgo, Maire de Paris, à engager deux recours devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)[[http://presse.paris.fr/wp-content/uploads/2016/05/Pollution-automobile-Anne-Hidalgo-engage-deux-recours-devant-la-CJUE.pdf]].
La désinformation se trouve plutôt dans le chef des constructeurs : ce sont eux qui annoncent des performances que l’acheteur ne pourra atteindre qu’exceptionnellement sur route. L’information diffusée par la Wallonie permet aux citoyens de prendre la mesure de l’abîme existant entre les chiffres officiels figurant sur le mal-nommé certificat de conformité et les chiffres en conditions d’utilisation normales. La source première de l’incertitude ne se trouve pas dans l’évaluation menée en Wallonie, mais dans le comportement inqualifiable des constructeurs qui, en équipant leurs véhicules de dispositifs limitant l’utilisation des systèmes de dépollution dans le seul but d’allonger la durée de vie de ceux-ci, sacrifient la santé des personnes à leurs intérêts financiers à court terme.
Ces intérêts ne sont assurément pas servis par la publication des résultats des tests menés en Wallonie, en Allemagne, en France et au Royaume-Uni : c’est l’intérêt commun qui l’est – si du moins les pouvoirs publics vont au-delà du constat et renforcent la législation et la surveillance de sa bonne application[[http://www.iew.be/spip.php?article7770]]. Quant à l’image de l’industrie automobile, c’est l’attitude de cette dernière qui lui nuit le plus : l’image d’arrogance cynique que dégage le communiqué de presse de la FEBIAC n’est pas de nature à améliorer le crédit qu’on peut encore lui porter.