Festival Namur Nature… en (Grosse) Voiture ?

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J’ai récemment reçu un mail d’une citoyenne qui me faisait part de sa perplexité suite à la lecture du catalogue du Festival international Nature Namur (dont c’est la 30é édition et qui se déroule du 11 au 20 octobre). Perplexité sur le contenu de la page 8. Elle trouvait la chose affligeante. « Ils ont en tous cas perdu une participante » concluait-elle. Courroux justifié ? Voyons cela…

En guise de préambule

Nombre d’acteur·rices de la société civile se mobilisent, depuis de nombreuses années, pour la régulation de la publicité commerciale. Ils·elles souhaitent restreindre l’impact de cette publicité qui met à mal toute tentative sérieuse de rendre nos modes de vie, de production et d’organisation sociale compatibles avec le maintien d’une planète habitable (préservation de la biodiversité et lutte contre les dérèglements climatiques) et la préservation de liens sociaux riches, justes et dignes. Récemment, de nouveaux appuis sont venus renforcer la pertinence de cette mobilisation, le principal étant le GIEC qui a repris cette nécessité de réguler la publicité commerciale dans son sixième rapport.

Il est toujours utile de rappeler que la publicité commerciale est efficace. Elle est une branche de la communication d’influence qui mobilise des processus psychiques souvent inconscients (estime de soi, identification, projection…) et qui a pour objectif d’inciter à la consommation plus ou moins compulsive, sur fond d’une insatisfaction qu’elle organise sciemment. C’est un des outils de propagande de l’économie et l’idéologie libérales.

Et il convient également de rappeler que le secteur de la publicité (notamment les régies publicitaires) est aussi très efficace : il parvient à s’immiscer dans absolument tous les domaines de nos vies sans que rien, ou presque, ne vienne le contrarier.

En pleine nature, of course !

Le catalogue de présentation du Festival international Nature Namur nous offre une édifiante démonstration de ces « qualités » du secteur, mais surtout du rapport de notre société à la publicité commerciale, un rapport marqué par le déni massif des nuisances de cette pratique.

« Les images sont l’essence et le cœur de notre festival », clame Tanguy Dumortier, Président du festival, dans son édito en ouverture du catalogue dédié. Y compris celle de la p. 8 ? Celle d’un énorme SUV 4X4 pesant 2,4 tonnes (dont 570 kg de batteries) et mu par un moteur électrique de 490 CV, photographié en légère contre-plongée pour marquer sa domination sur la nature qui l’entoure ? Véhicule commercialisé à quasi 100.000 euros.

Oui, mais : « C’est un véhicule électrique ! Emissions de CO2 WLTP nulles : Nature, culture et voiture riment désormais !» Je peine à croire que les responsables de ce festival tomberaient dans ce piège grossier tendu par le secteur automobile.

Nouvelle virginité ?

Pour celles et ceux qui souhaitent approfondir cette question des qualités (ou non) des véhicules électriques, nous vous recommandons la lecture de la remarquable publication de Laurent Castaignède : La ruée vers la voiture électrique. Entre miracle et désastre. Pierre Courbe en a fait une recension sur notre site.
« Le véhicule électrique n’est pas en lui-même vertueux » explique l’ingénieur. Et, sur base d’analyses de l’Agence Internationale à l’énergie (AIE), il nous rappelle que « Une automobile thermique moyenne contient environ 20 kg de cuivre et 10 kg de manganèse. Une version électrique courante contient en moyenne 55 kg de cuivre (donc trois fois plus en incluant les quelques autres kg de borne de recharge) et 25 kg de manganèse, mais aussi 0,5 kg de terres rares dont le néodyme, 9 kg de lithium, 13 kg de cobalt, 40 kg de nickel ainsi que 65 kg de graphite. » Et il poursuit :  « On peut parier que l’électrification de la mobilité routière participe globalement d’un nouvel éloignement des pollutions et de leur perception, bien au-delà de l’horizon des consciences, auprès de consommateurs de voitures thermiques déjà passablement anesthésiés. » Dès lors, « sous couvert d’une nouvelle virginité, il est fortement à craindre que la voiture électrique, si elle n’est pas sérieusement domptée, ne soit le cheval de Troie d’un nouveau regain d’usage et d’emprise du système automobile et de l’extractivisme, une nouvelle frontière de leur déploiement hégémonique. »

« Une voiture dans le coeur« 

Cette publicité invite le lecteur du catalogue à prendre contact avec les sociétés de monsieur Stéveny, partenaires du festival. Ce chef d’entreprise est souvent présenté comme le « monsieur voiture » de la Wallonie et, il y a peu, affirmait sur les plateaux de RTL que « le Wallon a une brique dans le ventre et une voiture dans le cœur ». Il est aussi fan de l’aéroport de Charleroi et du grand prix de F1 de Francorchamps et regrette amèrement la fin du circuit de motocross sur la citadelle de Namur1. Il plaide également pour que l’Etat subsidie le secteur automobile (en sus donc des 3,5 milliards d’euros par an de soutien aux voitures de société). Rien de répréhensible, bien sûr, mais il ne sera pas évident de trouver un terrain d’entente sur ces « revendications » au regard celles du monde de la protection de la nature et de l’environnement !

Sérieusement ?!

Est-il aujourd’hui encore recevable qu’une publicité pour un objet responsable de nombreuses pollutions tant locales que globales, responsable, en Belgique, de 2130 de morts par an (chiffre 2023)2 et 3300 blessés graves, dont la présence massive dégrade la qualité de l’espace public et dont les infrastructures qui lui sont nécessaires ont saccagé tant d’espaces naturels, – qu’une publicité pour un tel objet, donc, soit présente dans le catalogue d’un événement dont l’objectif premier est la sensibilisation à la nature, à sa beauté, à sa nécessité pour la survie de la Terre ?

Canopea travaille sur la question des nuisances de la publicité commerciale (et aussi des voitures) depuis plus de 20 ans et vient précisément de mettre à jour, avec ses associations – dont plusieurs sont partenaires de l’événement, sa position sur le sujet. Au terme de son travail d’analyse, la Fédération fait des propositions pour, peu à peu, réguler cette pratique. Parmi toutes les propositions, celle d’interdire la publicité pour de tels véhicules a fait l’unanimité.

L’odeur de l’argent de la pub

Bien sûr, pour boucler le budget d’un festival que l’on souhaite le plus visible et remarquable possible, le recours à la publicité commerciale « va de soi » ! Et l’expression « l’argent n’a pas d’odeur » prend ici toute sa pertinence. Il a hélas une odeur que seule une anosmie3 mentale persistante et largement répandue parvient à masquer. 

Je ne sais quel est l’apport financier du vendeur de voitures susmentionné, mais par exemple, une publicité sur une chaîne publique à une heure de grande écoute rapporte 16.000 euros pour 30 secondes.

D’un côté, on a donc des recettes publicitaires qui paient cash. Et de l’autre, peine à émerger une approche rationnelle, solide mais complexe, basée sur :

  • la prévention en matière climatique, en matière de nature et en matière de santé coûte nettement moins aux Etats que la réparation ;
  • la publicité est un réel obstacle à la prévention ;
  • la publicité commerciale devrait être régulée voire interdite pour certains produits ;
  • et enfin, en parallèle, on verrait fleurir des messages socio-éducatifs financés notamment par les économies d’argent public liées à cette prévention – mais pas que.

La seconde voie, vertueuse, déplaît bien sûr au secteur marchand qui s’emploie à la contrer, souvent avec succès. Le politique, de son côté, quand il n’encourage pas le secteur de la pub, le considère comme un mal nécessaire et donc, se lave les mains des nuisances, nombreuses, de cette pratique.

L’argent de la pub est de l’argent à l’odeur douteuse. Les 3 secteurs qui ont le plus recours à la publicité sont l’automobile, le fast-food (y compris les sodas) et les jeux de hasard. Ces 3 secteurs promeuvent des produits dont les externalités sont majoritairement prises en charge par les finances publiques et leur objectif est bien sûr d’accroître les bénéfices privés. Que cet argent soit de l’argent du privé qui met ainsi sous sa coupe des pans entiers de l’espace public, de l’espace culturel et bien sûr de l’espace mental ne semble pas déranger grand monde. Un exemple parmi tant d’autres :  Le Conseil Supérieur de la Santé a émis un rapport édifiant sur l’urgence d’interdire la publicité pour les aliments malsains à destination des enfants, rapport qui n’a, à ce jour, reçu aucune réponse : ni dans le domaine politique, ni dans le domaine de l’industrie agro-alimentaire (mais là, il n’y a plus le moindre espoir et c’est hélas à eux que l’on a confié la régulation…), ni chez les bénéficiaires de l’argent de ces publicités, lesquelles contribuent à la détérioration de la santé des enfants, les plus défavorisés en priorité.

Une avant garde

Nous sommes parfaitement conscients que le changement doit être progressif (juste : il n’y a quasi pas eu de changement dans le secteur depuis l’interdiction de la pub pour les cigarettes en 1977 – il y a donc de la marge). Et cette progressivité pourrait commencer par l’exclusion des pubs de secteurs, voire de produits, bien ciblés. Il serait difficile de ne pas viser les SUV 4X4 surdimensionnés, fussent-ils électriques. Ou encore les entreprises comme TotalEnergie : les organisateurs des 20 km de Bruxelles l’ont récemment compris. Plusieurs villes se lancent aussi dans le bannissement dans l’espace public de certaines publicités (Grenoble, Lyon, Nantes, Sao Paulo, Kyoto, Haarlem, Amsterdam…). Mentionnons La Haye qui vient précisément d’interdire l’affichage publicitaire en faveur de produits et services très carbonés tel l’aviation, les SUV, les croisières…

Taxer la pub ?

L’introduction d’une forme de fiscalité sur les dépenses de publicité et de relation publique dont le montant doit s’avérer suffisant pour diminuer rapidement la pression publicitaire a été proposée dans notre position de fédération 4. Cette piste a étonnement été peu explorée et donc, des études indépendantes pour préciser cet outil devraient être commanditées. C’est là de toute évidence une source potentielle de compensation des «pertes» pour les secteurs aujourd’hui fortement dépendants de la publicité commerciale. Il s’agit pour les autorités publiques de réinvestir deux leviers qui leur reviennent (la régulation et la fiscalité).

Penser autrement

Pour conclure, la parole à Pierre Courbe, fin analyste du monde de la publicité, plus particulièrement de la pub pour l’automobile : « certes, pour le moment, ce genre de pub est « nécessaire » pour boucler le budget de ce type d’événements, mais c’est parce qu’on a appris à penser dans un cadre budgétaire défini par les revenus de la pub et permettant de « faire les choses en grand » ; il faut non pas se dire que c’est impossible de fonctionner autrement, qu’on ne pourra pas « boucler le budget », mais au contraire repenser les événements tout à fait autrement avec des budgets plus modestes et d’autres manières de fonctionner ».

Nous souhaitons néanmoins un franc succès à ce Festival !

Pour approfondir la réflexion menée ici, nous vous suggérons l’Etude réalisée par Canopea dans le cadre des sa mission d’Education Permanente : La fin programmée de la publicité commerciale.

NB : un raisonnement similaire pourrait être mené relativement aux pubs de certains « bétoneurs » de la Wallonie également présents dans la liste des partenaires…

Note : suite à des échanges avec des membres d’associations partenaires du Festival, il est important de préciser qu’elles ne sont ni informées, ni a fortiori consultées quant aux pubs et partenaires du Festival.

Crédit image d’illustration : Adobe Stock

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  1. https://www.lavenir.net/actu/belgique/2023/09/12/philippe-steveny-proprietaire-de-30-implantations-automobiles-en-wallonie-le-prix-reste-dissuasif-letat-doit-mettre-en-place-des-aides-2WQYNQDTGBAIXMMVPA6CLI77LU/
  2. Source : Statbel et Bureau Européen de l’Environnement, rassemblé par Pierre Courbe, Canopea
  3. Perte de l’odorat.
  4. Un exemple en France : La communication commerciale à l’ère de la sobriété ; Taxer la publicité pour consommer autrement, étude menée par l’association Communication et Démocratie et par l’Institut Veblen pour les réformes économiques avec le soutien financier de l’ADEME, 2022.)