Promise en 2014 sous le gouvernement Di Rupo, l’hypothèse d’une réforme de la fiscalité belge occupe une nouvelle fois le devant de la scène médiatique et politique. Taxe sur les plus-values issues de la spéculation boursière, impôt sur la fortune, réforme voire abolition du mécanisme des voitures de société, de nombreux partis, intellectuels ou associations, dont Inter-Environnement Wallonie[[Voir: http://iew.be/spip.php?article6075 ou http://iew.be/spip.php?article6869]] ont avancé des pistes de solutions pour réorienter notre système fiscal.
La Belgique n’est évidemment pas le seul pays dont la société est animée par le débat fiscal et spécifiquement par la question de la fiscalité environnementale. L’actuelle ministre française de l’Écologie, du développement durable et de l’Énergie – Ségolène Royal – a reporté sine die le mécanisme d’écotaxe et s’oppose de manière générale à toute hausse de taxe sur les comportements polluants arguant du fait que « l’écologie ne doit pas être punitive » . Réaction politicienne ou opinion sincère, elle est pour le moins inattendue de la part de la ministre censée décourager les comportements dommageables à l’environnement mais illustre bien le manque de compréhension et d’ambition politique sur les questions de fiscalité environnementale.
À l’origine, « l’impôt fut considéré uniquement comme un instrument de redistribution des revenus et comme un moyen, pour les pouvoirs publics, d’obtenir les ressources nécessaires au financement de leur politique. Il devait permettre de couvrir le coût des services collectifs, (l’enseignement, la police, la justice, la sécurité sociale ou encore les transports publics ne sont que quelques exemples de services financés par l’impôt), et être prélevé avec équité. »[[http://www.docufin.fgov.be/intersalgfr/thema/publicaties/documenta/2010/BdocB_2010_Q4f_Jurion.pdf ]]
Or depuis un certain temps, le système d’imposition accorde une place plus importante à la fiscalité incitative. D’un impôt redistributif procurant aux pouvoirs publics les moyens nécessaires pour mener à bien leur politique, on arrive régulièrement à un impôt incitatif qui a pour objectif principal de modifier les comportements des agents économiques, citoyens, entreprises ou pouvoirs publics. La fiscalité environnementale illustre parfaitement ce type de fiscalité. Les comportements définis comme nuisibles à l’environnement se voient imputés d’une taxe supplémentaire tandis que les comportements favorables peuvent être récompensés par le recourt à des subventions ou des réductions d’impôt. L’objectif principal de ce type de fiscalité n’est donc pas de générer des recettes additionnelles destinées à accroître les dépenses publiques, dans la protection de l’environnement ou dans toute autre politique. En effet, vu le niveau relativement élevé des prélèvements obligatoires au sein des pays européens[[La charge fiscale globale dans les 28 États membres de l’UE s’élève à 39,4% du PIB en 2012. Cette moyenne cache cependant des disparités importantes variant de moins de 30% du PIB en Lituanie (27,2%), en Bulgarie et en Lettonie (27,9% chacun), en Roumanie et en Slovaquie (28,3% chacun) ainsi qu’en Irlande (28,7%), à plus de 40% du PIB au Danemark (48,1%), en Belgique (45,4%), en France (45,0%), en Suède (44,2%), en Finlande (44,1%), en Italie (44,0%) et en Autriche (43,1%). Source : Commission européenne (2014), Tendances de la fiscalité dans l’Union européenne, Edition 2014,
http://ec.europa.eu/taxation_customs/resources/documents/taxation/gen_info/economic_analysis/tax_structures/2014/pr_92-2014_fr.pdf]]
, la piste la plus souvent envisagée pour recycler ces recettes fiscales est de diminuer d’autres impôts, même si cette question de l’usage du produit des taxes environnementales fait l’objet de débats.
Christian de Perthuis, ancien président du comité français pour la fiscalité écologique, a récemment déclaré devant le Sénat français qu’il a « passé (son) temps à expliquer qu’il n’est pas possible de dépenser trois fois le même euro. Pour un euro de fiscalité écologique, il ne peut y avoir qu’un seul usage. »[[Commission du développement durable, « Compte rendu du mercredi 19 novembre 2014 : Enjeux de la fiscalité écologique et de la conférence Paris Climat 2015 (COP21) – Audition de M. Christian de Perthuis, président du conseil scientifique de la Chaire Économie du Climat », http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20141117/devdur.html]]. Or, il y a souvent trois destinations en concurrence : la réduction d’autres impôts, la réduction des déficits publics et le financement de politiques environnementales (énergie, mobilité, etc.). Si avec une charge fiscale globale de 45,4% du PIB en 2012, notre pays occupe la deuxième place du podium européen, cette moyenne masque des disparités importantes selon les types de prélèvements. Tandis que les recettes fiscales issues du travail représentent 53,9% des recettes fiscales totales, celle sur la consommation (23,7% dont 4,71% de taxes environnementales) ou le capital (22%) sont moins importantes. Une hausse de la fiscalité environnementale permet donc de réaliser un shift fiscal et donc de conserver un niveau de charge fiscale stable indispensable au financement des services rendus par l’État (services publics, soins de santé, pensions, etc.).
L’enjeu principal est donc de remplacer des impôts qui aujourd’hui, de par leur assiette, pèsent sur un facteur de production essentiel, le travail, par de nouveaux impôts, dont l’assiette est une mesure d’une nuisance environnementale. Dans une société frappée par un taux de chômage important et qui doit réaliser des efforts inégalés pour réduire son empreinte sur l’environnement ou le climat, il peut sembler logique de diminuer la fiscalité sur le travail pour augmenter les taxes sur les ressources non renouvelables et les activités polluantes. Si comme l’affirment certains[[Voir notamment « Le Tax Shift va-t-il augmenter le taux d’emploi ? », http://blogs.politique.eu.org/Le-Tax-Shift-va-t-il-augmenter-le]], ce taxshift ne devrait pas permettre la hausse du taux d’emploi que d’autres promettent, il aurait à tout le moins l’intérêt de rétablir une certaine cohérence entre les discours politiques sur la protection de l’environnement et du climat et les actes.
Réformer notre système fiscal n’est évidemment pas chose aisée. Du système de prélèvements obligatoires dépend également notre modèle de société et la question principale de la fiscalité environnementale comme de tout prélèvement est de s’assurer d’une juste redistribution. La fiscalité n’est pas donc pas plus punitive quand elle s’applique aux énergies fossiles que quand elle concerne le travail, le capital et la consommation.