Fonte du pergélisol : une (des) bombe(s) à retardement climatique

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En matière de climat, les scientifiques essaient depuis longtemps de déterminer les « tipping points » (littéralement « point de basculement »). Seuils de concentration en GES ou de température, ces éléments « clés » pourraient provoquer l’emballement de la machine climatique de façon irrémédiable, entraînant de tels changements dans la biosphère qu’aucune baisse de nos émissions anthropiques ne sauraient contrebalancer. Parmi ces tipping points, la fonte du pergélisol.

Le pergélisol désigne les couches en sous-sol qui sont en permanence gelées (durant au moins 2 ans). Les zones de pergélisol sont principalement situées au Groenland, en Sibérie, au Canada et en Alaska.

Ces couches se sont formées pendant ou depuis la dernière ère glaciaire et peuvent s’enfoncer jusqu’à 700 m de profondeur. Le pergélisol comporte une couche active, qui dégèle en été et gèle à nouveau en hiver, dont l’épaisseur varie en fonction de la température et d’autres paramètres comme la nature du sol ou le couvert végétal. Ces sols contiennent d’énormes quantités de matière organique (MO) dont la décomposition a été « figée » par ce gel permanent. Avec le réchauffement climatique, la décomposition de cette MO est réactivée. Ce processus engendre non seulement la libération de grandes quantités de CO2 et de méthane[[Le méthane a un pouvoir de réchauffement global à 100 ans de 25 fois celui du CO2]] (CH4) mais encore une augmentation de la température de ces sols. Cette « rétroaction positive du carbone issue du pergélisol » est irréversible à l’échelle de temps humaine et exacerbe le réchauffement climatique de façon dramatique.

Un rapport du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) publié fin 2012 évalue le contenu carbone du pergélisol à 1700 Gt et sa capacité d’émissions entre 43 et 135 Gt CO2 eq. d’ici 2100 et entre 246 et 415 Gt de CO2 eq. d’ici 2200. Les émissions émanant de la fonte de ce permafrost pourraient représenter 39% des émissions totales des GES. A titre de comparaison, les émissions cumulées rejetées dans l’atmosphère sous forme de dioxyde de carbone depuis le début de l’ère industrielle[[Source : Organisation météorologique mondial, bulletin n°8, 19 novembre 2012]], s’élèvent à 375 Gt de carbone (1300 Gt équivalent CO2[[1 kg de CO2 contient 0,2727 kg de carbone]]).

Le risque de fonte est bel et bien réel puisqu’une augmentation de 3°C de la température moyenne au niveau mondial se traduirait par un accroissement de 6°C dans les régions arctiques, suffisamment chaud pour faire fondre de 30 à 85% de la surface de pergélisol. Or, tous les rapports indiquent qu’, étant donnés les efforts de réduction consentis actuellement, le vœu pieux des 2°C d’augmentation semble impossible à respecter[[Entre autres, rapport de la Banque Mondiale « Turn down the heat : why a 4°C warmer world must be avoided » – novembre 2012]].

Si les conséquences globales de cet « emballement » climatique sont catastrophiques, des impacts plus locaux changeront drastiquement les écosystèmes de ces régions. Dans la toundra, un nombre considérable de zones humides se créent vu l’imperméabilité du sol gelé. Le sol réchauffé drainerait tous ces lacs, privant certaines espèces d’oiseaux migrateurs de leurs refuges privilégiés. De nombreuses espèces de lichens présentes uniquement dans ces milieux seraient également amenées à disparaître. Quant à la fréquence et l’intensité des feux dans la forêt boréale elles sont déjà observées aujourd’hui.
Les activités humaines ne sont pas en reste : bâtiments, routes, voies ferrées, pipelines sont soumis à l’épreuve des mouvements du sol. Avec des conséquences parfois dramatiques pour les communautés et l’environnement[[En 1994, la fonte du pergélisol dans le nord de la Russie a causé des glissements de terrains, causant la rupture d’un oléoduc qui a déversé 160 000 tonnes de pétrole dans l’environnement.]] local.

Si beaucoup d’incertitudes entourent l’intensité de la fonte du pergélisol et ses conséquences, le PNUE implore la communauté scientifique et plus spécialement le GIEC de prendre en compte ce phénomène dans ses projections. En effet, de nombreuses études tendent à montrer que les rapports du GIEC sont trop « optimistes » dans le sens où certains éléments sont sous-estimés, voire absents des modélisations du GIEC, faute de consensus scientifique. Certains scientifiques[Hansen et Sato, Paleoclimate Implications for Human-Made Climate Change, NASA Goddard Institute for Space Studies and Columbia University Earth Institute, New York, 2011]] n’hésitent pas à qualifier la tolérance du seuil de concentration de CO2 à 450ppm[[A l’heure actuelle (février 2013), la cc en CO2 dans l’atmosphère est de 396.8 ppm (source: [NOAA – Earth system laboratory)]] pour limiter la hausse de température à 2°C de « prescription for disaster » tant on sous-estime les rétroactions positives telles la fonte des glaces entraînant une diminution de l’albédo, la moindre capacité d’absorption du CO2 par les eaux plus chaudes des océans ou encore la fonte de hydrates de méthane[Hydrates de méthane ou clathrate sont des émanations de méthane issues de la dégradation de la matière organique et libérées des sédiments. Au contact de l’eau froide et sous forte pression, le méthane se fige en « glace ». En fondant, 1litre de clathrate libère environ 168 litres de méthane. Si ces hydrates restaient sous forme solides à des profondeurs de 360m dans les eaux l’Arctique, des études montrent qu’avec le réchauffement des eaux, il faut à présent descendre sous les 400m de profondeur pour qu’ils restent stables. Sources : [http://www.nsf.gov/news/news_summ.jsp?cntn_id=116532&org=NSF&from=news
http://www.independent.co.uk/environment/climate-change/exclusive-the-methane-time-bomb-938932.html
Shakhova, N.; Semiletov, I.; Salyuk, A.; Kosmach, D.; Bel’cheva, N. (2007). « Methane release on the Arctic East Siberian shelf ». Geophysical Research Abstracts 9: 01071.]]
pouvant libérer des millions de tonnes de CH4 dans l’atmosphère.

L’inertie du système climatique donne l’illusion de changements « lents » et graduels, et anesthésie chez l’homme le sentiment d’urgence à réagir. Mais c’est bien notre apathie à réduire nos émissions qui nous rendra totalement démunis face à un emballement du climat, plus abrupt que prévu.

Gaëlle Warnant

Économie Circulaire