Forces et faiblesses du rôle des ONG au sein de processus volontaires de certification

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Rassemblées autour d’une même cause, les associations de défense de l’environnement ont des intérêts propres. Elles développent des stratégies différentes qui peuvent agir en synergie mais aussi déforcer l’objectif commun pour lequel elles se battent. Le processus Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO) illustre bien la complexité pour les ONG environnementales à atteindre leur but lorsque, impliquées dans ce genre de processus volontaire, elles jouent sur différentes approches et luttent à armes inégales face aux autres stakeholders.

Lors de la dernière Université d’IEW, deux panels abordaient la question de l’engagement et du combat des ONG environnementales. Denis Ruysschaert, docteur en sociologie, vice-président SWISSAID Genève et ancien fonctionnaire du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), y a pris la parole. Il a par ailleurs publié récemment plusieurs articles [[- Ruysschaert, D., & Salles, D. (2016). The strategies and effectiveness of conservation NGOs in the global voluntary standards. The case of the RSPO. Published in Conservation and Society, 2016, 14(2): 73-85. En ligne: http://www.conservationandsociety.org/article.asp?issn=0972-4923;year=2016;volume=14;issue=2;spage=73;epage=85;aulast=Ruysschaert;type=0

 Ruysschaert, D., & Salles, D. (2016). Towards global voluntary standards: Questioning the effectiveness in attaining conservation goals: The case of the Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO). Published in Ecological Economics 2014, 107: p438-446. En ligne: http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0921800914002869

 Ruysschaert, D., & Reiner, H. (2015). From Process to Impact of a Voluntary Standard: The Roundtable on Sustainable Palm Oil . Published in book: State of the Apes: Industrial Agriculture and Ape Conservation, Edition: December 2015, Chapter: 5 – RSPO, Publisher: Cambridge University Press, pp.134-163 . En Ligne: https://www.researchgate.net/publication/285590825_From_Process_to_Impact_of_a_Voluntary_Standard_The_Roundtable_on_Sustainable_Palm_Oil]] dans des revues internationales. Dans un de ses articles, il nous livre une analyse des stratégies des associations de conservation de la nature et de leurs interactions dans le cadre du processus de certification volontaire RSPO, initiative privée qui vise à garantir une production durable d’huile de palme à l’échelle du mondiale. Ces certifications globales privées se sont rapidement étendues ces 10 dernières années pour des commodités produites en pays tropicaux telles que les agro-carburants, le soya, l’aquaculture ou les dérivées du bois.

Comme toutes les certifications globales, le RSPO met autour de la table les acteurs privés de la filière : producteurs d’huile, industries consommatrices dont des géants de l’agro-alimentaire, des investisseurs, des associations de défense des droits sociaux et des associations de protection de l’environnement. Le WWF, engagé de longue date dans la lutte contre la déforestation en Asie du Sud-Est, est une des chevilles ouvrières de l’initiative RSPO établie formellement en 2004. Certifiant durablement plus de 21% de l’huile mondiale et fort de plus de 1300 membres, la RSPO est probablement le standard global le mieux établi.

Si cette initiative louable a permis d’attirer l’attention sur les impacts écologiques et sociaux de la production d’huile de palme et d’impliquer des industries, peu à peu conscientes de l’avantage marketing d’utiliser de l’huile certifiée durable, le constat est pourtant amer. Plus de 10 ans après le lancement de la RSPO, la perte de surfaces forestières et de biodiversité continue en Indonésie. 40% de cette déforestation pour la plantation de palmiers à huile s’effectue sur des sols tourbeux, ce qui aggrave encore les conséquences climatiques de la déforestation puisque ces sols, incendiés puis drainés, émettent de grandes quantités de gaz à effet de serre. La RSPO n’a donc pas permis d’atteindre son objectif de conservation de la nature et ce, malgré le constat paradoxal que, depuis sa création, le nombre d’ONG environnementales qui ont rejoint la RSPO a augmenté. Tout en reconnaissant la pertinence et l’importance de l’implication des ONG environnementales dans ce processus, des chercheurs se sont penchés sur cette contradiction en étudiant les stratégies des ONG.

L’étude «The strategies and effectiveness of conservation ngos in the global voluntary standards: The case of the roundtable on sustainable palm-oil» de Denis Ruysschaert et Denis Salles est pertinente à plus d’un titre. Elle permet de s’interroger sur les opportunités et risques pour les ONG à s’impliquer dans des processus qui reposent sur des instruments du système capitaliste qui conduisent à ces problèmes environnementaux et sociaux qu’elles combattent. Cette étude développe une approche d’écologie politique puisqu’elle étudie les stratégies des ONG de conservation dans un système complexe, un environnement politique et social (question du droit de l’accès à la terre pour les communautés locales), écologique (perte de biodiversité, changement climatique) et économique (big business de l’huile de palme).

Les chercheurs ont identifié, dans ce contexte de la RSPO, quatre types d’ONG selon les stratégies qu’elles adoptent en soulignant leurs forces et faiblesses. Ainsi sont distinguées :

 1) Les associations « collaboratives » qui rentrent dans le jeu de la négociation pour faire changer les règles depuis l’intérieur du système, souvent en se basant sur des faits scientifiques et en prenant des positions stratégiques dans les structures internes au processus (poste de vice-présidence, participation active aux commissions). Ce sont en général des grosses ONG internationales dont la vision est de transformer le marché (de l’huile de palme) en utilisant les canaux et instruments propres au système des multinationales. Elles ont aussi la capacité de mener de grandes campagnes de sensibilisation pour que le grand public fasse pression depuis l’extérieur. Ces ONG investissent des moyens humains et financiers conséquents pour avancer leur cause dans le processus de certification volontaire.

L’étude pointe les limites à cette approche. A force de faire valoir des arguments scientifiques, ces ONG se font souvent « coincer » dans une logique d’amélioration marchande continue sans base scientifique solide adaptée au niveau local. Ainsi, que ce soit la définition des zones de hautes valeurs biologiques, l’établissement des critères pour identifier la forêt primaire ou pour l’intégration facteurs déterminants les gaz à effets de serre, les autres parties prenantes prennent en excuse les incertitudes ou lacunes des connaissances pour remettre à plus tard leurs engagements.

 2) Les associations «opposantes » qui restent en dehors du processus en adoptant une position plus radicale. Ces ONG pensent que ce système de certification volontaire est incapable de garantir une production durable. Elles refusent de le légitimer mais l’utilisent comme une plateforme pour leurs revendications. De l’extérieur, elles investiguent les failles du système RSPO, et attaquent les grands producteurs et les firmes internationales qui font partie de la RSPO en montrant comment elles ont enfreint les règles sur le terrain. Ces preuves alimentent de grandes campagnes de communication[[On se souvient de la campagne particulièrement percutante de Greenpeace visant Nestlé, gros consommateur d’huile de palme http://www.greenpeace.org/international/en/campaigns/climate-change/kitkat/]]. Cette stratégie permet de nourrir les ONG collaboratives qui peuvent faire évoluer les règles de l’intérieur. Ceci permet un durcissement des critères de durabilité ou un meilleur accès à l’information rendue publique, ce qui facilite le rôle des associations opposantes, dans un cercle apparemment vertueux entre stratégies collaboratives et opposantes. Cependant, ces cas qui attaquent des acteurs privés puissants sont instruits en suivant les procédures propres au RSPO, avec toutes ses lourdeurs et délais. Les ONG doivent donc opérer des choix pour porter seulement les cas les plus emblématiques, les plus évidents et où l’impact politique sera le plus fort.

 3) Les associations « opportunistes » qui se concentrent sur des aspects ou des zones géographiques spécifiques et qui peuvent adopter tantôt une stratégie collaborative, tantôt opposante. Ce sont souvent des spécialistes d’une espèce ou d’un habitat particulier, reconnus pour leur expertise mais aux ressources limitées. Elles sont membres du RSPO, mais adoptent parfois l’attitude des opposants en critiquant le système de l’intérieur ou en portant des cas concrets d’infraction de la part d’autres membres du RSPO. A l’inverse des ONG collaboratives, elles ne visent pas des postes clés. Elles sont victimes de cette institutionnalisation car les règles internes limitent la capacité des ONG à changer de position et à s’allier avec les opposants si les discussions avec les ONG collaboratives ne tournent pas à leur avantage. Ces ONG n’ont donc pas d’autres choix que de collaborer, parfois à contre cœur, ou à sortir du processus, avec le risque de ne plus être entendues du tout.

 4) Les associations « sceptiques » qui rejoignent les objectifs de conservation par le prisme des droits de l’homme et travaillent avec les communautés locales. Dans le cadre du RSPO, la majorité de ce type d’ONG ne sont pas membres. Celles qui en font partie jouent un rôle d’aiguillon pour défendre les petits exploitants en mettant leurs difficultés à l’agenda des groupes de travail. Elles peuvent aussi occuper des positions stratégiques au sein du comité exécutif. Enfin, elles entretiennent des liens avec leur base et les communautés locales pour les représenter dans le RSPO, pour dénoncer des infractions au RSPO commises sur le terrain. Malgré leur présence, cette stratégie a peu d’effet vu le décalage entre le plaidoyer pour davantage de justice sociale et le discours dominant des stakeholders du RSPO qui privilégie une approche gestionnaire par le marché. Les sceptiques sont marginalisés tant des ONG collaboratives que des opposantes. Elles perdent peu à peu intérêt à investir le RSPO vu leurs ressources généralement fort limitées. Elles restent très sceptiques quant à la capacité du RSPO à établir une réelle gestion durable qui tiendrait réellement compte des facteurs sous-jacents à la destruction forestière (ex. droit à la terre, appuis des petits producteurs, accès au marché).

Si les associations de conservation jouent un rôle crucial pour avancer vers une gestion durable et responsable des ressources naturelles, force est de constater que, malgré leur nombre et leur diversité, elles ne parviennent pas à impulser les changements drastiques globaux pour obtenir un changement de l’industrie, et par conséquent arrêter la déforestation et l’érosion de la biodiversité. Les auteurs de l’étude pointent trois grandes causes :

 L’institutionnalisation et le modèle de gouvernance de ce système de certification contraignent chaque ONG à opter pour des stratégies très différentiées les rendant éminemment prévisibles. Chaque ONG se révèle souvent incapable de changer de stratégies selon les circonstances et les collaborations sont freinées.

 L’investissement en temps, moyens humains et financiers qu’implique de tels processus alors que les ONG ont des ressources fluctuantes pour ne pas dire déclinantes.

 Le discours fondamentalement capitaliste qui sous-tend le processus de certification volontaire. Le modèle qui a conduit aux problèmes environnementaux et sociaux n’est pas remis en cause. Il s’agit de l’améliorer à travers une approche gestionnaire qui améliore, au mieux, la situation à la marge pour la rendre « acceptable » et qui exclut tout modèle alternatif.

L’étude ouvre aussi des pistes de réflexions pour sortir de cette situation paradoxale et décourageante. Premièrement, les ONG doivent se concentrer et se concerter sur un objectif commun. Deuxièmement, il est sain de garder cette diversité de stratégies mais les ONG doivent davantage identifier le rôle que chacune d’entre elles peut jouer et se coordonner pour concourir à un agenda commun.

Riche d’enseignement, le contexte propre à la « machine » RSPO pourrait être transposé à d’autres initiatives de certification volontaire dans lequel des ONG environnementales sont impliquées puisque l’on y retrouve le même type d’acteurs. Le Programme for the Endorsement of Forest Certification (PEFC) par exemple, un mécanisme privé d’incitation à l’amélioration de la gestion forestière par les voies du marché, rassemble différentes parties prenantes parmi lesquelles des associations environnementales de sensibilité diverses, dont par exemple IEW pour le PEFC Belgium. Certaines associations jouent le rôle d’opposants au système comme Greenpeace ou les Amis de la Terre qui dénoncent l’absence de contrôle sur le terrain. Des associations « collaboratives » ont posé leurs conditions, notamment d’avoir un réel pouvoir d’influence sur les critères de certification. Par ailleurs, puisque le PEFC a une portée internationale, les ONG se sont organisées en plateforme pour partager leurs expériences, renforcer des positions communes sur les outils de lutte contre la dégradation des forêts mais aussi avoir un œil sur la bonne gestion PEFC dans d’autres pays. Malgré une relative bonne coordination en amont des décisions, les associations sont confrontées au problème des ressources pour pouvoir investir des positions stratégiques comme le poste de présidence. En outre, la structure interne du PEFC entraîne une dilution des responsabilités des membres avec certains aspects de la certification qui échappent aux ONG.

A niveau de notre Fédération Inter-Environnement Wallonie, la diversité des associations membres, en termes de thématiques suivies, de taille, de ressources financières ou encore de « professionnalisation » est une richesse qui permet une légitimité et représentativité forte. Mais les intérêts spécifiques et stratégies divergentes n’ont pas toujours facilité la clarté du message porté par la Fédération. Néanmoins, c’est aussi cette confrontation de points de vue et de stratégies autour d’un objectif commun qui permet de se rendre compte du chemin qu’il reste à parcourir pour respecter toutes les facettes de l’environnement et qui fait d’IEW une force de propositions.

Gaëlle Warnant

Économie Circulaire