Les lâchers massifs de faisans et de colverts pour une chasse d’agrément en Wallonie, ou comment le petit gibier à plumes, domestiqué, devient de la chair à canon.
Un article d’Emmanuel Verhegghen pour le collectif « Stop aux Dérives de la Chasse »
Le lâcher de petit gibier
Dans le but de chasser, l’introduction débridée de Faisans de Colchide et de Canards colverts issus d’élevages locaux et/ou importés reste une pratique courante en Wallonie, contrairement à la Flandre et à d’autres pays ou régions où cette pratique est interdite. En effet, le lâcher pour la chasse de petit gibier et de gibier d’eau dans la nature n’est pas réglementé en Wallonie, alors que les raisons pour qu’il le soit ne manquent pas : perte de biodiversité, maltraitance animale et risques sanitaires. Ces introductions dans la nature de volailles issues d’élevages créent des déséquilibres majeurs dans les écosystèmes et ne respectent aucunement le Code wallon du bien-être animal.
Flou juridique
La seule condition à respecter pour le lâcher de petit gibier et de gibier d’eau est dictée par la loi sur la chasse. Celle-ci précise que les lâchers doivent se faire au plus tard 30 jours avant la date de l’ouverture de la chasse, laquelle est fixée par un AGW quinquennal. Le moins que l’on puisse déplorer est qu’il existe un flou juridique, bien entretenu par les autorités wallonnes, qui entoure le lâcher du petit gibier et du gibier d’eau et leur chasse. En réalité il s’agit d’une chasse de loisir qui tire sur des animaux dénaturés pris pour des objets, comme des clays, alors qu’il s’agit de cibles… vivantes.
D’ailleurs, seule la section « chasse » du Pôle ruralité, composée presque exclusivement de chasseurs, doit être consultée par le ministre compétent afin de rendre un avis sur les projets des textes de lois, la “section « nature » n’ayant pas voix au chapitre ! Comme si la chasse se pratiquait hors nature …
Quant aux gouvernements wallons successifs, ils n’ont jamais jugé bon de déterminer, comme le prévoit pourtant la loi sur la chasse (article 12), les conditions auxquelles doit être soumis le lâcher du petit gibier et du gibier d’eau …
Les témoignages
Chaque année, le Collectif Stop aux Dérives de la Chasse (SDC) reçoit de nombreuses observations de lâcher de gibier. Subitement, en été, comme par génération spontanée, ces animaux d’élevages apparaissent par dizaines de milliers dans les paysages, mais aussi dans les jardins et les parcs, et y changent brutalement de statut juridique : ces animaux provenant de fermes d’élevages deviennent subitement du gibier sauvage “res nullius”, c-a-d n’appartenant légalement à personne et donc ouvert à la chasse.
Deux exemples reçus par le collectif SDC en 2024 et dont la presse s’est fait l’écho concernent les doléances des voisins de “grandes” chasses à Clavier (Saint-Fontaine) et à Genappe (bois et étangs de Bois de Pallandt). Ces voisins témoignent être choqués par la souffrance gratuite infligée aux animaux alors qu’il ont déjà subi, auparavant, dans leurs jardins et dans leur environnement dégradé, les pollutions sonores et olfactives provoquées par l’arrivée massive d’un gibier produit artificiellement.
La perte de biodiversité
Et que penser des lâchers faits dans des étangs situés en zone Natura 2000, étangs censés sauvegarder la biodiversité alors qu’ils sont profondément eutrophisés par l’abondante nourriture servie aux canards Colverts, ainsi que par leurs déjections, pour les maintenir sur place avant la chasse ; sans parler de l’attractivité qu’exerce sur les rats et autres rongeurs et sur la Bernache du Canada, espèce exotique, l’abondante nourriture servie chaque jour au gibier d’élevage ?
Un appeau signale la distribution de nourriture et fait affluer le “gibier”. Il suffit de le faire retentir le jour de la chasse pour attirer les cibles apprivoisées par apprentissage, tel le chien de Pavlov …
La législation
Contrairement aux obligations légales imposées depuis 2020 aux Conseils cynégétiques pour la chasse de la Perdrix grise, il n’existe aucune règle qui conditionne la chasse et les lâchers de petit gibier et de gibier d’eau, à l’exception de ses dates d’ouverture et de fermeture et les délais à respecter pour les lâchers avant la période de chasse. Il n’existe aucune obligation de gestion des habitats, comme cela existe pour la Perdrix grise, pour favoriser le repeuplement d’une population animale naturelle. Il n’y a aucune exigence concernant le phénotype des individus relâchés afin de sauvegarder les caractéristiques locales des oiseaux ou limitant les lâchers à des nombres en équilibre avec leur milieu de vie d’origine
La quiétude des promeneurs
Tout comme il n’y a pas d’obligation de signaler une séance de chasse du petit gibier, comme c’est pourtant le cas pour le grand gibier (affiches jaunes et rouges).
Le bien-être animal
Quant au Code wallon sur le bien-être animal qui s’applique aussi à la faune sauvage vertébrée, il n’est pas du tout respecté par les pratiques de chasse du petit gibier et du gibier d’eau. Ce Code prévoit qu’un animal ne peut être mis à mort que “par une personne ayant les connaissances et les capacités requises, et suivant la méthode la plus sélective, la plus rapide et la moins douloureuse pour l’animal”. Cette dernière obligation, qui vise donc aussi la mise à mort à la chasse, est bien évidemment impossible à respecter lorsque les tirs visent des oiseaux affolés, qui s’envolent par dizaines à la fois parce qu’ils sont littéralement mitraillés par les nombreux chasseurs tirant en rafales.
Il faut prendre en considération également toute la souffrance animale gratuite générée tout au long la chaîne logistique qui va de l’élevage de la volaille domestique jusqu’à son importation et son transport, son nourrissage artificiel sur le territoire de chasse, son lâcher comme gibier et, enfin, son tir qui satisfait le seul plaisir des chasseurs.
Le poids économique
Il est incontestable que le lâcher de petit gibier et de gibier d’eau et la chasse de ce “gibier” sont constitutifs d’une chasse commerciale qui génère des recettes et des dépenses importantes. Mais la valeur de cette activité économique ne prend pas en considération le coût économique de la perte de biodiversité, le coût moral de la souffrance animale infligée aux animaux, le coût sanitaire de la destruction des biotopes, les désagréments infligés aux non chasseurs, la destruction des petits prédateurs naturels, etc.
Le courage politique ?
Les gouvernements wallons successifs n’ont jamais pris au sérieux la résolution du Parlement wallon de 2004, qu’il a répétée en 2022, demandant, entre autres :
- “d’exiger des modes et des pratiques de chasse qui garantissent la plus grande efficacité de mise à mort en limitant le plus possible la souffrance infligée ;
- de soumettre toute autorisation de repeuplement à l’élaboration d’un programme intégré de gestion des conditions de développement et de maintien de l’autonomie de cette faune comprenant éventuellement la régulation de certaines espèces en surnombre. Ce programme, soumis à l’avis du conseil cynégétique et visant à terme l’abandon du repeuplement, devra idéalement comprendre des actions d’amélioration du biotope ;
- de développer la mise en œuvre d’outils d’évaluation des populations et des niveaux de qualité des milieux hébergeant la faune sauvage”.
Avant les élections régionales de juin 2024, tous les partis s’étaient prononcés, sur interrogation du Collectif SDC, être d’accord pour interdire le lâcher de petit gibier et de gibier d’eau issus d’élevage et destinés à une chasse qui doit être considérée comme déviante. Gageons qu’ils prendront les mesures nécessaires durant cette législature pour stopper le scandale des lâchers en revoyant la loi sur la chasse ou dans le prochain AGW quinquennal 2025-2030.
Crédit image d’illustration : Adobe Stock
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