Gestion de réseau adaptée aux renouvelables : des solutions existent déjà

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:Énergie
  • Temps de lecture :9 min de lecture

Le développement des énergies renouvelables est en train de redessiner le paysage énergétique.

Au-delà de leur aspect « inépuisable », ces sources d’énergies ont deux caractéristiques qui les différencient fondamentalement des centrales de production électrique classiques, de type gaz, charbon ou encore nucléaire : l’intermittence et la décentralisation.

Contrairement à une centrale électrique « classique », qui peut produite de l’énergie 24h sur 24, 7 jours sur 7, une éolienne ne peut tourner que dans certaines conditions de vents bien précises, des panneaux solaires photovoltaïques ne peuvent produire de l’énergie seulement quand il y a du soleil.

Ces nouvelles unités de production sont également dispersées sur l’ensemble du territoire wallon : fin 2012 la Région wallonne comptait 98.173 installations photovoltaïques pour un nombre total de 98 500 sites de production d’électricité verte1.

Or l’électricité étant difficilement stockable, le réseau électrique doit être équilibré en permanence entre l’électricité injectée sur le réseau et celle consommée. Des solutions techniques existent déjà pour assurer cet équilibre.

Elia, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en Belgique a plusieurs mécanismes d’ajustement à sa disposition pour l’assurer dont notamment la possibilité de commander à certains producteurs d’augmenter leur production ou d’activer des centrales dites « de pointes », soit de couper l’approvisionnement chez certains consommateurs.

Cette dernière solution n’est encore utilisée que pour des unités de puissance importante mais de nouvelles techniques permettent d’envisager la mise en place de coupure sélective de courant chez les particuliers.

« L’effacement résidentiel, ou effacement diffus, consiste à réduire temporairement la consommation d’électricité d’un grand nombre de petits sites, en particulier de logements, de façon à diminuer la demande. Il s’agit par exemple d’interrompre brièvement, mais de façon synchronisée, l’alimentation de radiateurs ou climatiseurs situés dans des logements pour, au total, réduire la consommation d’électricité d’une région ou du pays.2 »

Concrètement, cela consiste pour l’opérateur de réseau à installer un dispositif sur le compteur électrique qui lui permet de connaitre en temps réel les consommations et de pouvoir à distance, gérer certains usages, soit en les coupant soit en les allumant.

Ainsi, en fonction de la demande en électricité, un opérateur pourra postposer l’allumage du système de chauffage électrique ou le déclenchement de la machine à laver. Il s’agit donc du même principe que pour les consommateurs industriels mais au lieu de gérer quelques installations de grandes puissances, il s’attaque à un très grand nombre de petites consommations.

Il ne s’agit pas de couper brutalement la télévision en plein milieu d’un match de football ou d’éteindre les appareils de cuisson lors du réveillon de Noël mais de déplacer certaines consommations plus flexibles sans chambouler la vie du consommateur.

Cette capacité de pouvoir moduler la consommation, permet au gestionnaire de réseau de ne pas devoir augmenter la puissance d’une centrale ou de devoir lancer une centrale de pointe. Cependant, le développement d’une telle solution est souvent lié à l’installation d’un compteur communiquant individuel.

Des économies d’énergie, de CO2 et d’argent

En diminuant les appels de puissance lors des pointes de consommation, cette technique permet d’éviter de démarrer des centrales thermiques utilisant des combustibles fossiles pour équilibrer l’offre et la demande sur le marché.

Elle participe ainsi de façon directe à la réduction des émissions de CO2 générées par ces centrales thermiques3.

En effaçant les pointes de consommation, on évite également de devoir construire de nouvelles capacités de production, ce qui permet de réaliser de substantielles économies.

Le coût de la capacité d’effacement diffus est dix fois moins cher (et vingt fois moins en intégrant l’économie réalisée sur les travaux de renforcement des réseaux) que celui de la construction de nouvelles capacités4.

L’effacement diffus permet également de répondre à des problématiques plus locales en évitant des situations de saturation du réseau qui peuvent entraîner chutes de tensions ou coupure totale de certains usagers.

Une expérience pilote conduite en France a montré qu’il est possible de réaliser des économies d’énergie de l’ordre de 10.9% à 13.2% selon le scénario5. Cette évaluation positive est renforcée par la littérature existante. En effet, l’effacement diffus permettrait de réaliser sur chaque site, sans perte de confort pour les ménages, des économies d’énergie jusqu’à 15 % sa consommation de chauffage électrique6.

Si le système est orienté vers les besoins du consommateur, on peut imaginer que les effets peuvent être renforcés via la sensibilisation à ses consommations électriques.

Acceptabilité, confidentialité des données, modèles d’affaires et stabilité du réseau

Pour que cette technique de gestion de la demande électrique se développe, elle doit répondre à plusieurs défis.

Le dispositif technique s’apparente à un compteur communicant. Il comprend des fonctionnalités telles que l’enregistrement des données de consommation par ¼ d’heure ainsi que leur communication7.

Il représente donc un premier risque en matière de respect et de protection de la vie privée. Les GRD et les fournisseurs d’électricité pourraient donc détenir un nombre conséquent d’informations sur les habitudes des ménages.

Ce risque a été mis en évidence par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) pour qui « le déploiement des compteurs communicants n’est pas sans risque au regard de la vie privée, tant au regard du nombre et du niveau de détail des données qu’ils permettent de collecter, que des problématiques qu’ils soulèvent en termes de sécurité et de confidentialité de ces données. »8.

Il s’agit donc d’encadrer de manière très stricte les données qui peuvent être collectées, par qui et pour un usage bien déterminé.

Pour renforcer l’acceptabilité sociale de ce dispositif, il s’agit également de se pencher sur la perte de confort que les « ménages seront prêts à accepter, comme par exemple la diminution de la température dans certaines pièces de la maison à certaines heures de la journée »9.

En effet, cette perte relative d’autonomie dans la gestion quotidienne de sa consommation d’électricité peut constituer un frein important à l’acceptation de ce dispositif.

Il est donc primordial de faire preuve de pédagogie lorsque de tels dispositifs seront prêts à être massivement implantés, de prévoir un mécanisme de contournement qui permet à l’utilisateur, de sa seule initiative de ne pas autoriser la coupure et enfin il s’agit d’offrir des avantages aux ménages ayant un tel dispositif.

Les économies d’énergie espérées constituent un premier avantage non négligeable mais ne devrait pas suffire seules à inciter les ménages à participer à ce nouveau mode de gestion de la demande.

Il s’agit en effet de ne pas reproduire les mêmes erreurs que celles relevées lors du déploiement en France du compteur communicant « Linky ». Au-delà des aspects de protection de la vie privée, c’est le coût de ces compteurs qui fait la une de la presse outre-Quiévrain. Ce coût sera in fine supporté par les consommateurs qui devraient rembourser leur installation par les économies d’énergie réalisée.

Or, les chiffres les plus optimistes avancées par ERDF sont de l’ordre de 3.5 à 11% quand l’association de consommateurs UFC-Que Choisir parle d’un gain nul10.

Il s’agit donc d’apporter une attention particulière aux sources de motivation des utilisateurs, qui dans leur grande majorité ne sont que peu voire pas concernés par les avantages environnementaux de la réduction globale de la consommation énergétique.

Il s’agit enfin de créer un modèle économique qui soit également intéressant pour les consommateurs et les GRD.

  1. [CWaPE (2012), « [Rapport annuel spécifique 2012 sur l’évolution du marché des certificats verts », p.7]
  2. [Ademe (2012), « L’effacement des consommations électriques résidentielles », Les Avis de l’Ademe, p.1.]
  3. [Centrales électriques alimentées par du charbon, gaz ou fioul]
  4. [Bivas Pierre (2013), « L’effacement diffus, une nouvelle filière électrique mondiale, née en France, va accompagner une transition énergétique juste », Annales des Mines – Responsabilité et environnement, 2013/1N° 69, p. 106.]
  5. [Ademe (2012), Op. Cit., p.3]
  6. [Bivas Pierre (2013), Op. Cit.,p.7.]
  7. [CWaPE (2012), « [Rapport concernant l’évaluation économique du déploiement des compteurs intelligents », p.6.]
  8. [Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), « [Compteurs communicants : premières recommandations de la CNIL] »
  9. [Ademe (2012), Op. Cit., p4.]
  10. [Ibid.]