HUMEUR : L’écologie réformiste, greenwashing politique

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Qui peut se prétendre vraiment étonné.e par la démission de Nicolas Hulot ? Qui croyait sincèrement en la possibilité d’une autre issue ? Qui espérait réellement que l’homme pourrait faire bouger les lignes et initier des changements à la hauteur des enjeux ? Les divergences idéologiques – non, ce n’est pas un gros mot – entre Emmanuel Macron et son (ex) Ministre de la transition écologique et solidaire apparaissaient telles que leur cohabitation politique ne pouvait être que la chronique d’une démission annoncée.

La véritable surprise, c’est que celui qui, à la veille de l’élection présidentielle, déclarait « mon inquiétude vient du fait que l’on n’a pas été au bout de l’analyse critique du modèle économique dominant en Europe et dans le monde. Une mondialisation qui nous a échappé, qui épuise nos ressources, concentre les richesses et ne partage pas. Le personnel politique n’a pas profité de cette campagne pour prendre acte que ce modèle était à bout de souffle et qu’on ne pouvait pas s’en accommoder » 1 ait pu voir dans le programme économique du président En Marche autre chose que la perpétuation voire le renforcement dudit modèle. Comment, après avoir estimé que « le juge de paix, ce sera l’architecture gouvernementale. Est-ce que l’environnement sera une fois de plus un ministère parmi d’autres ? Est-ce que ce sera encore Bercy qui donnera le tempo ou une organisation qui permettra à l’écologie d’être le prisme par lequel sera définie la politique gouvernementale ?  »  3, le Ministre Hulot ne disposait ni de l’un ni de l’autre. On se plaît dans certains milieux à opposer l’immobilisme de politiques bornés aux aspirations d’une population prête au(x) changement(s) mais la réalité apparaît bien plus complexe.

Certes, l’homme jouissait d’une cote de popularité élevée et son combat bénéficiait de sondages favorables mais la sympathie ne signifie pas l’adhésion. Qu’une majorité de citoyens souhaite « Make our planet great again », un air plus pur, des villes moins bruyantes, des produits alimentaires sains, une biodiversité sauvegardée et un climat préservé – et, tant qu’à faire, moins de pauvreté, plus de solidarité sans oublier un monde sans guerres ni famines – est une chose. Que ces mêmes citoyens acceptent les mesures indispensables à l’atteinte de ces objectifs en est une autre ô combien différente. C’est (doublement) pécher contre le politiquement correct de l’écrire mais le fait est que, hors du cercle des initiés et des concaincus, peu – premier péché – sont prêts aux restrictions – deuxième péché – qu’une politique environnenementale efficace exige. Sauver la planète, soit, mais pas à n’importe quel prix, surtout pas celui de nos plaisirs. C’est que, pour paraphraser Bossuet, « nous déplorons les effets dont nous chérissons les causes ».

Les réalisateurs de « Demain » et, à leur suite, les zélateurs de la « transition heureuse » l’ont bien compris, usant et abusant du récit positif pour vendre un futur « désirable ». 
Révolue, l’ère des critiques et des revendications. L’air du temps n’est plus à la dénonciation d’un présent mortifère mais à la promotion d’un demain aussi idyllique qu’accessible où la planète sera préservée, l’économie équitable et l’humanité solidaire. A la litanie des prévisions anxiogènes, on substitue le chapelet des initiatives qui réinventent l’agriculture, la mobilité, l’énergie, l’éducation, l’économie. Quand Hulot met en garde contre le pire et dénonce  4 une « politique des petits pas » inadaptée à la gravité et à l’urgence de la situation, ceux-là nous vantent et vendent un meilleur à portée de main. Pourquoi pas ? Cela ne dit toutefois rien de l’(in)adéquation entre cette approche et l’ampleur du défi à relever. Plus grave : cette culture de la positive attitude entretient l’illusion d’un changement indolore et, ce faisant, l’opposition à toutes mesures synonymes de renoncement. En choisissant de se développer dans les marges d’un système qu’elles se refusent à combattre, ces initiatives occultent par ailleurs les ruptures radicales indispensables pour sortir du merdier dans lequel nous nous enlisons. Elles participent ainsi, à l’insu de leur plein gré, à la stratégie des petits pas dont le Ministre Hulot refusa de cautionner plus longtemps la nature suicidaire. Un comble, non ?

Plus que toutes les analyses et exégèses de sa démission, le profil choisi pour succéder à Hulot au ministère de la Transition écologique et solidaire en dit long sur l’escroquerie intellectuelle et politique dont il fut victime. François de Rugy, l’heureux adoubé, s’affirme en effet comme sa parfaite antithèse. Auteur du très dispensable « Ecologie ou gauchisme, il faut choisir ! » 5, l’homme défend une approche résolument « pragmatique » : pour lui, pas question d’opposer écologie et économie, encore moins de mettre en cause le modèle en place. Contrairement à son prédécesseur, ce modèle, il s’en accommode parfaitement : « L’écologie réformiste ne peut être, en matière économique, qu’un pragmatisme résolu. La promesse – un peu lointaine, et souvent vécue comme inatteignable – consistant à changer le mode de production et de consommation pour sortir de la crise relève du prêchi-prêcha vert. » 6 Cela a le mérite d’être dépourvu d’ambiguïté et nous ramène à ce qui constitue de facto l’enjeu central du renoncement d’Hulot. Alors que d’aucuns s’interrogent sur « Peut-on faire de l’écologie sans les écologistes ? », la seule question qui vaille véritablement est de savoir si on peut faire de l’écologie à la hauteur des enjeux dans le système économique actuel.

Hulot avait sa réponse, de Rugy a la sienne et il ne faut pas être docteur ès sciences politiques pour comprendre de quel côté penche la raison des décideurs de toutes espèces et de toutes étiquettes. Malheureusement, dixit Einstein, « on ne résout pas un problème avec les modes de pensées qui l’ont engendré ». Aussi longtemps que l’on s’obstinera à prétendre apporter des solutions aux problèmes environnementaux – et pas seulement aux émissions responsables des changements climatiques – qui menacent les équilibres planétaires sans vouloir mettre en cause le modèle de production et de consommation débridé qui en est la cause et le moteur, nous continuerons à entretenir le foyer de nos malheurs. L’écologie réformiste s’apparente de ce point de vue à du greenwashing politique. Elle est un trompe l’œil vertueux mais inefficace pour changer la trajectoire qui nous conduit droit dans le mur.

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  1.  https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/05/04/nicolas-hulot-afflige-par-l-absence-de-l-environnement-du-debat-presidentiel_5122351_4854003.html
  2.  https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/05/04/nicolas-hulot-afflige-par-l-absence-de-l-environnement-du-debat-presidentiel_5122351_4854003.html 2 , a-t-il pu rallier un gouvernement conduit par une personnalité d’évidence aussi sensible à l’environnement qu’un boucher-charcutier peut l’être à la cuisine vegan ? Le choix de ce premier ministre, ancien lobbyiste en chef d’AREVA, fleuron du nucléaire français, parlementaire opposé aux lois « Sur la transition énergétique pour la croissance verte » et « Pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages », maire ayant bataillé contre la fermeture de la centrale à charbon de sa ville, laissait pourtant peu de doute quant à « l’architecture gouvernementale » dessinée par le jupitérien chef de l’Etat. 
    Comprenne qui pourra…

    Peut-être était-ce là le sursaut un brin bravache d’un homme lassé des procès en pusillanimité qui lui furent intentés après ses refus de rejoindre l’exécutif des présidents Chirac, Sarkozy et Hollande. 
    Jusqu’alors, il avait écouté la petite voix qui, au fond de sa raison, lui murmurait que le chantier était trop vaste, le temps trop court, les conditions trop mauvaises ; qu’il n’y arriverait pas, qu’on n’y arriverait pas et qu’il ne devait pas tuer les illusions en se confrontant à un inéluctable échec. Mais ç’en était fini des reculades. Cette fois, il avait décidé de monter au front. Sans doute ne croyait-il pas davantage en la victoire mais c’était ça ou céder à la résignation. Au moins, il aurait tout tenté pour éviter le désastre qui vient. Et si l’aventure tournait mal, sa faillite ferait la preuve de l’incapacité collective à remettre en cause un mode de vie qui nous étouffe lentement mais sûrement.

    Quoi qu’il en soit, il fallait à Nicolas Hulot une sacrée dose d’optimisme et un fameux pouvoir d’auto-persuasion pour s’aventurer dans cette galère tant on y devinait la claque qui guette au coin des illusions. Et ça n’a pas manqué. Après quinze mois de combat contre les spadassins du business as usual, il en a eu marre d’encaisser claques, torgnoles, soufflets, crochets et uppercuts. Groggy, il a jeté le gant.

    L’échec de Hulot en témoigne : un ministre aussi compétent et volontariste soit-il ne peut rien seul contre tous. Il doit a minima disposer d’un soutien populaire fort et idéalement d’un consensus politique solide. Or, comme il en fit lui-même l’amer constat en questionnant « Où sont mes troupes ? »  2 Le 5/7, France Inter, 28/08/2018 

  3.  Le 5/7, France Inter, 28/08/2018
  4. Editions L’Archipel, collection « Grosse colère », Paris 2015
  5. « Ecologie ou gauchisme », op cit, page 155