Voilà une nouvelle dont il semble difficile voire impossible de ne pas se réjouir : à partir de janvier 2018, la Région de Bruxelles-Capitale deviendra une LEZ ou low emission zone (en anglais dans le texte). En clair et en pratique, à partir de cette date, les véhicules les plus polluants seront progressivement interdits de macadam bruxellois. Plus concrètement encore, dans moins de trois mois, les moteurs diesel sans normes Euro et de norme Euro 1 n’auront plus le droit de rouler dans la capitale. La mesure sera progressivement étendue à d’autres normes et motorisations (essence, LPG, CNG). Objectif : « que tous les habitants et nos enfants puissent à nouveau respirer… »[[www.lez.brussels/fr]] Ce qui est louable et de grand bon sens car, comme disait mon prof de solfège pour expliquer l’importance du soupir sur une partition, « quand on ne respire pas, on meurt » !
Difficile, écrivais-je, de ne pas se réjouir… Mais la difficulté ne m’a jamais rebuté et j’ai une réputation de grognon à défendre. Je m’abstiendrai donc de félicitations et irai, au contraire, de mes déplorations.
Premier constat : le verre n’est pas à moitié plein mais aux trois quarts vide.
Dès lors que l’on proclame « L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a signalé que les émissions polluantes sont responsables de 75.000 morts prématurées en Europe, chaque année. »[[www.lez.brussels/fr]], on ne peut se contenter de demi-mesures, d’autant moins lorsque celles-ci reposent sur des bases contestables voire caduques. Car le fait est que les normes Euro devant permettre de déterminer les véhicules autorisés en ville n’apportent aucune garantie quant à l’innocuité de leurs gaz d’échappements.
Certes, les fameux filtres censés rendre la combustion du diesel « propre » retiennent bel et bien une grande proportion de la masse des particules fines (99,9%, dans le meilleur des cas, à en croire les constructeurs ; plutôt 90% selon l’ADEME, l’Agence française de l’environnement et de la maîtrise des énergies) mais ils retiennent essentiellement les plus grosses, les autres passant à travers. Selon la cancérologue Isabelle Annesi-Maesano[[www.controverses-minesparistech-1.fr/_groupe5/les-filtres-a-particules/h-01/h-03.html]], la mesure actuelle des réductions d’émissions par un pourcentage massique est une façon de cacher que les particules très fines et très légères continuent à diffuser en très grand nombre. Or, ce sont précisémement elles, capables de pénètrer très profondémement dans les bronches, les plus cancérogènes. Par-delà leur caractère politiquement et psychologiquement rassurant, les restrictions bruxelloises risquent donc fort de s’avérer insuffisantes voire totalement inopérantes sur le plan sanitaire.
La seule solution pertinente réside de facto dans l’interdiction pure et simple des véhicules diesel… accompagnée d’une réduction drastique du trafic des autres motorisations, moins innocentes qu’on ne nous le laisse croire. Il est de ce point de vue piquant de noter que la technologie à injection des nouveaux moteurs essence, développée pour réduire la consommation et conséquemment les émissions de CO2 à l’orgine du réchauffement global, génère dans le même temps une augmentation de la production de particules fines !
Deuxième constat : une fois de plus, on évite – sciemment – de s’attaquer au cœur du problème à savoir la place accordée à l’automobile.
Comme cela a déjà été dit et répété, écrit et recopié, démontré, expliqué et martelé à d’innombrables reprises, le problème de la voiture ne se limite pas à la composition de ses gaz d’échappement. Qu’elle roule au diesel ou à l’électricité, à l’essence ou à l’hydrogène, son encombrement reste le même et un embouteillage de bagnoles estampillées « propres » demeure un embouteillage avec tout ce que cela implique de nuisances et conséquences dommageables. Plutôt que de vouloir réguler la nature des carrosses qui circulent en région bruxelloise, n’eut-il pas été sensé de mettre en place une stratégie globale permettant d’en réduire le nombre ? La volonté proclamée d’accompagner l’instauration de la LEZ de mesures telles que des primes encourageant particuliers et PME à investir dans un véhicule moins polluant[[www.lecho.be/economie-politique/belgique-bruxelles/Voici-comment-Bruxelles-va-se-debarrasser-des-vehicules-polluants/9936887?ckc=1&ts=1506592727]] montre malheureusement qu’on est très loin du compte. Pire : l’argent public favorisera le renouvellement du parc automobile au mépris des études mettant en garde contre les effets pervers de cette politique…
Troisième constat : entre « émissions polluantes » et « gaz à effet de serre », il ne fallait pas choisir.
Avec leur low emission zone, les autorités régionales ont ciblé leur ennemi : la pollution de l’air. Mais à l’heure où « la réduction des émissions de gaz à effet de serre pour éviter les changements climatiques » s’impose partout comme une priorité vitale, la présence sur la scène environnementale d’un autre enjeu impliquant des acteurs à la fois semblables et différents échappe soit à la perception ou à l’entendement des citoyens lambda. Ils sont peu nombreux ceux/celles qui connaissent la distinction entre « gaz polluants » causes de pathologies respiratoires et « gaz à effet de serre » responsables du réchauffement global. Aussi, pour beaucoup, les restrictions imposées prochainement participent du combat climatique alors que la norme Euro au cœur du processus bruxellois n’en tient nul compte. Pour ceux et celles-là, il sera difficile de comprendre et encore plus d’accepter qu’un Porsche Cayenne 4.0 Turbo produit en 2017 sous norme Euro 6 soit bienvenu dans les rues de la capitale en dépit de ses 272 g de CO2 au kilomètre…
L’occasion était belle de faire preuve à la fois d’efficacité, de cohérence et de pédagogie en liant les deux enjeux à travers une grille d’évaluation intégrant à la fois les niveaux de rejets de polluants et de CO2. L’efficacité et la cohérence ne pèsent malheureusement pas bien lourd dans la balance face à la crainte des mécontentements et des hostilités.