Ira ? N’ira pas ? Iraounirapas ? Le microcosme politico-médiatique français eut à peine le temps de conjecturer sur la rumeur bruissant dans le landernau que Tweeter gazouillait la réponse: n’ira pas. A l’instar de Caius Iulius Caesar IV, Empereur de Rome, et d’Alain Fabien Maurice Marcel Delon, héraut de lui-même, l’écologiste préféré des Français s’est exprimé à la troisième personne du singulier pour annoncer sa décision : « Nicolas Hulot n’entrera pas au gouvernement. Il remercie le Président de la confiance qu’il n’a cessé de lui accorder. »[[Tweet envoyé le 4 février à 14h42 par @N_Hulot]]
Occupé à déplacer ses pions ministériels afin de permettre à Laurent Fabius, en charge des Affaires étrangères, d’aller pantoufler à la présidence du Conseil Constitutionnel, François Hollande souhaitait confier à Monsieur Hulot un super-ministère de l’Environnement où il aurait remplacé Ségolène Royal, ainsi libérée pour prendre la tête de la diplomatie française (aïe-aïe-aïe !). Mais jamais deux sans trois et pas de traitement de faveur: comme Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy avant lui, Hollande s’est vu opposer une fin de non recevoir. Les ors de la République n’attirent ni n’aveuglent Nicolas Hulot. Nicolas Hulot est un sage. Ou un lâche… ?
Le point d’interrogation en clôture du paragraphe précédent n’a rien d’accessoire. Il m’exonère d’une attaque frontale envers un homme éminemment respectable mais aussi et surtout, il traduit le doute qui m’habite. Car, oui, je comprends qu’après trois années de missions évangéliques devant convertir à la cause climatique tout ce que la planète compte de personnalités influentes, Nicolas éprouve le besoin de souffler et de se (re)poser un peu chez lui. D’ailleurs, avec un chez soi comme le sien – cossue villa bretonne posée sur la plage[[Reportage « L’infatigable Monsieur Hulot » dans « Complément d’enquête », France 2, 10 septembre 2015]] –, on peut considérer qu’il a déjà fait preuve d’une abnégation phénoménale en adoptant la position du missionnaire. Ceci étant acté, il reste que sa décision de répondre par la négative à l’appel présidentiel constitue à mes yeux une opportunité gâchée et un terrible coup de pied de l’âne au(x) politique(s). Je m’explique.
Si les cadres d’Europe Ecologie Les Verts peuvent légitimement argumenter leur refus d’embarquer dans le gouvernement Valls en évoquant une incompatibilité de la politique menée avec les programmes sociétal, social et économique du parti, Hulot se trouve dans une position radicalement différente. Sa cause à lui, bien qu’inscrite dans une approche transversale, est exclusivement écologique. Si l’homme a, je n’en doute pas, des convictions et points de vue sur tout ce qui fait la vie de la cité, ils ne sont pas au cœur de son engagement politique et ne pèsent donc logiquement qu’à la marge dans sa décision. L’important, c’est sa capacité d’action pour mener le combat en faveur de l’environnement et du climat. Et là, Hollande n’avait pas lésiné sur le volume et l’éclat de la carotte devant allécher celui qui fut son pugnace « Envoyé spécial pour la protection de la planète ».
Le Président lui offrait un super-ministère regroupant l’Ecologie, le développement durable, l’énergie et les transports, avec, cerise bio sur le gâteau fait maison, un titre de ministre d’Etat le plaçant devant tous ses coreligionnaires en terme de rang protocolaire.[[Challenges.fr]] Mais il lui promettait également un enterrement du projet de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, une poursuite du moratoire sur l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste ainsi qu’un règlement de la question des boues rouges générées par la fabrication de l’aluminium qui polluent la Méditerranée.[[« Libération », 5 février 2016]] Du lourd, donc, du très lourd, même, qui rend la décision du Sieur Hulot difficilement compréhensible. Car de trois choses l’une : ou il n’a pas confiance en la parole du Président, ou il ne croit pas en la possibilité d’agir efficacement, ou il fuit ses responsabilités…
Sur base de la collaboration poursuivie – bénévolement, qui plus est – pendant trois ans avec François Hollande, des remerciements contenus dans le Tweet de refus et de l’impact catastrophique que des promesses non tenues auraient eues pour un Président en quête de popularité, j’exclus d’emblée la première hypothèse. Restent la crainte de l’inefficacité et, collé-serré à elle, le refus de se confronter à l’action.
Invité du « 7/9 » de France-Inter le jeudi 28 janvier dernier alors que son éventuelle entrée au gouvernement n’était pas encore d’actualité, Hulot avait eu cette petite phrase lourde de sens : « Victor Hugo disait : « Le seul problème avec la politique, c’est qu’on préfère la consigne à la conscience. » Or, il vaut mieux privilégier la conscience que la consigne. » Réplique du journaliste : « J’en déduis que n’êtes pas fait pour être ministre… » Hulot : « Je ne suis pas certain que je sois le profil idéal pour ça. » L’échange prend rétrospectivement une valeur très particulière.
Cette défiance envers le politique apparaît pour le moins (d)étonnante dans le chef d’un homme qui a œuvré sans relâche à la conclusion d’un accord sur le climat éminemment voire exclusivement… politique. Car ce fameux « Accord de Paris » ne représente pour l’heure rien d’autre qu’une déclaration de bonnes intentions et n’engage que ceux qui veulent y croire. Si, précisément, celui qui y croit le plus – ou est en tout cas présenté comme tel – ne se sent pas à même de s’investir dans sa mise en œuvre, qui pourra le faire ? L’enjeu est majeur car la qualité, dans tous les sens du terme, de ceux en charge de cette mise en œuvre déterminera in fine sa portée et son efficacité.
Quelle que soit sa difficulté avec la consigne en politique, Nicolas Hulot est, et de loin, le mieux à même d’initier une politique environnementale forte, à la hauteur de l’urgence de la crise à laquelle elle doit répondre. Il dispose en outre d’un atout énorme dans son jeu : ne pas être connoté idéologiquement. Il plaît aux électeurs de droite comme à ceux de gauche et a travaillé sereinement avec des personnalités aussi différentes qu’Hollande, Sarkozy et Chirac. Son profil lui offrait une perspective unique : pouvoir envisager de rester en poste après la présidentielle de 2017. Hormis Marine Le Pen, on voit en effet mal lequel des potentiels prochains locataires de l’Elysée aurait oser se défaire d’un homme comptant parmi les personnalités préférées des Français et aussi viscéralement identifié à la cause dont il aurait eu la charge. Il y avait donc là, hormis les acquis immédiats (Notre-Dame-des-Landes, gaz de schiste…) et la possibilité de définir les axes majeurs de « l’après-Paris », une opportunité exceptionnelle de pouvoir agir dans la durée. Une opportunité exceptionnelle mais gâchée.
Je lis ici et là[[« Le Monde », 5 février 2016 ; metronews.fr]] que l’homme garderait l’ambition d’être candidat l’an prochain à la succession de François Hollande, non pas sous l’étiquette d’Europe Ecologie Les Verts mais à la tête d’un nouveau mouvement écologiste d’envergure qu’il lancerait considérant que « l’enjeu que je porte est supra-politique »[[Interview dans le « 7/9 » de France Inter, jeudi 28 janvier 2015]]. Soit. Mais il lui faudra auparavant expliquer comment il compte s’accommoder là de « la consigne » qu’il rejette par ailleurs… Et expliquer encore comment il entend concilier cette démarche éminemment exposée et narcissique avec la retenue qui semble l’habiter : « Attention à ne pas céder au mauvais sentiment d’égo de trop. Attention à ne pas confondre capital de sympathie et capital de compétences. »[[Interview dans le « 7/9 » de France Inter, jeudi 28 janvier 2015]]
Ce qui nous amène de plain-pied à l’autre explication possible de son « non » à Hollande (et aux autres) : le refus de se confronter à l’action.
Attention, il n’est pas question pour moi de nier l’engagement de l’homme. Son investissement fut remarquable. Il a beaucoup sensibilisé, argumenté, démontré, revendiqué… mais il ne suffit pas de prêcher la bonne parole, il faut aussi l’appliquer. Et être brillant dans un rôle ne garantit pas de l’être dans l’autre. (Tout le monde n’a pas la bi-compétence d’un général Piquemal, ancien patron de la Légion étrangère qui, après avoir combattu les gauchos, les négros, les niakoués, les bougnoules, les bamboulas, les melons et les bicots par les armes en terres étrangères, poursuit sa croisade avec des mots crachés sur le sol français. Ça, c’est un mec qui en a des qui débordent du slibard !)
Ou peut-être a-t-il tout simplement peur, Nicolas.
Peut-être que quelque part tout au fond de lui, une petite voix murmure que le chantier est trop vaste, le temps trop court, les conditions trop mauvaises, qu’il n’y arrivera pas, qu’on n’y arrivera pas, et qu’il ne veut pas se confronter à un échec annoncé.
Peut-être qu’il n’y croit pas, qu’il n’y croit plus, mais qu’il ne peut ni ne veut se résoudre à la résignation, à contempler le désastre qui vient sans au moins le dénoncer, sans encore se révolter.
Peut-être qu’il n’a plus la foi ni la force pour aller au-delà des mots.
Peut-être…
Ce qui est certain, c’est qu’en choisissant de rester au balcon, l’homme a envoyé un signal diablement équivoque. « Je prends du recul et je vois où je peux être le plus utile. » affirme-t-il.[[Interview dans le « 7/9 » de France Inter, jeudi 28 janvier 2015]] Vu l’urgence d’agir, je peine à croire que cela puisse être ailleurs que les mains dans le cambouis. Sauf à considérer que même cela est désormais inutile.