Tout ou presque aura été dit sur le black-out qui nous guette au coin de l’hiver. Les experts ont expertisé, les analystes ont analysé, les commentateurs ont commenté, les politiques ont polémiqué au terme de quoi il ressort que sept réacteurs sur huit HS en même temps, c’est inacceptable – mais il faudra quand même faire avec ; ou plutôt sans – et que oui, peut-être, en principe, on trouvera ailleurs les watts qui nous font défaut – mais attendons de voir, ce n’est pas certain.
Tout ou presque aura été dit et pourtant, ce qui m’a frappé dans ces échanges souvent techniques jusqu’à l’abscons, c’est ce qu’ils ont, délibérément ou inconsciemment, tu.
Evoquer une pénurie uniquement sous l’angle de l’offre m’apparaît en effet aussi peu banal que très révélateur. Et que dire de l’absence de toute réflexion prospective sinon qu’elle pose question(s). Il ne suffit pas, en effet, de décréter que « Maintenant, la voie est claire, hein, on va vers une production 100% renouvelable » pour faire avancer le Schmilblick.
Car de quoi s’agit-il ? De l’incapacité potentielle du pays à faire face à sa demande électrique. C’est problématique en l’état mais cela devient véritablement catastrophique si on considère que l’objectif universel du « monde sans carbone » imposé par la lutte contre le réchauffement global repose essentiellement sur le remplacement massif des énergies fossiles par une électricité intégralement produite à partir de sources renouvelables. Echéance du chantier : 2050.
Pour bien comprendre l’ambition du pari et l’ampleur de la tâche, il faut savoir que la part d’énergie renouvelable dans notre consommation finale d’énergie plafonnait en 2016 à… 8,65 % ![[Les chiffres sont issus de la publication « Energie – Chiffres clés 2016 » du Service public fédéral Economie, P.M.E., Classes moyennes et Energie. https://economie.fgov.be/fr/publicaties/energie-chiffres-cles-2016]] En ce qui concerne l’électricité, elle ne représente aujourd’hui que 16,7% de cette consommation finale et n’est qu’à 16,6% d’origine renouvelable (éolien, 6,4% ; solaire, 3,6% ; combustibles renouvelables, 6,2% ; hydraulique hors pompage 0,4%), le nucléaire assurant 50,9% de la production.
La perspective d’un black-out dans cette configuration laisse aisément augurer la précarité énergétique permanente à laquelle nous risquons d’être exposés si nous ne nous donnons pas la peine de baliser correctement la voie vers ce « 100% renouvelables en 2050 ».
La première des balises à poser, le phare qui devra guider nos choix, c’est la sobriété (à ne pas confondre avec l’efficacité ; l’une prône le « moins », l’autre le « mieux » et les deux sont complémentaires). Aussi paradoxal que cela puisse paraître alors que nos habitations, nos bureaux, nos lieux de vie et de passage multiplient les sources de consommation énergétique et les incitations à rejoindre l’orgie, la sobriété constitue bel et bien un impératif absolu. Sans elle, la société décarbonée restera à jamais un fantasme.
Dans son « Scénario 2017 – 2050 », l’association française négaWatt[https://negawatt.org/Scenario-negaWatt-2017-2050]] estime que la sobriété énergétique peut à elle seule permettre de réduire les besoins en énergie de 28% en 2050 par rapport à 2015. Pour y arriver, elle propose un éventail de mesures très concrètes[[« La sobriété énergétique : pour une société plus juste et plus durable » Téléchargeable ici : [https://negawatt.org/La-sobriete-energetique]] à mettre en œuvre tant au niveau des individus qu’à celui des pouvoirs publics.
Il est aberrant – mais tristement éloquent – que nos experts, analystes, commentateurs et politiques aient pu expertiser, analyser, commenter et polémiquer à longueur de pages et d’émissions sur le black-out qui menace sans jamais juger utile de questionner notre consommation et de nous sensibiliser sinon nous inciter à la modération. Comme si, à leurs yeux, la Fée électricité se devait d’être offerte et ouverte à la satisfaction de tous nos appétits.
Si « la voie est aujourd’hui connue, hein », avec des éclaireurs tels que ceux-là, le chemin risque d’être long et difficile…