Une amie conscientisée et bien intentionnée a déposé dans ma boîte à mails une invitation à signer l’« Appel aux autorités communales et universitaires : Ne dites plus Louvain-la-Neuve, dites Louvain-l’-Esplanade »[[https://lapetition.be/en-ligne/Appel-aux-autorites-communales-et-universitaires-Ne-dites-plus-Louvain-la-Neuve-dites-Louvain-l-Esplanade-16500.html]], autrement dit, la pétition contre l’extension du centre commercial néo-louvaniste aussi joliment qu’incongrument baptisé « L’Esplanade ». Et il me faut l’avouer : je n’ai pas ajouté mon nom à la liste des signataires !
« Quoi !?! » – « Comment ?!? » – « Qu’est-ce donc ??? »
J’anticipe aisément les protestations outragées prêtes à s’abattre sur le renégat que je viens de devenir aux yeux de certain(e)s : « Tu ne peux quand même pas être d’accord avec un projet pareil ? » – « Non mais, t’imagines ce qu’ils sont en train de faire ??? » – « Là, on va pourrir une ville avec une aberration architecturale vouée au commerce de masse et tu t’en fous ? » — « Ah, il est beau, le pseudo-environnementaliste, le simili-décroissant… ! »
Je précise donc que, oui, j’imagine parfaitement ce qui est en train de se faire et que, non, je ne suis pas d’accord avec un projet qui heurte à la fois ma sensibilité environnementale et mes convictions post-productivistes mais… Il y a un « mais » qui me retint de rallier la cause : le rejet instinctif que j’éprouve face aux mobilisations épistolaires, quelles qu’elles soient. L’illusion entretenue que « vous pouvez encore changer les choses » et « il vous reste deux jours pour sauver… (les abeilles / Willy / le climat / les finances grecques / la planète : je vous laisse le choix, non exhaustif) » conjuguée à la prétention de résumer la complexité d’un enjeu en quelques phrases lapidaires constitue une tare rédhibitoire m’empêchant de cautionner pareilles démarches.
Les « appels à signer » rejoignent donc généralement la corbeille sans passer par la case lecture. Ce que je savais de son expéditrice m’incita toutefois à prendre exceptionnellement connaissance de ce message avant de le vouer au néant numérique.
Bien m’en prit car le (long) texte motivant la démarche échappait miraculeusement aux horreurs du genre. Privilégiant l’argumentation à l’exhortation, il prenait le temps de contextualiser l’enjeu, du global au local. Il évitait également de se positionner « contre » sans proposer d’alternative, défendant tout au contraire – de manière sans doute un peu trop théorique – un autre modèle de développement commercial… C’était clair, net, intelligent et, à dire vrai, il s’en est fallu de peu pour que mes réticences primaires tombent et que je signe cet appel. Il eut suffi que, par-delà ce modèle de développement commercial alternatif, le propos évoque le modèle de développement humain souhaité pour la ville. Qu’il témoigne non seulement d’une volonté de préserver celle-ci de la verrue architecturo-mercantile qui la menace mais aussi – et peut-être surtout – d’une envie de la libérer du cocon « bobo » dans lequel elle se blottit jusqu’à s’étouffer.
Car Louvain-la-Neuve manque aujourd’hui cruellement d’âme et on ne la lui insufflera pas uniquement en évitant l’extension de son centre commercial et en plaidant pour « que les autorités aient l’ambition de promouvoir à Louvain-la-Neuve une activité économique qui minimise réellement l’empreinte écologique, protège la biodiversité et la santé, développe l’équité sociale »… Il faut faire couler dans ses artères une sève nouvelle qui affectera sans doute ses habitudes ouatées mais dopera dans le même temps son dynamisme, la richesse de ses échanges, ses facultés d’innovation, sa capacité de régénération. Et pour apporter cette sève nouvelle, il importe de mettre en place des mécanismes permettant à de nouveaux publics d’investir la cité, d’y démocratiser l’accès au logement afin d’accueillir des personnes et familles hors de la classe moyenne supérieure qui la peuple trop majoritairement aujourd’hui au risque de la ghettoïser.
« L’Appel aux autorités communales et universitaires » manque malheureusement l’occasion d’insister sur cette dimension fondamentale… et par conséquent de se rallier ma signature. Ce qui n’eut été qu’un petit pas pour la cause mais un pas de géant pour l’art de convaincre !