En l’espace de quelques semaines, l’homme s’est imposé comme le coryphée de la cause environnementale. Il lui aura suffi d’un Appel publié en Une du « Monde » et d’une prise de parole relayée par une vidéo devenue virale pour que des propos jusqu’alors considérés extrémistes et inaudibles, inaudibles car extrémistes, essaiment sur les réseaux sociaux et dans les médias mainstream.
Pourtant, Aurélien Barrau n’affiche pas vraiment un pedigree de leader d’opinion. Astrophysicien spécialisé dans les astroparticules, les trous noirs et la cosmologie quantique, responsable du master en physique subatomique de l’Université Grenoble Alpes, il appartiendrait plutôt à la catégorie des scientifiques abscons dont le champ d’action apparaît aussi mystérieux et fascinant que le discours hermétique et chiant. La personnalité du bonhomme ne se réduit toutefois pas à ses amours professionnelles ; il se définit également comme philosophe – discipline dans laquelle il peut se prévaloir d’un doctorat décroché à la Sorbonne – et citoyen concerné. Et c’est dans cette personnalité complexe, nourrie des connaissances de la science, des enseignements de la réflexion et des responsabilités de la conscience politique, que s’enracine son engagement au service du « plus grand défi de l’histoire de l’humanité : sauver la planète ».
Donc, il y eut d’abord un appel à l’action co-signé par 200 personnalités culturelles et scientifiques publié dans « Le Monde »[[« Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité – Appel de 200 personnalités pour sauver la planète », Le Monde, 3 septembre 2018]] suite à la démission de Nicolas Hulot. La démarche ne brillait guère par son originalité mais le nombre, la diversité et l’aura des signataires (d’Isabelle Adjani à Wim Wenders en passant par Pedro Almodovar, Charles Aznavour, Irina Brook, Emmanuel Carrère, Alfonso Cuaron, Alain Delon, Philippe Descola, Marianne Faithfull, Amish Kapoor, Peter Lingbergh, Andreï Makine, Carlo Rovelli, Kristen Stewart ou Patti Smith) lui valurent néanmoins un certain retentissement.
C’est toutefois dans le cadre du festival Climax organisé à Bordeaux du 6 au 9 septembre dernier que le « phénomène Barrau » va véritablement naître. Invité dans le cadre d’une conférence intitulée « Quel nouveau contrat social avec le vivant ? », l’homme transforme son intervention en tribune politique « parce que face à l’urgence, on n’a plus le choix ».
Il y dresse des constats sans concessions… mais pas vraiment neufs : « L’utilisation exponentiellement croissante des ressources dans un monde de taille finie, cela n’est pas possible, cela n’est pas durablement possible ; en physique, on appelle cela une instabilité et un système instable est un système qui va crasher, automatiquement. On est donc en train de mettre en place le crash du système planète Terre. » Ou : « Aujourd’hui, prôner une croissance continue, c’est exactement comme dire “On est face au gouffre, accélérons !” . On ne peut pas continuer comme ça. »
Il y fait des déclarations principielles… mais pas vraiment neuves : « Il faut que la réception du sérieux change de camp. On ne peut pas continuer à faire comme si la pensée écologiste était l’apanage de quelques doux dingues et le dogme d’une croissance immodérée était l’apanage des gens sérieux. C’est exactement l’inverse. » Ou : « Il faut harceler le pouvoir politique pour que l’écologie soit considérée comme une priorité. Ça ne peut plus être une préoccupation de 4ème niveau comme c’est le cas actuellement. Plus aucun pouvoir politique qui ne ferait pas de l’écologie sa priorité n’est aujourd’hui crédible. Une formation politique, une gouvernance politique qui ne fait pas de la sauvegarde du monde sa priorité est simplement ubuesque. »
Il y ose aussi et surtout, au-delà de tout, une prise de position inédite, l’affirmation sans ambages d’une vérité considérée jusqu’alors comme politiquement incorrecte, contre-productive et à bannir des discours « responsables » : « Il faut des mesures politiques concrètes, coercitives, impopulaires, s’opposant à nos libertés individuelles ; on ne peut plus faire autrement. L’appel à la responsabilité individuelle est nécessaire mais insuffisant. Pourquoi ? Parce que tout le monde sait qu’on va vers la catastrophe mais rien ne change. Nous sommes faibles, nous sommes ainsi faits. »
Une affirmation reprise et précisée quelques jours plus tard lors d’un des passages télé consécutifs au buzz – plus de trois millions de vues cumulées ! – généré par le discours de Bordeaux. « La responsabilité individuelle est nécessaire, faisons tous les efforts possibles, mais elle est insuffisante. Nous sommes faibles. Nous sommes tous collectivement faibles ; moi le premier, je n’ai de leçon à donner à personne. Mais nous sommes suffisamment forts pour savoir que face à notre propension inévitable à faire des bêtises, à occuper l’espace, à acheter des objets techniques, à polluer, à voyager, quand cela ne va plus, il faut des lois. Il faut que le droit et la politique interviennent pour nous limiter. (…) On ne peut plus en rester aux effets de manches, aux effets d’annonce. Quand on voit un crime de guerre, ce n’est pas avec des couronnes de fleurs qu’on tente de le solutionner. Dès lors, il faut passer aux armes et les armes – c’est vrai, il faut le dire, moi je ne suis pas un politique, je n’ai rien à vendre et peu m’importe le nombre de vues de mes vidéos, donc je peux être franc – les armes, ça va nécessairement s’accompagner d’une baisse de confort. Il faut consommer moins, il faut cesser d’investir tout l’espace autour de nous. C’est vrai que dans les pays riches, il y aura un effort à fournir. On ne peut pas continuer de faire croire qu’une croissance débridée est conciliable avec un développement durable de la vie sur Terre. Ce n’est pas vrai. C’est juste factuellement, scientifiquement, faux. (…) Des mesures politiques coercitives sont nécessaires si on veut sauver le monde. Je crois qu’on n’est pas prêts à le faire individuellement, parce que nous sommes faillibles. Nous avons des pulsions destructrices ; je ne jette la pierre à personne, je suis concerné comme tout le monde. La manière de conjurer ces pulsions, c’est de décider collectivement que des lois doivent nous interdire de les mettre en œuvre. »[[Dans l’émission « C Politique, la suite » du 24 septembre 2018 sur France 5]]
Celles et ceux qui ne la connaîtraient pas déjà peuvent découvrir l’intégralité de l’intervention dans la vidéo ci-dessous.
Le succès de cette vidéo est un mystère qui défie les lois de la communication sur internet. Montrer pendant plus de 12 minutes un homme droit sur sa chaise qui déroule d’une voix claire et posée un discours qui n’est ni un prêche ni un sermon ni une harangue mais un plaidoyer implacable conjuguant l’intelligence et la détermination, constituerait en effet une aberration en termes de durée comme de contenu. Et pourtant…
La personnalité quasi christique de l’orateur, traits émaciés, cheveux longs et parole habitée, n’explique pas tout.
L’engouement suscité par cette prise de parole iconoclaste est quant à lui une sacrée surprise qui devrait amener les laudateurs de « l’écologie positive » à réfléchir. A les en croire, en effet, l’évocation de « mesures coercitives, impopulaires, s’opposant à nos libertés individuelles » desservirait la cause. Les plus de trois millions de personnes qui ont vu et/ou relayé la vidéo d’Aurélien Barrau ne semblent pas cautionner l’analyse…
Même si elle n’est pas nécessairement agréable, la vérité gagne toujours à être dite.
Dès lors que la démonstration éloquente mais lénifiante d’Al Gore et les rapports aussi utiles que stériles du GIEC – qui sortira dans quelques jours un nouvel opus consacré aux conséquences d’un réchauffement de 1,5°C dont tout le monde sait qu’il sera dépassé – valurent à ces deux-là les honneurs du Nobel, il me semble qu’Aurélien Barrau mériterait lui aussi d’être distingué. Sa contribution à la solution – et non plus la définition – du problème m’apparaît en effet autrement plus importante que celles de ses deux prestigieux mais peu ambitieux prédécesseurs. Et le fait que ladite contribution rejoigne les positions que je m’échine à défendre depuis des années n’a rien à voir dans l’histoire.
Je lance donc ici un appel à la mobilisation pour la candidature d’Aurélien Barrau au Prix Nobel de la Paix 2019 !