Les prix du pétrole sont au plus bas. Augmenter les prélèvements sur les carburants est dès lors un moyen de financer l’état en ces temps difficiles. Une mesure qui permettrait de faire baisser la pression fiscale sur les travailleurs et les PME. Et qui pourrait limiter le retour à des niveaux de pollution pre-covid sachant que la pollution de l’air est un facteur aggravant pour la maladie.
Les budgets publics sous (sur)pression
Les prochains mois/années vont être (très) difficiles pour les finances publiques appelées à la rescousse d’un système sanitaire en sur-régime et de pans entiers de notre économie ralentie voire totalement mise à l’arrêt.
Les autorités tablent dès lors sur une baisse marquée des rentrées fiscales qui… financent notamment nos hôpitaux. En effet, dans le système actuel elles sont largement dépendantes du PIB. Or, celui-ci, selon les projections de la Banque nationale, devrait se « rétracter » de 8% sur 2020 » avant un « rebond » du même ordre de grandeur en 2021. Les calculettes chauffent dans les cabinets ministériels, administrations et Bureau du plan pour déterminer l’impact budgétaire de cette baisse. Rajoutons qu’en Wallonie, les projections prévoyaient déjà avant la crise une baisse des recettes régionales d’ici à 20241…
Or les dépenses publiques vont forcément exploser ces prochains mois (années), soit pour reconstruire une société résiliente et durable, soit pour relancer la machine infernale qui nous amène dans un mur social et environnemental à plus ou moins brève échéance… Cela dépendra des décisions qui seront prises dans les prochains mois. Les forces du Business As Usual sont en ordre de bataille et largement à la manœuvre dans les rouages mêmes de l’état (voir notre billet sur aérien ici), mais nous n’avons pas dit notre dernier mot !
La pression fiscale sur les travailleurs et PMEs n’est pas viable en ces temps de crise
Les travailleurs et certaines entreprises sont mis sous pression avec le confinement. Ce qui permet de pointer une faiblesse de la fiscalité dans notre pays toujours très largement orientée sur le travail. En Belgique, plus de la moitié des recettes de l’état sont prélevées sur les revenus du travail plutôt que sur le capital ou sur les consommations.
Structure des prélèvements en europe en 2012. La Belgique est la première colonne. Elle se caractérise par le plus faible prélèvement sur la consommation (en blanc) et un des plus élevé sur le travail (en noir).
Cette aberration fiscale est dénoncée chaque année notamment par la Commission européenne dans son « semestre », ou l’OCDE, sans que les gouvernements successifs n’aient fondamentalement changé la donne. Aujourd’hui plus que jamais, la crise du COVID nous appelle à reporter une part de la fiscalité sur la consommation et plus particulièrement sur la consommation des produits les plus polluants (taxation environnementale)
Les prix des produits pétroliers au plus bas
Autre élément dans l’équation. Le cours du Brent en mer du Nord était à 28$ le baril au moment d’écrire cette réflexion après avoir été à presque 70€ fin 2019! Cette baisse des cours est le résultat de la baisse de 30% de la demande mondiale et de jeux géopolitiques complexes et captivants entre USA, Arabie Saoudite et Russie (lire le blog jubilatoire de Laurent Horvath sur ces questions) . Même si les jeux de l’OPEP, Trump et compagnie feront remonter ces cours dans les prochains mois, il faut rappeler que ceux-ci demeuraient structurellement bas depuis 2015. Ils étaient en tout cas bien trop bas par rapport à leur impact négatif sur le climat et la santé.
Cours du prix du Brent de la mer du nord. On observe l’effondrement des prix début 2020 mais aussi le fait que les prix étaient beaucoup plus bas à partir de 2015 en comparaison des 5 années précédentes.
Cette récente baisse des cours a été partiellement répercutée sur le prix des carburants et du mazout. Partiellement seulement, car un mécanisme de cliquet fait que le montant des accises perçues par l’état augmente en cas de baisse des cours pétrolier. En d’autres termes, une part de la baisse des cours est captée par l’état…
L’essence à tout de même perdu 30c€ et le diesel de 20c€/l ces dernières semaines. Confinés dans nos maisons, ces faibles prix n’impactent pas ou peu notre usage de la voiture. Le secteur des détaillants de carburant annonçait ainsi une baisse de 60-85% des consommations de carburant en Belgique par rapport au début de l’année. Cette baisse de la vente de carburant entraine une baisse des rentrées financières pour les caisses publiques bien plus importantes que l’augmentation du montant des accises lié au mécanisme de cliquet mentionné plus haut.
Limiter la pollution de l’air, une exigence environnementale, mais aussi de santé
Une fois les mesures de déconfinement levées, par contre, ces prix bas du carburant risquent de pousser plus que jamais les automobilistes dans leur(s) voiture(s). Il est donc fort à parier qu’un effet rebond sur le transport routier pourrait être observé dès le mois de mai-juin. On l’observe déjà pour le mazout, où les consommateurs ont très logiquement passé massivement commande ces dernières semaines pour remplir leur cuve.
Cette augmentation des transports aura bien sûr un impact en termes d’émissions de CO2. On devrait dès lors observer un certain « rattrapage » à ce niveau…
Mais il faut aussi souligner l’impact de ce rebond attendu sur la crise sanitaire du coronavirus. Les niveaux de pollution bas constatés surtout pour des polluants comme le NO2 jouent un rôle positif en termes de santé, surtout pour les affections respiratoires. La pollution de l’air est ainsi clairement identifiée comme un facteur aggravant les risque pour la santé du covid 19. En 2003, un étude estimait que les patients contaminés par le SRAS vivant dans des régions modérément polluées avaient 84 % plus de risques de mourir que les patients des régions peu polluées.
Quel mécanisme pour augmenter les prix des carburants ?
Résumons :
- L’état doit trouver des nouvelles recettes.
- La pression fiscale sur le travail est historiquement trop élevée, la crise du COVID accentue cette pression.
- Il faut absolument éviter un retour à des niveaux de pollutions d’avant crise notamment pour des raisons sanitaires.
- Le prix des carburant n’a jamais été si faible et risque de booster les transports et la pollution associée au cours du déconfinement.
Il faut donc à tout prix éviter un prix trop bas sur les produits pétroliers…
Un moyen simple de maintenir les prix les carburant à un seuil durable passe par l’augmentation des accises. IEW et d’autres associations environnementales en appelaient dès le 4 avril au recours à cette solution classique. La proposition a depuis lors été étayée par une économiste comme Estelle Cantillon, professeur à l’ULB, qui proposait dans un billet d’agir « via une augmentation des accises indexées sur la baisse des prix du pétrole. Cette indexation pourrait se faire à haute fréquence (par exemple hebdomadaire) afin de maintenir le prix de ces produits le plus proche possible de leur niveau de janvier. »
Ce travail sur les accises pourrait être couplé à une autre proposition récemment émise en France par Eric Vidalenc qui nous semble digne d’intérêt parce qu’elle offre une visibilité plus grande pour les consommateurs sur le prix qu’ils doivent s’attendre à payer à la pompe. Elle consisterait à fixer un prix plancher sur les produits pétroliers. Cela permettrait de s’émanciper des jeux spéculatifs qui poussent aujourd’hui les cours du pétrole à faire du yoyo.
On pourrait imaginer un prix plancher fixé à 1,5€ soit moins élevé qu’avant la crise… La consommation mensuelle de carburant en Belgique étant importante, cette mesure pourrait véritablement permettre de donner un énorme ballon d’oxygène à notre économie. A titre purement illustratif, imaginons que 30c€ soit perçus sur les 900 millions de litres de carburant vendus chaque mois, les rentrées pour l’état serait de (900millions*30 c€) de 270 millions € ! Evidemment l’objectif de la mesure est justement de ne pas atteindre les seuils de consommation stratosphériques d’avant la crise. En outre le prix plancher pourrait être moindre. Enfin, le périmètre de la dette devrait sans doute exclure les carburants professionnels (pas pour les trajets domicile travail). Les modalités optimales doivent être étudiées et affinées.
Une mesure sociale avant tout
Cette mesure se veut autant sociale qu’environnementale. Tout d’abord, son objectif est de permettre à l’état de remplir ces missions d’état providence, notamment de couvrir les besoins exceptionnels des services de santé en recourant le moins possible à l’endettement. L‘endettement, quoi qu’on en dise et même dans des conditions d’emprunt très intéressantes, demeure un report de coûts sur les générations futures difficilement défendable. Il s’agit aussi et surtout de ne pas hypothéquer sur le long terme la capacité de l’état providence à investir dans les infrastructures nécessaires à la transition y compris les transports publics, cruciaux pour émanciper les wallons de leur dépendance automobile. Enfin, comme nous l’avons vu, il s’agit de transférer la pression fiscale du travail vers des consommations non souhaitées. Insistons encore sur le fait que les consommateurs ne payeront leur essence qu’au prix « normal » d’avant la crise. Et rappelons que contre toute logique, le prix d’usage des voitures n’a cessé de baisser depuis les années 70 (voir graphe)…
Ce graphe de l’Institut pour une Développement Durable (IDD) montre que le coût d’usage d’un véhicule (essence, achat , entretien… ) a augmenté 20% moins vite depuis 1970 par rapport au revenu des ménages…
Il nous apparaît dès lors obligatoire de capter cette rente pétrolière produite principalement par des jeux spéculatifs des pays producteurs.
C’est l’Etat fédéral qui a la responsabilité de proposer une telle mesure en cette période particulière car elle répond à la fois à des objectifs sanitaires, environnementaux, sociaux et économiques… Elle requière bien sûr à la fois de la volonté politique et de l’intelligence citoyenne… Mais nous aurons de toute façon besoin des deux pour sortir de cette crise par le haut…