L’imperméabilisation des sols dans l’Union européenne inquiète la Commission car elle compromet la fourniture de services écosystémiques essentiels liés au sol. Chaque année, l’Europe perd en effet une superficie de 1.000 km² en raison de l’étalement urbain et du développement d’infrastructures de transport, pour l’essentiel routières. En un peu moins de 20 ans, cette surface équivaudrait à toute la Wallonie ! En termes d’imperméabilisation, notre Région est championne toute catégorie en Europe, notamment du fait du réseau routier le plus dense d’Europe… Pour le reste l’urbanisation se développe principalement via l’expansion du secteur résidentiel dans notre Région… Elle participe aussi largement à cette imperméabilisation.
Cette évolution réduit d’autant la disponibilité de sols fertiles et la capacité de recharge de nos nappes aquifères. Ce sont donc nos besoins vitaux qui sont menacés par cette urbanisation galopante. Sur ces constats, la Commission européenne propose trois types d’actions : la limitation de la progression de l’imperméabilisation des sols, l’atténuation de ses effets et la compensation des pertes de sols de grande valeur par l’adoption de mesures dans d’autres zones.
Confirmant ces constats, le Commissaire européen chargé de l’environnement, Janez Potočnik, déclarait : «Certains des services fondamentaux liés aux écosystèmes sont tributaires de la qualité des sols, et sans ces derniers, la vie sur notre planète serait menacée d’extinction. Nous ne pouvons pas laisser l’imperméabilisation des sols se poursuivre. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille mettre un terme au développement économique ou cesser de moderniser nos infrastructures, mais la démarche adoptée doit être plus durable.»
Pour y faire face, la Commission suggère dans son rapport des actions de bon sens, reconnues par tous, mais loin d’être appliquées sur le terrain.
Le premier axe a pour objectif de contenir la progression de l’imperméabilisation des sols. Parfait. Cette mesure, qui se retrouve dans l’esprit de l’article premier du CWATUPE, devrait amener les autorités compétentes à encadrer juridiquement plus systématiquement les actes susceptibles de conduire à l’imperméabilisation des sols. Cela passe tant par la promotion d’une densité bâtie plus élevée, afin de réduire les emprises sur le sol, que le développement d’aménagements susceptibles de réduire l’imperméabilisation de ceux-ci : pavés, surfaces de gravillons, dalles alvéolées. En Wallonie, l’imperméabilisation progresse dans le résidentiel qui s’étale de tout son long… avec les surfaces asphaltées croissantes destinées à accueillir un parc automobile tout aussi croissant. Parfois les permis intègrent des dispositions pour limiter ces surfaces ou imposer des surfaces perméables mais cela n’est pas systématique. Le rapport suggère d’aller également un peu plus loin, en suggérant notamment d’évaluer les subventions qui contribueraient indirectement à l’imperméabilisation des sols, et partant, de les contingenter. N’y aurait-il pas là une marge importante pour sensibiliser les intercommunales qui aménagent les zonings industriels ou encore les différentes aides publiques aux secteurs agricole et industriel ?
Le second axe de ce rapport consiste à promouvoir la mise en place de mesures d’atténuation afin de limiter les dommages lorsque l’imperméabilisation des sols ne peut être évitée. Déjà certains permis remis pour des grands projets prévoient de telles conditions : la création de fossés drainant et/ou de bassins d’orage aménagés. L’enjeu est probablement ici davantage de corriger les erreurs passées et d’introduire ces mesures plus systématiquement dans le secteur résidentiel. Le rapport propose également de recourir davantage aux toitures végétalisées. Certes, il y a probablement des effets bénéfiques pour stocker l’eau sur les toits sans pour autant participer à la recharge des nappes… Le rapport suggère dans un troisième axe la mise en place de mesures de compensation touchant l’ensemble des services écosystémiques et non pas limitées au seul cycle de l’eau. En République Tchèque et en Slovaquie par exemple, des actions de remise en état de sols déjà imperméabilisés permettent de compenser les surfaces perdues aux niveaux de l’agriculture, de la biodiversité ou encore du stockage du carbone des sols.
Les résultats de ce rapport seront intégrés dans un document technique sur l’imperméabilisation des sols que la Commission élabore actuellement en collaboration avec des experts nationaux. Ce document, qui devrait être achevé début 2012, formulera, à l’intention des autorités nationales, régionales et locales, des orientations concernant les meilleures pratiques à mettre en ½uvre pour limiter l’imperméabilisation des sols et en atténuer les effets.
Le rapport se limite à la perte ou la dégradation des services écosystémiques liés à l’imperméabilisation totale des sols… Mais les mêmes services écosystémiques détruit par l’imperméabilisation des sols se dégradent, dans des proportions moindres certes, mais sur des surfaces bien plus importantes dans toute la zone agricole. Si la réversibilité de cette dégradation est probablement plus aisée, elle n’en est pas moins difficile et liée à une modification profonde des techniques agricoles et des législations.
En 2006, 51 % des surfaces cultivées en Wallonie présentaient des sols déficitaires par rapport au seuil critique de 2 % de matière organique. Ces sols sont majoritairement situés dans les régions limoneuses et sablo-limoneuses où les risques d’érosion sont particulièrement importants. De même, les pertes potentielles en sol ont augmenté de ± 75 % depuis 1971 avec près de 50 % de la surface agricole susceptible de subir des pertes en sol supérieures à 5 tonnes par hectare chaque année, un seuil critique. Cette dégradation des sols s’accompagne d’une perte de perméabilité importante, favorisant l’érosion plutôt que l’infiltration de l’eau et la recharge des nappes aquifères.
Outre les taux de matières organiques, l’évolution des pratiques agricoles et des types de cultures ont réduit la perméabilité des sols. Le recours au labour profond a par exemple réduit le taux de matières organiques des sols, favorisant en surface l’apparition de croûtes de battance très peu perméables et, en profondeur, de semelles de labour imperméable. Le développement des cultures sarclées, tel le maïs, a également accentué l’érosion des sols en les laissant nus pendant des périodes très critiques. Enfin, l’agrandissement continu du parcellaire agricole et le développement des cultures sur des sols en forte pente accentuent les phénomènes de ruissellement.
Il existe pourtant des solutions pour remédier à ces problèmes. L’Union Européenne a intégré ces questions dans différents outils soumis au principe de subsidiarité ; en vertu de ce principe, les Etats-membres, et la Région Wallonne en particulier, ont le choix. La conditionnalité doit ainsi apporter des réponses à la problématique de l’érosion des sols et de la matière organique, en complémentarité avec des mesures agro-environnementales volontaires.
Mais en Wallonie, la cogestion de cette matière avec le secteur s’est traduite en mesures symboliques, inexistantes ou minimalistes au point d’interdire des pratiques d’un autre âge (brûlage des pailles) ou d’imposer des restrictions à la marge sur des pratiques qui devraient être simplement interdites, telle la culture sur des sols en pente de plus de 10 %. De même, nos pouvoirs politiques rechignent à imposer des normes de protection des cours d’eau contre le ruissellement par la mise en place de bandes tampons, ce qui existe partout en Europe… et qui s’imposera chez nous, au dernier moment et sous une forme a minima…
Il existe pourtant de nombreux moyens pour améliorer la perméabilité de nos sols. L’imposition de couverture des sols en zone vulnérable, via le programme de gestion durable de l’azote, participe notamment à cet effort qui reste très insuffisant en réduisant la battance des sols. Les sols ayant atteint des seuils critiques en termes de matières organiques (10 % des sols cultivés) devraient faire l’objet d’un suivi particulier, en vue de restaurer des teneurs acceptables. Le labour devrait être interdit sur les parcelles avec des pentes de plus de 10 % et en deçà, jusqu’à 5 % de pente, être autorisé sous réserves d’intercultures, de semis sous couvert pour le maïs et d’une limitation des longueurs de pente. Les phénomènes important de ruissellement diffus ou érosif devraient être déclarés auprès de l’administration au-delà d’une certaine importance et soumis à remédiation en cas de récurrence. Les mesures agro-environnementales peuvent également faciliter l’adoption de mesures correctrices.
La présence d’une couverture de sols (vivante ou morte) est la meilleure solution pour réduire le ruissellement, allant jusqu’à 90 % quand celle-ci recouvre plus de 70 % de la surface du sol. Outre la mise en place d’intercultures, les techniques culturales sans labour permettent de maintenir une couverture de sols permanente, constituée d’interculture ou de débris végétaux assurant la protection du sol. A défaut de couverture de sol, le facteur qui jouera le plus est l’état de surface des sols à savoir le degré de développement des croûtes de battance et de la rugosité de la surface mesurée dans le sens de travail du sol. Cet état sera influencé par l’outil utilisé pour le travail du sol et l’incidence des pluies qui ont suivi et la sensibilité du sol à la dégradation superficielle.
La stabilité structurale du sol et donc sa résistance à la battance est liée au taux de matière organique, un taux qu’il est difficile de relever via le labour car la matière organique est « diluée » dans l’épaisseur du labour, tandis qu’elle peut augmenter très fortement dans la couche superficielle en cas de « non labour ». Il n’empêche, les taux « critiques » et la baisse observée dans notre Région contribuent à réduire la perméabilité des sols et à accroître le ruissellement et les inondations.
Si les techniques culturales sans labour permettent de relever rapidement les taux de matières organiques dans la couche superficielle du sol et impliquent « naturellement » une couverture plus importante des sols, ces techniques ne conviennent pas à tous les sols et posent aussi d’autres problèmes, comme le recours accru aux herbicides. Les solutions sont donc multiples et complexes mais il importera d’accompagner les agriculteurs dans la recherche de solutions adaptées et d’encadrer les dérives actuelles.
La Commission, dans sa stratégie thématique en faveur de la protection des sols, a reconnu que la dégradation des sols, et notamment leur imperméabilisation, pose un grave problème au niveau de l’UE. La Commission a présenté en 2006, avec le soutien du Parlement Européen, une proposition de directive-cadre sur les sols. Cette proposition est toutefois bloquée au Conseil en raison de l’opposition de certains États membres… Reste que l’enjeu demeure bien d’étendre cette notion d’imperméabilisation à une notion plus large de dégradation des sols et d’y apporter des réponses rapidement. Il y avait un espoir dans l’évolution de la Politique Agricole Commune mais celle-ci, malgré une meilleure prise en compte de l’environnement grâce au Parlement Européen, risque bien de laisser prévaloir le principe de subsidiarité qui se traduit chez nous en principe de « laisser faire ».