Quand on pense « inégalités » entre les personnes, on pense souvent aux inégalités socio-économiques (revenus, accès à l’éducation,…), rarement aux « inégalités écologiques ». Pourtant…
Et pourtant, celles-ci peuvent être globalement plus importantes que les inégalités économiques [[Theys J. (2005b). Pourquoi les préoccupations sociales et environnementales s’ignorent-elles mutuellement? Un essai d’interprétation à partir du thème des inégalités écologiques. Colloque de l’IGEAT en octobre 2005. Bruxelles]]. Ces inégalités écologiques sont définies comme étant une « forme spécifique d’inégalité sociale qui concerne soit l’exposition aux pollutions ou aux risques soit l’accès à la nature ou aux aménités urbaines ou rurales soit encore la capacité d’actions des citoyens ».
Inégalités écologiques entre pays d’abord. Le dernier rapport du GIEC le souligne encore : les changements climatiques se feront sentir davantage dans les pays du Sud. Inégalités écologiques au sein d’un même pays ensuite. De nombreuses études –surtout américaines- le montrent : les nuisances environnementales subies sont en réalité fortement corrélées avec les niveaux de revenus. Aujourd’hui encore, la plupart des autorités publiques chez nous pensent que les problèmes écologiques ne concernent que de façon très marginale les citoyens les plus pauvres, ceux-ci ayant d’autres chats à fouetter pour simplement survivre. Erreur grossière d’appréciation : ce sont souvent les personnes les plus pauvres qui subissent davantage les nuisances environnementales.
En Europe, cette coupure entre préoccupations sociales et environnementales est encore très profonde : ni les partis politiques, ni le monde associatif ne se sont vraiment saisis de cette problématique. Dans la foulée d’un colloque organisé par l’Institut de gestion de l’environnement et d’aménagement du territoire (IGEAT) de l’ULB en novembre 2005, Inter-Environnement Wallonie a réalisé un travail exploratoire sur les inégalités écologiques en Wallonie, en particulier en terme de nuisances sonores [[Méthodologie : L’exposition aux nuisances environnementales et en particulier aux nuisances sonores a été identifiée par commune sur base des indices de satisfaction des ménages (IS) obtenus lors du dernier recensement national de 2001 par l’Institut national de statistiques (INS). Cinq indices sont explorés : indices de satisfaction en terme de tranquillité, de qualité de l’air, de propreté, de qualité des bâtiments du voisinage et de présence d’espaces verts dans le voisinage. Ces indices sont calculés comme suit : Indice de satisfaction pour une commune = 100 + (% très satisfaits-% insatisfaits). Un indice de satisfaction égale à 100 signifie qu’il y a exactement autant de ménages s’exprimant de façon positive à propos du critère sous étude que de ménages ayant à ce sujet une opinion défavorable. Un indice supérieur à 100 signifie qu’il y a plus de ménages satisfaits qu’insatisfaits. Inversement, si l’indice est au-dessous de 100, les ménages insatisfaits sont plus nombreux que les satisfaits. Plus l’indice est haut, plus le rapport entre le nombre des ménage très satisfaits et celui d’insatisfaits est élevé (INS, 2003). La pauvreté est définie en fonction du revenu médian par déclaration.]] . Les résultats sont sans appel : il existe bel et bien des inégalités écologiques dans notre région. Celles-ci sont essentiellement situées dans les régions de Charleroi, de Liège et de Mons.
Sans surprise, les populations urbaines sont de façon générale plus exposées aux nuisances sonores que les populations rurales. Mais l‘ampleur de l’exposition est fonction du revenu. Ainsi au niveau wallon et dans l’agglomération urbaine de Liège, les personnes aux revenus les plus faibles ont respectivement 5,4 et 3 fois plus de risques de se retrouver dans une commune bruyante que les personnes aux revenus les plus élevés. Cette distorsion est encore nettement plus importante dans l’agglomération urbaine de Charleroi où le risque d’être confrontés à des nuisances sonores est 13,5 fois plus élevé lorsqu’on est « pauvre » que lorsqu’on est « riche ».
Ces inégalités écologiques sont d’autant plus inacceptables que, selon une étude de Wallenborn et Dozzi [[Wallenborn G. & Dozzi J., « Du point de vue environnemental, ne vaut-il pas mieux être pauvre et mal informé que riche et conscientisé ? », in Environnement et inégalités sociales, P. Cornut, T. Bauler and E. Zaccaï (eds.), Editions de l’Université de Bruxelles, (à paraître en 2007)]] , les ménages à revenus élevés, bien que davantage sensibilisés aux problèmes environnementaux produisent globalement plus d’impacts négatifs sur l’environnement que les ménages à bas revenus.
De plus, l’étude montre que les nuisances sonores se cumulent souvent avec d’autres nuisances environnementales. Ainsi, dans les régions de Charleroi et de Liège, la plupart des communes ont au minimum deux indices de satisfaction sur 5 (en terme de tranquillité, de qualité de l’air, de propreté, de qualité des bâtiments du voisinage et de présence d’espaces verts dans le voisinage) inférieurs à 100 indiquant donc que les ménages insatisfaits sont plus nombreux que les satisfaits. La commune de Charleroi détient le triste record du plus grand cumul des problèmes environnementaux puisque ses 5 indices de satisfaction sont inférieurs à 100.
Au même titre que les inégalités socio-économiques, les inégalités écologiques sont inacceptables. Il est temps que les politiques se saisissent de cette problématique. Des budgets devront être octroyés pour identifier les populations les plus exposées aux nuisances environnementales et les problèmes de santé qui y sont liés. Des moyens spécifiques devront être définis pour informer, sensibiliser ces populations les plus pauvres souvent peu touchées par les moyens de communication « conventionnels ». L’abolition des inégalités écologiques passe aussi par une plus grande mixité sociale. Même si les problèmes environnementaux persistent, le risque d’y être confronté ne doit pas être dépendant du niveau de revenus ou d’un quelconque statut socio-démographique.
En savoir plus :
Lejeune M., Thibaut A. Inégalités écologiques en Wallonie. Nuisances sonores et inégalités sociales. IEW (mars 2007)
Colloque « Environnement et inégalités sociales » IGEAT 10 novembre 2005
Environnement et inégalités sociales, P. Cornut, T. Bauler and E. Zaccaï (eds.), Editions de l’Université de Bruxelles, (à paraître en 2007)