On savait que la question énergétique constituerait un enjeu géo-économico-stratégique majeur du siècle en cours. On s’attendait à voir des conflits éclater aux confins du Caucase, sur les rives du Golfe persique voire aux tréfonds de l’Arctique mais nul n’imaginait qu’un front puisse s’ouvrir au confluent de la Sambre et de la Meuse. Et pourtant…
Depuis plusieurs semaines, le Grognon, bercail de la classe politique wallonne, est le théâtre d’affrontements violents autour de l’énergie. Après de premières échauffourées sur le développement de l’éolien, le coût du photovoltaïque a déclenché un embrasement qui s’étend aujourd’hui à l’ensemble de la Région. Derrière un état-major MR en état d’ébullition avancé, de Mouscron à Verviers et d’Arlon à Wavre, des contingents de citoyens révoltés se lèvent pour affronter l’ennemi gouvernemental dont la félonie menace la valeur de leurs certificats verts.
Il est des indignations dont je peine à comprendre la légitimité et celle qui s’exprime aujourd’hui suite à la réforme du soutien au photovoltaïque wallon fait partie du lot. Elle en constitue même un spécimen particulièrement remarquable. A voir les uns s’étrangler de colère et entendre les autres rugir leur rage, on se croirait en effet face à une de ses révoltes essentielles qui marquent la marche du monde, quelque chose entre l’appel de l’Abbé Pierre lors de l’hiver 54 et les éruptions du printemps arabe, le député Borsus reprenant le rôle du fondateur d’Emmaüs et les investisseurs auto-décrétés floués celui des peuples révoltés de Tunisie ou d’Egypte (ce parallèle exige une imagination décomplexée, je le concède). Or, après examen, ré-examen et ré-ré-examen des motifs de l’émoi, j’échoue toujours à lui trouver un fondement légitime et un sens acceptable (et vice-versa).
Je laisse aux juristes le soin de se prononcer sur la légalité ou non des mesures arrêtées mais sur le fond et le principe, celles-ci m’apparaissent bien plus louables que condamnables. Car l’important n’est pas – plus – de savoir si le gouvernement wallon aurait pu ou du agir plus tôt ; ce qui importe désormais c’est la nature de son action. Et j’ai beau analyser celle-ci en activant mon esprit le plus critique, je n’y décèle rien qui s’apparente à « un casse » ou une « spoliation » susceptible de justifier « un mouvement de panique » de quelconques « victimes ». Quant au rapprochement que certains osent[[in L’Avenir du mercredi 20 mars 2013]] entre Chypre (où « le gouvernement a voulu renflouer ses caisses en se saisissant directement sur les comptes courants et épargne des gens ») et la Wallonie (« Ici, il se tourne vers des particuliers qui ont investi »), il serait risible s’il n’était pas nauséabond.
Sauf erreur ou incompréhension, le nouveau système garantira encore et toujours aux particuliers possesseurs de panneaux photovoltaïques l’amortissement de leur installation. Par ailleurs, au-delà de cette période d’amortissement, ils continueront à bénéficier d’une production d’électricité gratuite, du « compteur qui tourne à l’envers » pour le volume non consommé et même d’une rentabilité « non spéculative ». Pas vraiment de quoi se plaindre, à moins de considérer qu’il était admissible qu’une minorité de ménages (souvent socialement favorisés) continue à bénéficier d’une rente surévaluée sur le dos de la collectivité. En ce qui me concerne, je suis plutôt enclin à penser que c’est dans cet enrichissement subventionné que résidait le véritable scandale. Et lorsqu’une erreur a été commise, il me semble pour le moins logique de la rectifier, fut-ce à titre rétroactif et au risque de déplaire à ceux qui en ont abusivement – à comprendre « de manière excessive » – tiré avantage.
Toute cette histoire résulte in fine d’un détournement d’intention, de la transformation d’un « geste bon pour la planète » en une « démarche bonne pour le portefeuille ». Car de mécanisme de soutien au développement de l’énergie renouvelable, les certificats verts sont devenus un dividende de placement à haut rendement garanti.
Ne refusons pas la réalité : les ménages ayant succombé au charme du photovoltaïque visaient majoritairement moins à réduire leurs émissions de CO2 que leur facture d’électricité ; il ne s’agissait pas de privilégier une électricité verte plutôt que grise mais bien de profiter d’un système permettant tout à la fois de diminuer ses dépenses (via l’autoproduction) et d’augmenter ses rentrées (grâce aux certificats verts). C’est d’ailleurs bien ce que les installateurs ont vendu à grand renfort de publicités vantant ce win-for-life énergétique. Lors de la présentation de son plan Solwatt à l’origine de l’emballement du photovoltaïque, le Ministre Antoine lui-même se réjouissait de ce que « le courant photovoltaïque PRODUIT sera rétribué à plus de vingt fois le prix d’achat de l’électricité grise ! ». Cet enthousiasme pour le moins surréaliste dit tout de la stratégie mise en œuvre pour promotionner ces fameux panneaux.
Beaucoup, trop, ont flairé le bon filon, un investissement win-win-win, sans s’inquiéter de qui serait le loser de l’histoire, qui allait payer pour permettre cette manne financière. Les pouvoirs publics ? Les autres consommateurs ? Peu importait d’où venait l’argent pour autant qu’il afflue…
Il serait mal venu de reprocher à quiconque d’avoir profité de l’aubaine mais il m’apparaît tout aussi déplacé de se plaindre aujourd’hui d’un retour à plus de sagesse et d’équité, de condamner la diminution (et non pas l’arrêt!) du débit de la source approvisionnant le compte en banque des bénéficiaires. Le refrain démagogico-poujadiste sur « la confiance trompée » ou « la mise en difficulté financière des ménages qui ont investi » sonne faux et ne parvient pas à couvrir le chœur des amers pleurant la perte du jack-pot.
Sans doute est-il utile de rappeler que les certificats verts font l’objet d’un marché ouvert, soumis au mécanisme de l’offre et de la demande, que le succès du photovoltaïque avec son afflux de certificats a totalement déséquilibré. En conséquence de quoi les producteurs solaires profitèrent du garde-fou mis en place par les pouvoirs publics, à savoir un achat assuré au cours minimum de 65 euros. La récente réforme a ramené cette valeur garantie à 40 euros pour les certificats obtenus après la période d’amortissement de l’installation. Libre à ceux que cette nouvelle règle du jeu exaspère de garder leurs certificats – valables cinq ans – dans l’attente et l’espoir d’un « sursaut du marché ». Après tout, avant le gonflement de la bulle photovoltaïque, celui-ci et ses cours bien supérieurs aux 65 euros avait généré des bénéfices conséquents. N’apprend-t-on pas dès l’enfance qu’il est utopique de vouloir à la fois le beurre, l’argent du beurre et les faveurs de la crémière ?
Peu importe, en ce qui me concerne, la couleur politique de celui ou celle qui a fait ceci ou dit cela ; seule la nature de l’action ou du propos détermine sa valeur. Pour être plus clair encore, que le ministre porteur de la réforme en cause soit vert Ecolo et ses détracteurs bleus MR m’indiffère totalement. Les gesticulations de ces derniers surfant sur la vague du mécontentement pour séduire les électeurs m’affligent par contre au plus haut point. Je suis parfaitement conscient que les rôles sont interchangeables et qu’en d’autres temps, sur d’autres dossiers, les uns prendront la place des autres mais cela ne rend pas la pilule moins amère, au contraire.
En fédérant les anti-éoliens puis les révoltés du photovoltaïque, les réformateurs s’assurent des suffrages faciles, motivés par la colère et le rejet, mais à quel prix et au service de quelle vision politique ? Les attaques portées déconsidèrent davantage encore une chose et un personnel politiques dont la cote est déjà au plus bas. Par ailleurs, le message asséné sans relâche proclamant que « les énergies renouvelables coûtent cher » et qu’« il faut arrêter de vouloir être le bon élève de la classe environnementale car cela a un prix ; il faut juste faire ce que l’Europe nous impose en la matière et nous concentrer sur les vraies priorités des Wallons » entretient le déni des changements indispensables auxquels nous sommes et serons de plus en plus urgemment confrontés. En occultant l’importance mais aussi les bénéfices de ces changements, on contribue à les rendre inacceptables par la population alors qu’aujourd’hui ou demain, de gré ou de force, il faudra bien les mettre en œuvre. On s’enferme dans un modèle que l’on sait condamné avec la volonté de récolter ses derniers fruits et l’espoir de ne plus être là lorsqu’il s’effondrera. La stratégie peut être suicidaire à terme, seuls comptent ses résultats immédiats…
Allez, à la prochaine. Et d’ici là, restez vigilants car, comme le dit le proverbe : «Quand on se noie, on s’accroche à tout, même au serpent.»