Pour ce numéro d’Echelle Humaine sur les sols, nos 10 questions sur le ressenti ont été posées à Agathe Defourny et Jacob Hasbun, deux personnes au lieu d’une seule, pour mettre en évidence la particularité des rapports que chaque personne entretient avec le sol. Ici, nous découvrons le ressenti de Jacob, fondateur et animateur de l’association Semance, très active à Bruxelles, vouée à la production de semences citoyennes traditionnelles.
1 – Quel est ton premier souvenir (ou un très ancien) lié au sol ?
Une petite parcelle, délimitée par des galets blancs de rivière, que mon père m’a offerte pour que j’y fasse pousser ce que je voulais. J’y ai fait pousser des carottes et des radis. J’avais huit ans…
2 – Y a-t-il actuellement une situation critique pour les sols et que tu aimerais améliorer ?
Les sols sont le réceptacle, pour ne pas dire le dépotoir, de toutes les pollutions générées par la logique industrielle écocide. Le premier souci de tout amateur d’horticulture ou de jardinage devrait consister à désoxyder le sol, à le dépolluer en permanence afin de le rendre à nouveau capable de soutenir la vie.
3 – Quand tu circules sur le terrain, existe-t-il des signes grâce auxquels tu reconnais « Ah, là c’est un bon sol à coup sûr ! » Lesquels en particulier ?
Premier signe, qui à mon avis ne trompe jamais quant à la bonne qualité d’un sol : sa relative humidité. Elle indique la présence d’humus, d’activité microbiologique. Un sol sec et craquelé, à l’opposé, signale un dépérissement en cours. Une certaine odeur aussi, émise par l’effervescence vitale qui s’y joue en permanence, et qu’une pluie sublime, comme on le sait. Enfin, sa couleur et sa texture : toutes les nuances du brun ne me disent que du bien d’un sol ; ce que me dit également sa fine granulation (texture « couscous »).
4 – Ton rapport au sol / aux sols a-t-il changé au cours de ta vie professionnelle ?
Pas vraiment, car d’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été fasciné par le sol, notamment par l’argile. Ma première expérience « intime » avec le sol – mon premier lopin cultivé – a eu lieu vers mes huit ans, comme je viens de le dire ; à douze ans, je pratiquais déjà l’art du portrait avec de l’argile. C’était une argile extraite, dans une briqueterie voisine, au moyen d’une noria poussée par des chevaux.
5 – As-tu remarqué une évolution dans la perception des sols autour de toi ces dernières années ?
J’ai remarqué un certain frémissement d’évolution dans la perception des sols autour de moi ; mais il s’agit à mes yeux d’une évolution trop faible, pas suffisamment marquée, hélas ! Ce qui est à souhaiter, à mon avis, c’est une évolution forte et significative vers un nouveau paradigme, dans lequel le sol soit considéré et respecté – ce fut le cas dans l’Antiquité préchrétienne – comme le précieux épiderme du gigantesque organisme vivant et sacré qu’est notre Terre-Mère. Ce qui est à souhaiter, c’est une évolution vers l’écosophie.
6 – Décris un lieu qui t’a particulièrement marqué en Belgique et pourquoi il t’a marqué.
Il y a une vingtaine d’années, il m’est arrivé d’être porté, comme nulle part ailleurs en Belgique, par une énergie indescriptiblement bienfaisante en parcourant les douces collines, boisées ou herbeuses, qui déroulent leurs pittoresques ondulations entre Sy, Verlaine-sur-Ourthe et Tohogne. Se manifestait là, de manière très palpable et puissante, une prodigieuse magie « tellurique », dont le souvenir émerveillé ne me quitte pas.
7 – La nature qui est déjà là, ancienne, sauvage, ordinaire, comment contribue-t-elle à rendre ta vie plus agréable ?
Tout territoire conquis par la vie sauvage en dépit de la compulsion bétonneuse de nos sociétés maniaquement industrialistes me rassure et me réconforte moralement. La « nature qui est déjà là », ou qui revient sans vraiment se faire inviter, je la vois, bien sûr, comme un réservoir inestimable de biodiversité ; mais aussi comme un témoignage de ce que la nature peut opposer sans relâche, aussi créativement que spontanément, au vide, à la désertification.
8 – Fais-nous voyager vers un endroit dans le monde où tu estimes que les sols sont utilisés à leur plein potentiel.
La vallée Hunza (Bourouchaski), dans la région himalayenne de Gilgit-Baltistan, à l’extrême nord du Pakistan. La santé exceptionnelle des habitants de cette vallée, qui détient le record mondial des centenaires en bonne santé, reflète vraisemblablement la qualité du sol qu’ils ont entretenu de façon traditionnelle des milliers d’années durant. Dans cet ancien état princier, les fertilisants et pesticides industriels sont interdits par la loi. Seuls les éléments naturels sont utilisés pour enrichir le sol. Tout ce qui est retiré du sol est restitué au sol. Pour les habitants de la vallée Hunza, si on cultive des végétaux dans un champ et qu’ils repoussent les insectes, c’est que le sol est bon et vivant ; si ce n’est pas le cas, c’est que le sol a des carences qui doivent encore être comblées. La présence d’insectes nuisibles dans une culture est pour eux l’indicateur de la qualité d’un sol, de sa capacité à produire des plantes saines.
9 – As-tu une lecture à nous recommander ?
Des lectures, plutôt ! Le livre de Teruo Higa « Une révolution pour sauver la Terre »1. Mais aussi : « La révolution d’un seul brin de paille », de Masanobu Fukuoka. Et les livres, articles et entretiens de Claude et Lydia Bourguignon, grands spécialistes du sol.
10 – Est-ce qu’il y a une œuvre d’art à laquelle tu as pensé pendant cette interview ? Si oui, pourrait-elle aider à penser les sols autrement ?
J’associe volontiers un sol au genre d’œuvre d’art qu’est l’architecture. Il me vient à l’idée d’affirmer qu’un sol respecté ne devrait porter que des constructions dites traditionnelles. Elles seules semblent surgir naturellement de la terre et lui apporter l’hommage authentique et respectueux de la créativité humaine : je songe à ces très vieilles maisons en pierre du pays qu’on a la chance de pouvoir encore admirer en Ardenne…
Jacob Hasbun est né en Colombie au sein d’une famille palestinienne, il s’est installé en Belgique en 1979. Passionné par le domaine de la santé et le bien-être, il est juriste de formation, mais aussi, et avant tout, sculpteur (www.jacobhasbun.be), traducteur et horticulteur. Son orientation spirituelle ancrée dans la tradition gnostique explique, donne un sens et nourrit moralement son approche respectueuse envers le sol. Sur la photo qui clôture cette interview, Jacob est au deuxième rang, tout à droite.
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Crédit photo d’illustration : Unsplash
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