Réchauffement climatique, pollution de l’air, congestion et insécurité routière, les raisons pour favoriser le report modal de la route vers le rail sont nombreuses et connues. Augmenter le nombre de voyageurs dans les trains est par ailleurs nécessaire pour améliorer l’efficacité économique et écologique de la SNCB. Mais quels sont les leviers les plus opérants pour atteindre cet objectif ? Investir dans l’extension de parkings autour des gares IC est-il une bonne formule ?
Quels sont les facteurs déterminants pour augmenter le nombre de voyageurs dans les trains ? La question paraît presque banale ; et on sait la réponse complexe. Néanmoins, il y a quelques fondamentaux en la matière qui semblent malheureusement trop souvent oubliés dans les politiques publiques qui sont menées. A la veille de l’approbation des plans d’investissements des deux entreprises ferroviaires (SNCB et Infrabel), un petit rappel de ces fondamentaux ne semble pas superflue. Ces éléments pourront également, nous l’espérons, enrichir les réflexions et les discussions actuelles en cours autour des contrats de gestion.
La densification autour des arrêts
A la lecture du chapitre « Gares » du rapport d’activités 2016 de la SNCB qui débute par la phrase suivante « Le succès d’une gare est lié à la présence de parkings accessibles et en nombre suffisant », on se rend hélas compte que les mentalités n’ont pas encore suffisamment évolué. Pourtant, un peu plus bas sur la même page, on trouve ceci :
Le premier moyen de transport utilisé en Belgique pour se rendre à la gare et prendre le train est donc bien la marche à pied ; la voiture ne venant qu’en troisième position, malgré toute l’attention qu’on lui consacre. De fait, le projet de PPI en phase de validation prévoit la création de 10.000 places de parkings supplémentaires d’ici à 2022.
Evidemment, l’espace proche de la gare qui est dédié au stationnement ne peut être valorisé pour d’autres usages. Pourtant, utiliser les terrains proches des gares et points d’arrêts ferroviaires pour développer des espaces densément bâtis, pouvant abriter tant des habitations que des espaces de bureaux, services et commerces, rapporterait potentiellement beaucoup plus de voyageurs.
Le graphique ci-dessous illustre à merveille cette logique. Il montre la probabilité d’utiliser les transports publics selon les différents motifs de déplacements en fonction de la distance entre le domicile et l’arrêt de transport public.
Cette relation a été calibrée sur base d’une étude réalisée en Allemagne, il y a déjà plusieurs années, dans la ville de Bielefeld. Sans doute, une étude similaire aujourd’hui dans une autre ville pourrait donner des résultats quelque peu différents au niveau de la pente des courbes par exemple. Néanmoins, le message est clair : la zone de chalandise majeure pour les services de transport public se situe dans une zone de 300 m autour des arrêts de bus et une zone de maximum 1.000 m autour des arrêts ferroviaires.
Vu les discussions actuelles sur la valorisation du patrimoine foncier de la SNCB, il serait bien que nos autorités prennent conscience de ce principe basique. Dans d’autres pays, la valorisation du patrimoine foncier de l’opérateur ou du gestionnaire ferroviaire est prise en charge par une filiale immobilière spécialement créée à cet effet. Chez nous, on est plutôt dans une tendance à la réduction des filiales. Et c’est une très bonne chose, en Belgique, de demander à l’opérateur de se reconcentrer sur sa mission première, à savoir transporter des voyageurs, le plus possible, à l’heure et confortablement. Par contre, il est impératif d’assurer une vigilance sur l’utilisation des terrains qui seront revendus à des tiers. Cette responsabilité devrait être assumée d’une part, par l’entreprise ferroviaire car elle y a le plus grand intérêt pour s’assurer des voyageurs en nombre pour les dizaines d’années à venir (conditions à la vente) ; et d’autre part, par les autorités compétentes en aménagement du territoire (Régions et Communes) à travers leurs outils de planification et lors de la délivrance des permis de bâtir. Adopter une stratégie de valorisation des terrains aux abords des gares par des projets immobiliers d’une certaine densité rapportera des recettes voyageurs à la SNCB bien plus importantes et durables que ses recettes parkings actuelles
La fréquence des services
Bien entendu, il ne suffit pas d’avoir un arrêt ferroviaire au bout de sa rue pour être utilisateur régulier de transport public, il faut encore que des trains y passent et s’y arrêtent suffisamment fréquemment.
C’est ce qu’illustre le graphique ci-dessus réalisé par un bureau de consultance en mobilité et transport basé à Munich. On y voit clairement que l’attractivité du transport public se réduit fortement au-delà d’une fréquence de desserte de 30 minutes. En-dessous d’une fréquence horaire des services de transport public, les parts de marché des services proposés deviennent très faibles. Bien entendu, d’autres éléments entrent en ligne de compte comme l’attractivité comparative des autres modes disponibles, en particulier la voiture. Nous y revenons.
La fréquence des dessertes proposées est importante car elle influence le temps d’adaptation évalué par les utilisateurs du transport public. Si vous bénéficiez d’un service de transport public cadencé toutes les 10 minutes, vous pouvez vivre sans horaire ! Vous vous présentez à l’arrêt et attendez le prochain passage sans avoir dû consulter les horaires au préalable. C’est le cas typique des services métro qui généralement n’affichent pas d’horaires mais annoncent uniquement le temps d’attente jusqu’au prochain passage. Par contre, si vous n’avez qu’un train toutes les heures, vous devez absolument vous organiser pour ne pas le rater, et donc adapter vos activités en amont et prévoir une marge de sécurité. Le temps d’adaptation évalué comme nécessaire par les personnes est donc plus important à mesure que la fréquence de services se réduit, ce qui est illustré ci-dessous.
Personnellement, par exemple, cela se traduit quotidiennement par un timing très serré et contrôlé chaque matin, depuis le réveil de toute la maisonnée, le petit déjeuner, la préparation des enfants et le départ vers la gare, avec toujours un œil rivé sur la montre. Car 1 minute trop tard à la gare, c’est 1 heure plus tard au boulot ! Et, loi de la contradiction universelle oblige, c’est le jour où on est un peu en retard que le train est à l’heure…
En parlant de ponctualité, justement, il est intéressant de rappeler une autre relation évidente qui en découle : une fréquence accrue réduit l’impact sur les voyageurs d’une ponctualité défaillante. Evidemment, quand on doit organiser son agenda en fonction des horaires de trains, on digère assez mal que ceux-ci s’octroient autant de mou dans leur planning.
Augmenter la fréquence engendre bien évidemment des coûts supplémentaires, mais pas selon une simple règle de trois. Il ne faut pas doubler le parc de matériel roulant et le nombre de personnel roulant pour multiplier par deux les cadences sur le réseau. Si on considère l’ensemble du budget consacré au rail, le fait d’augmenter les cadences est plutôt une mesure en faveur d’une meilleure efficacité économique : investir dans l’entretien et le renouvellement d’un réseau dense comme le nôtre se justifie davantage si l’on fait circuler un maximum de trains sur ce réseau. Bien sûr apparaît ici en filagramme toute la problématique de la tarification des sillons, à ce sujet, je vous invite à la (re)lire ceci : https://www.canopea.be/prix-du-sillon-ou-quand-le-diable-se-cache-dans-les-details-episode-2/
Le poids du stationnement à destination
Comme annoncée plus haut, l’attractivité du rail est relative à celle de la voiture particulière qui reste le mode dominant. Il paraît évident que le comparatif des temps de parcours du train et de la voiture va être un élément déterminant dans le choix du moyen de déplacement. C’est ce qu’illustre distinctement le graphique ci-dessous. Mais le deuxième message fort que l’on peu extraire de l’observation de l’illustration ci-dessous est le poids d’un autre élément : la disponibilité des places de stationnement à destination.
Pour un temps de parcours identique entre le train et la voiture, les parts modales des transports publics varieront de 30 à 80% selon la disponibilité ou non d’une offre de stationnement (gratuite) à la destination finale. Bien entendu, la politique de stationnement dans les villes de destination n’est pas entre les mains des entreprises publiques ferroviaires ni même entre les mains de leurs autorités de tutelle, d’où la nécessité de travailler en collaboration avec les différents niveaux de pouvoir pour mener des politiques cohérentes (Vision interfédérale – CEMM).
Néanmoins, il y a quand même une politique de stationnement pratiquée par la SNCB elle-même, celle de l’offre de stationnement autour des gares. Nous y revoilà. D’abord, l’espace précieux consacré autour des gares au stationnement de voitures est celui qui ne pourra pas accueillir logements et activités. C’était le premier point traité par cet article. Ensuite, une offre de stationnement garantie disponible aux abords de gares IC n’incite pas du tout les voyageurs à se rendre à cette gare autrement qu’en voiture, boudant l’offre de desserte ferroviaire locale ou l’offre bus existante, qui peinent du coup à survivre.
Le tableau ci-dessus permet d’illustrer la grande différence entre la politique de stationnement pratiquée autour des gares en Suisse et en Belgique. Les chiffres sont frappants et suggèrent deux enseignements. Très vite, on voit que pour des communes de taille similaire en Suisse et en Belgique, l’offre de stationnement autour des gares suisses est environ 10 fois moindre, ne dépassant jamais la barre des 200 places offertes, alors que ce seuil est dépassé dans toutes les gares belges comparées. Deuxième enseignement. Les chiffres du nombre d’utilisateurs des gares en Suisse sont étonnants ! Presqu’à chaque fois supérieurs aux nombres d’habitants dans la commune concernée. Comment interpréter cela ? On ne peut pas dire que ces nombreux utilisateurs de la gare, n’habitant pas la commune, s’y rendent en voiture, vu la faible offre de stationnement. Et même si les Suisses sont de grands utilisateurs du vélo dans leurs déplacements quotidiens et vers les gares, ici, il est peu probable que les utilisateurs visés se rendent à la gare à vélo vu leur origine extra-communale. Derrière ces chiffres, il faut voir l’effet extraordinaire des nœuds de correspondances organisés sur le réseau de transport public suisse. Ces nombreux utilisateurs de la gare y sont arrivés en train ou en bus ! Tout simplement. Une partie des utilisateurs de la gare sont en correspondance, provenant de lignes de trafic régional train ou bus (les lignes omnibus L et le TEC chez nous) pour accéder dans ces gares grandes et moyennes à l’offre ICE, Intercity, InterRégio ou Régio Express (équivalant de l’offre IC /IR chez nous). Nous reviendrons rapidement plus loin dans cet article sur l’intérêt de l’intégration horaire des transports publics.
En Belgique, si nous sommes convaincus qu’une offre de stationnement minimale est indispensable autour de toutes les gares et points d’arrêts non gardés, il nous semble utile de progressivement adapter la politique menée jusqu’à présent en la matière. Pour enclencher un certain report modal, il a fallu capter des automobilistes en leur simplifiant la vie : « mettez votre voiture à la gare et poursuivez en train pour éviter les bouchons ». Mais cette politique a atteint certaines limites : d’une part parce que les bouchons se trouvent à présent à l’entrée des parkings des gares, d’autre part parce qu’agrandir davantage l’espace dédié au stationnement autour des gares (surtout des gares IC) est très consommateur d’espace et/ou très coûteux (parkings à étage).
Les formules P+R à très grande échelle sont contradictoires avec une vision durable de l’aménagement du territoire et de la mobilité. Ils peuvent être vus comme des conditions nécessaires pour faire monter dans le train les Belges qui ont « une carrosserie dans le ventre », mais ces espaces P+R devraient alors être envisagés sous des formes temporaires et reconvertibles. IEW avait alerté à l’époque sur le surdimensionnement du projet de P+R envisagé pour LLN, insistant, en vain, sur la nécessité d’adopter des caractéristiques techniques permettant à ces nombreux étages souterrains de pouvoir un jour abriter d’autres fonctions que le stockage temporaire de voitures.
La construction des parkings aux abords des gares demande des investissements financiers non négligeables, qui ne pourront être affectés à d’autres priorités comme le rehaussement des quais ; et leur exploitation entraîne des coûts d’entretien récurrents. La décision relatée dans la presse 1 de consacrer un budget de 3 millions à l’extension du parking de Gembloux dans le cadre du prochain PPI apparaît ainsi complètement absurde, alors même que le parking actuel est loin, même très loin, d’être saturé.
Bien entendu pour favoriser l’accessibilité multimodale aux gares IC, il ne suffit pas de limiter l’offre de stationnement voitures, il faut encore et aussi intégrer les offres de transport public au niveau des horaires. Retour sur les nœuds de correspondance !
Les nœuds de correspondance ou la valorisation du maillage
Nous arrivons donc au quatrième déterminant pour augmenter le nombre de voyageurs dans les trains. Après la densité autour des arrêts, la fréquence des services, la non disponibilité de stationnement à destination, voici l’intégration horaire des services de transports publics.
La SNCB a enfin compris qu’à côté des lignes IC, elle a intérêt à soigner l’offre suburbaine. Quand comprendra-elle que des dessertes locales soignées sont aussi un levier efficace pour gagner des voyageurs sur son réseau ? Aller chercher le voyageur au plus près de son domicile, réduire au maximum les premiers et derniers km non ferroviaires, cela devrait apparaître comme une démarche marketing logique pour un opérateur ferroviaire. Et si le potentiel autour des points d’arrêt non gardés est plus faible en dehors des grandes agglomérations, il est néanmoins présent et pourrait être renforcé. La première action à mener à cette fin est d’organiser l’exploitation des trains de sorte que toutes les lignes de desserte locale (les relations omnibus) donnent accès au réseau IC. Trop souvent, ces dessertes fines du territoire desservent un pôle majeur ; parfois, elle donnent correspondance à un train IC ; mais rarement elle le donne à l’ensemble de l’offre IC présente en gare terminus. Ce serait pourtant possible sans trop de difficultés ni de gros investissements. Le réseau ferroviaire belge est miraculeusement bien agencé pour permettre l’organisation d’un grand nombre de nœuds de correspondance en des points pertinents du réseau et du territoire. Cela demande par contre de changer de paradigme quant à la manière d’exploiter le réseau. Je reviendrai bientôt vers vous avec un article sur ce sujet, mais pour les plus impatients, voici déjà l’avis du Comité Consultatif des Voyageurs Ferroviaires sur ce modèle d’exploitation.
[1] La Libre Belgique du 27/10/17 « A Gembloux, 3 millions seront investis dans l’extension du parking et du rangement pour vélos ».