Vous connaissez ces containers qui servent pour l’expédition des marchandises à travers le monde : grands, métalliques, solides et opaques. Ils jonchent les dalles de béton des ports de Brême à Valparaiso en passant par Shanghai et Dunkerque, attendant d’être empilés sur les cargos. Difficile de savoir s’ils sont vides ou pleins, et plus encore ce qu’ils contiennent exactement. Depuis plusieurs années, des professionnels et des amateurs les détournent de leur fonction première pour en faire des modules de construction où habiter, travailler, acheter des sacs… un atlas en explique le mode d’emploi et donne des dizaines d’exemples.
Dans le courant de 2010 paraissait «Container Atlas. A Practical Guide to Container Architecture», c’est à dire un guide pratique de l’architecture utilisant les containers. Le container, une boîte que l’on retrouve de port en port, ou juchée en file indienne sur des trains de marchandises. Quelle idée, un gros ouvrage d’architecture pour une chose aussi standardisée ! Serait-ce parce que le container a la forme d’une brique ? Il y a de ça… mais le propos des éditeurs n’est pas de recenser les boîtes en bardage de métal, lesquelles ne varient que par la couleur et les indispensables matricules. Ce qui les a poussés à mener cette enquête mondiale, dont les résultats ont d’abord été publiés en allemand, c’est leur constat d’une étourdissante créativité dans la transformation du container en lieu de vie, de travail ou de passage. Ils ont réussi la gageure de publier une somme illustrée en couleurs qui peut se lire comme un guide pratique ou comme une collection de belles images. La matérialité des réalisations pose même question, au point que l’on inspecte certains clichés en cherchant l’indice qui dira « ceci est un photo-montage ! ». Le sel de cet atlas réside sans doute beaucoup dans sa capacité à lancer des ponts entre plaisir esthétique et faisabilité.
Le texte construit petit à petit le portrait composite d’un module auquel les architectes d’aujourd’hui injectent une humanité inédite. A l’origine du container en effet, tout n’est que calcul et pragmatisme, dans une quête effrénée d’efficience. Cette boîte a réussi à devenir le récipient n°1 du transport « non vrac » à l’échelle mondiale parce qu’elle dissociait le contenu du contenant et éliminait toute relation affective entre manutentionnaire et chargement. Avec le container, fini les camions à prénom ! Dans son historique, l’atlas rappelle que les camps de réfugiés et les bureaux de chantiers de construction ont souvent recours à l’anonymat inconfortable et tout-terrain du container – peut-être, de manière inconsciente, pour contourner le risque d’attachement au lieu de travail ou de nouvelle vie ? Les projets de recyclage qui occupent ensuite la majeure partie de l’ouvrage illustrent eux, au contraire, les facultés d’adaptation et d’à-propos de ce matériau.
Sa flexibilité et l’imagination des architectes ont ainsi donné corps à des magasins temporaires, à des hybrides entre demeure et abri, à quantité d’excroissances sur du bâti existant, mais aussi à une panoplie d’objets architecturaux qui défient les lois physiques et la logique d’occupation du sol. Par définition non permanentes, les constructions à base de containers ont un caractère espiègle qui bouscule les références courantes des planificateurs et des urbanistes. Ces assemblages, que l’on retrouve aujourd’hui dans les villes aussi bien que dans des milieux ruraux, provoquent et inspirent tout en fixant de nouvelles normes de fonctionnalité et d’apparence. Chimériques, vains ? Pas du tout !
Si des promoteurs proposent ces OVNI immobiliers à des prix de fous, c’est leur affaire. L’important est de donner au public des exemples d’idées ayant pris forme. Il était temps de dynamiser le concept de construction modulable et de renouveler le genre « annexe ». Pour que chacune de ces tentatives soit devenue un lieu habitable, il a sans doute fallu beaucoup de moyens, ou peut-être des latitudes que notre CWATUPE n’endosse pas. Libre à chacun de s’inspirer, de travailler autour de cette mine d’idées. Les éditeurs n’ont pas lésiné sur les aspects pratiques à creuser dans le cadre d’un projet personnel ou collectif. Ils invitent à aborder sans détour, en amont du projet, des notions telles que les modes d’acheminement des modules, les coûts cachés, l’impact écologique ou les possibilités techniques liées au terrain et à la taille de l’objet final.
Bureau des Mésarchitectures, pavillon de thé à Yang-Yang en Corée du Sud, intitulé “Sky is the Limit”, en équilibre au bord de la Mer du Japon, 2008, photo Hong Lee et Mésarchitecture, copyright Gestalten 2011
En savoir plus :
La référence complète de cet ouvrage luxueux : Container Atlas. A Practical Guide to Container Architecture , supervisé par M. Buchmeier, H. Slawik, S. Tinney, J. Bergmann, publié aux éditions Gestalten, Berlin, 2010 en langue anglaise, et simultanément en allemand : Container Atlas: Handbuch der Container Architektur. . Format : 24 x 30 cm, 256 pages, ISBN: 978-3-89955-286-7. Prix : 49,90 EUR.
Un long commentaire de l’atlas, éclairé et bien illustré, mais en anglais, est fourni par le site « We Make Money Not Art » de Régine Debatty. Une critique virulente, en allemand, sur le site « Bauwelt », admet néanmoins que les essais thématiques, notamment celui sur la typologie des containers, sont aboutis.
Qui veut faire du “Container Shipping Spotting » ? Voici un site français qui se passionne pour les beaux bâtiments de la marine marchande, à quai ou en pilotage : http://www.marine-marchande.net/Jourlejour/AujourleJour-39.htm
Les précautions d’usage et les conseils techniques prodigués par le « Container Atlas » peuvent être transposés à d’autres modes de construction; comme les structures en bois démontables, par exemple. Habiter Autrement, site consacré à l’habitat alternatif, se prête aimablement au jeu.
Sur la question du logement d’urgence d’initiative publique, en France, on trouve un très intéressant article (vieux déjà de deux ans) sur le blog Immeuble.
L’atlas est commenté dans un article de Marie LEFORT, « Compilation », dans le magazine « Numéro » n°120, Paris, février 2011, p. 218-223. Cet article est à la base de la présente chronique et à la « lettre en image » de la « Lettre des CCATM » n°61, intitulée « Versatilité logistique à Zürich ».
Extrait de nIEWs 89, (3 au 17 mars 2011),
la Lettre d’information de la Fédération.
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