Monsieur Jean[[Les faits évoqués ici sont rigoureusement authentiques. Le prénom a été banalisé car l’histoire recèle un intérêt plus emblématique que spécifique.]] habite un village coincé entre l’autoroute E411 et la Nationale 4, sur la ligne de démarcation entre les territoires namurois et brabançon wallon. Un de ces villages mutants, déchirés entre leur identité rurale historique et un devenir de cité dortoir, où les pâtures à vaches cèdent peu à peu le pas aux enclos pavillonnaires et où les voiries autrefois paisibles servent aujourd’hui d’arènes à la lutte de tous les instants que se livrent véhicules agricoles et flotte automobile sous l’½il apeuré de quelques antiques autochtones montés sur deux roues.
Monsieur Jean habite une quatre façades, coquette mais sans ostentation. Ses 15 ares attenants sont équitablement répartis entre une pelouse impeccable et un vaste parvis de béton. C’est que Monsieur Jean héberge une épouse et deux grands enfants, ce qui fait un 4X4, une berline et deux petites voitures à parquer. Le garage étant squatté par deux quads (« Tant qu’à être à la campagne, autant en profiter, hein ! ») et un motoculteur, il n’entrevit d’autre alternative que de transformer ce qui fut auparavant un potager puis un enclos pour Shogun (berger allemand et aboyant exilé entretemps sur la terrasse arrière) en un pavage dont la virginité est régulièrement préservée à grands renforts de Round Up. Et tant pis si à chaque averse tant soit peu importante, il faut brancher la pompe pour vider les caves de l’eau que cette calotte imperméable y a fait dévaler.
L’été dernier, comme beaucoup d’autre dans le village, le toit de Monsieur Jean s’est couvert de panneaux photovoltaïques – « Avec leurs primes et tout le bazar, c’est sacrément intéressant ! Moi qui consomme beaucoup, je vais sentir la différence… ». Les premiers à sentir – ou plutôt « à voir »… – cette différence, ce furent les voisins. Le parvis-parking de Monsieur Jean concurrence en effet désormais notre réseau autoroutier en bénéficiant d’une illumination non stop du crépuscule à l’aube.
Il y a quelques jours, une pelleteuse a pris possession de la pelouse de Monsieur Jean. Comme souvent, l’explication est venue de la voisine, dépositaire et commentatrice en temps réel des faits, gestes et « on dit » de l’actualité locale : Monsieur Jean fait construire une piscine. (« Chauffée, il paraît. Je me demande vraiment comment certains font… »)
Fin de l’histoire. La morale ? Il n’y en a pas.