« Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil à toi ! Ou comment peux-tu dire à ton frère : Frère, laisse-moi ôter la paille qui est dans ton œil, toi qui ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton œil, et alors tu verras comment ôter la paille qui est dans l’œil de ton frère. » (Evangile de Luc, 6, 41)
Alors que les réacteurs de Doel 3 et de Tihange 2 redémarreront malgré les nombreuses questions qui subsistent sur les causes des microfissures et les avis mitigés d’experts, Jan Bens, patron de l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN) veut, semble-t-il, noyer le poisson en criant haro sur le baudet, à savoir l’éolien. Il déclarait récemment dans De Morgen[[De Morgen, édition du samedi 18/05/2013]] que les éoliennes étaient plus dangereuses que le nucléaire, « Oui, il y a un risque avec les éoliennes« , estime-t-il. « On est en train de remplir le port d’Anvers d’éoliennes, alors qu’il y a des industries chimiques juste à côté. Si un accident se produit, via un bris de pale, ce sera une guillotine. Et si elle transperce une conduite de chlore, c’est un problème d’un autre ordre que ce qui peut se passer à Doel. Les éoliennes sont plus dangereuses que les centrales nucléaires. »
Propos plutôt ridicules sur lesquels on ne s’attarderait pas s’ils ne surfaient sur une vague de dénigrements souvent infondés de l’éolien et ne renforçaient pas ainsi certaines attitudes poujadistes.
Paroles dangereuses ? Oui car elles émanent de quelqu’un qui est sensé représenter une autorité objective et à laquelle les citoyens belges devraient se fier. Paroles choquantes ? Oui car elles nient la mort de milliers d’êtres humains emportés par des accidents nucléaires[Diverses études tentent de chiffrer les morts consécutives à la catastrophe de Tchernobyl : NRC 14 000 morts, DOE 27 000, NYAS 112 000 à 125 000 parmi les liquidateurs et un total de victimes s’élevant à 985 000 morts]], elles méprisent le traumatisme vécu par des centaines de milliers de personnes qui ont perdu leurs biens, leurs terres et bien plus encore[[Voir le film « Welcome to Fukushima » de Alain De Halleux]] ; elles font fi des générations de l’ « après-Tchernobyl » et de l’ « après-Fukushima » dont la santé est désormais très compromise[[ [Etude du Centre International de Recherche sur le cancer (CIRC) qui estime que l’accident de Tchernobyl pourrait s’élever à plus de 40 000 cancers, dont 16 000 mortels d’ici 2065]].
A ces faits, le secteur nucléaire répond qu’après chaque incident/accident[L’Echelle INES classifie les évènements nucléaires selon la gravité de l’évènement : de 1 à 3 : incident nucléaire, de 4 à 7 : accidents nucléaires]] nucléaire « les leçons sont tirées et la sécurité est améliorée », que le risque zéro n’existe pas et que la probabilité d’avoir un accident nucléaire majeur est de 5 pour 100 000 années de fonctionnement de réacteur[[Le risque d’accident nucléaire majeur : calcul et perception des probabilités- François Levêque – Interdisciplinary Institute for Innovation, Février 2013]]. Or Tchernobyl et Fukushima font voler en éclat toutes les théories probabilistes du secteur nucléaire. Par ailleurs, une probabilité d’occurrence très faible ne peut occulter l’ampleur des conséquences d’un tel accident. [C’est à partir de ces deux facteurs (probabilité X conséquences) qu’on estime le risque encouru et dont l’acceptabilité devrait être débattue par la société.
…Soit. Reprenons l’argument du « risque zéro inexistant » car toutes les énergies, qu’elles soient fossiles, fissiles ou renouvelables, comportent des risques qu’un cortège de statisticiens et d’assureurs peuvent évaluer en terme de probabilité d’occurrence et de coût des conséquences. Soyons honnêtes des marées noires, des catastrophes nucléaires, des incendies causés par des panneaux photovoltaïques et des accidents d’éoliennes ça arrive.
Bris de pales, chute de glace, …il est difficile d’obtenir des chiffres avérés sur le nombre d’accidents d’éoliennes. Les sites des mouvements anti-éoliens regorgent de chiffres très divers, souvent étayés par des références peu fiables ou inexistantes. Une centaine de bris de pales par-ci, des milliers par là[ [Caithness Windfarm Information forum ]] (à regarder plus attentivement le tableau, sont reprises également les défaillances techniques comme des pannes électriques n’ayant aucune conséquence)… Les opposants semblent faire feu de tout bois vu que certains recensent « 3 accidents mortels d’automobilistes qui auraient été distraits par des éoliennes »…En ce qui concerne les accidents d’éoliennes, dont les bris de pales, on ne dénombre pourtant à ce jour ni morts, ni blessés parmi les riverains ou passants aux abords d’éoliennes (mes plates excuses aux défenseurs de l’avifaune, je ne parle ici que de victimes humaines).
Des éoliennes sûres ? Oui ! Les éoliennes sont équipées de systèmes de sécurité de plus en plus perfectionnés: paratonnerres, capteurs détectant la formation de givre et de glace couplés à un système d’arrêt automatique, voire système de dégivrage dans les régions nordiques, régulation voire arrêt automatique en cas de vent dépassant les 90 km/h, etc. Elles subissent une batterie de tests (dont des tests de résistance) et doivent respecter les normes requises par les études d’incidences et soumises aux exigences de la Directive 98/37/CE concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux machines. Plus important encore, ce qui démonte le scénario catastrophe imaginé par Jan Bens, aucune implantation d’éolienne n’est autorisée en zone « Seveso » à moins d’être étayée par une étude technique démontrant l’absence de risque pour les riverains et activités industrielles[[Ce fut le cas de l’éolienne ‘Colruyt’ à Ghislenghien]].
Mais puisque, toujours en citant le patron de l’AFCN, « dans toute activité humaine, il reste un risque résiduel », il faut donc tout mettre en œuvre pour éviter les accidents d’éoliennes comme de réacteurs nucléaires (choix des implantations, distances de sécurité, etc.). Ne nions pas la gravité de tout accident, y compris ceux imputés aux énergies renouvelables. Remettons juste objectivement dans la balance les conséquences des uns et des autres. Qu’adviendrait-il des 1.5 millions de personnes à évacuer[[Nombre de personnes vivant dans un rayon de 30 km autour de Doel (9 millions sur 75 km de rayon)]] et de l’activité industrielle d’Anvers en cas d’accident grave à Doel ?
Le secteur nucléaire se sentirait-il à ce point acculé, à court de cartouches en termes d’arguments tronqués ou de discours lénifiants, qu’il essaie de détourner l’attention et les critiques en jetant le doute et le discrédit sur une alternative beaucoup plus durable et sûre, mais qu’il sait fragilisée par des questions de pur nimbysme ? La transition énergétique est en marche et à ce titre, elle comporte indéniablement de gros risques… pour le secteur nucléaire !