Ce second semestre 2011 s’annonce riche en discussions sur les substances chimiques et leur évaluation. Les travaux de la Commission sur les perturbateurs endocriniens, les effets cocktails, les nanomatériaux[[Nous vous parlerons plus longuement de ce dernier thème dans un prochain article]] sont en effet autant d’occasions d’affiner la prise en compte de leurs effets sanitaires et environnementaux. Pourtant, malgré les nombreuses interpellations et constats maintes fois formulés, le lobby industriel (avec la complicité des autorités européennes et, parfois, de certains états-membres de l’Union) parvient toujours à affaiblir– voire à rendre complètement inadéquat – le cadre légal. Au détriment de la santé publique… Explications.
L’approche TTC
Dans le cadre d’une consultation publique ouverte jusqu’à ce 15 septembre, l’Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) propose de modifier la procédure actuelle d’évaluation de la toxicité des substances chimiques. Ainsi, plutôt que de déterminer au cas par cas une valeur limite de toxicité, une même valeur ( la Threshold of toxicological concern ou TTC) pourrait être appliquée à toutes les substances… au mépris de la sécurité alimentaire, comme le montre l’analyse complète du Pesticide Action Network (PAN).
En effet, première lacune de cette approche: le fait qu’elle ait été développée par l’industrie des pesticides elle-même, et sur base de ses propres données. On est loin, très loin, d’une évaluation indépendante! Et le rôle de vérificateur de l’autorité publique, me direz-vous ? Et bien c’est l’élément aggravant: les études originelles n’ayant pu être retrouvées par l’industrie, l’EFSA n’a pas pu vérifier la validité des informations avancées par l’industrie. Dont acte.
Seconde lacune: l’approche « TTC » considère qu’un adulte pourrait consommer quotidiennement 90µg d’une substance considérée et ce, pour la plupart des substances chimiques, sans qu’il n’y ait de danger pour sa santé. Mais, pour fixer cette valeur de 90 µg, ont été exclues du calcul les substances chimiques les plus toxiques. La base de données de l’industrie montre donc elle-même des effets toxiques à des doses inférieures à la TTC – néanmoins considérée comme sûre. Logique tout ça, n’est ce pas ?
Troisième, quatrième et suivantes lacunes de l’approche: elle ne prend nullement en compte les effets cocktails, ignore la vulnérabilité plus importante des enfants et des femmes enceintes, et méprise la recherche scientifique indépendante. Cette dernière n’a en effet pas été prise en compte pour définir la TTC. Résultat: le PAN a trouvé des preuves de toxicité de substances chimiques à des doses jusqu’à 7500 fois inférieures à la TTC! Pas besoin de vous faire de longues démonstrations : avec de tels chiffres, la modification de procédure est parfaitement irrecevable. Et l’on a du mal à croire que l’Agence européenne de la sécurité alimentaire soit totalement indépendante des intérêts de l’industrie chimique en proposant de telles régressions de la législation.
Que faire alors?
A titre individuel, les pistes d’actions sont multiples, avec des portées diverses: la modification des habitudes quotidiennes (ai-je vraiment besoin d’utiliser ce produit? Des alternatives moins dangereuses sont-elles disponibles?) en passant par la mise sous pression du secteur industriel lui-même (par l’application du droit de savoir, le relais de la campagne DETOX de greenpeace, etc.) sont autant de pistes possibles.
Dans ces cas précis, il est clair qu’il est à la charge des autorités sanitaires de prendre leurs responsabilités. La première d’entre elle est d’assurer la protection de notre santé et de l’environnement, et non de viser à réparer les dommages causés par des facteurs externes, qu’ils soient physiques, chimiques ou biologiques! Comme le pointe l’évaluation finale de la Commission sur le 6eme programme d’action de l’Union européenne pour l’environnement, il est vital d’intégrer les préoccupations sanitaires et environnementales dans les autres politiques de l’Union Européennes. Non pas en y ajoutant un chapitre « Green XXX » ou « Healthy XXX », mais en l’intégrant comme socle de base incontournable.
Par ailleurs, les éléments développés ci-dessus montrent que la question de l’indépendance de la science est encore et toujours posée et appelle des réponses rapides et ambitieuses. Tant le financement des groupes de recherche que la participation de chercheurs ayant des conflits d’intérêts aux groupes d’experts des autorités doivent être repensés.
Élément indispensable et indissociable: le développement d’une culture de transparence autour des substances chimiques. La confidentialité des données en vue d’éviter la concurrence ne peut servir de prétexte générique pour maintenir des informations inaccessibles à un regard sociétal critique.
Plus globalement, il devient plus qu’urgent qu’une mise en balance des risques et des opportunités – à l’aune de l’intérêt du plus grand nombre et non pas uniquement des intérêts économiques des seuls lobbys industriels – soit réalisée pour les substances qui montrent des impacts préoccupants pour notre santé ou l’environnement.
Extrait de nIEWs n°96 (du 15 au 28 septembre),
la Lettre d’information de la Fédération.
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