Depuis les années 30, l’obsolescence est un concept économique largement popularisé. Aucune loi n’interdit cette pratique pourtant nocive pour l’environnement, malgré l’énergie déployée par des ONG notamment en France.
Ce n’est probablement pas par hasard que le concept d’obsolescence programmée semble être apparu dans les années 1930, dans un contexte économique difficile, comme étant la solution à promouvoir pour sortir de la crise. Raccourcir volontairement la durée de vie des produits oblige en effet les consommateurs à acheter plus souvent, soutenant ainsi la relance de l’économie. Le concept est développé et mis en application dans la deuxième moitié du 20e siècle : des bas nylons aux ordinateurs, de nombreux objets sont produits dans l’idée d’être vite remplacés.
L’obsolescence programmée a plusieurs visages.
L’obsolescence technologique est la première qui vient à l’esprit. Parties plastique bon marché, petites vis en métal mou, parties difficiles à réparer qui rendent le coût de réparation comparable à celui de l’achat d’un produit neuf, mais aussi batteries soudées non démontables : le produit est basé sur des matériaux ou des pratiques bon marché en vue de diminuer sa durée de vie.
L’obsolescence systémique rend elle obsolète un produit en empêchant son utilisation, malgré l’absence de défaillance technique. Par exemple, mettre sur le marché un logiciel incompatible avec d’autres, antérieurs, oblige à acheter une nouvelle version de ces logiciels, ou bien arrêter d’offrir un support technique ou de réparation sur un produit.
L’obsolescence esthétique est bien connue : il s’agit des effets de mode. Depuis la mode qui nous fait acheter de nouveaux vêtements alors que les anciens sont encore fonctionnels et en bon état, jusqu’à la surenchère d’évolution technologique qui fait que nous achetons un nouvel ordinateur non pas parce que l’ancien ne fonctionne plus, mais parce que le nouveau offre de nouvelles fonctionnalités…
Enfin, moins connue, l’obsolescence par notification est toutefois assez répandue et particulièrement pernicieuse. Elle consiste à « programmer » le produit pour un certain nombre d’utilisations : cartouches de filtre à eau, cartouches d’imprimantes…
En plus de ces formes « classiques » d’obsolescence programmée on assiste depuis quelques années à un autre phénomène, qu’on pourrait identifier comme de l’obsolescence écologique : l’apparition de nouveaux appareils électriques et électroniques moins énergivores a mené à l’émergence de discours nous incitant à acheter ces nouveaux appareils pour consommer moins d’énergie. Mais c’est oublier un peu vite que la phase de fabrication de ces appareils est elle extrêmement énergivore, d’autant plus que des composants électroniques y sont intégrés, et qu’il faut des années voire des dizaines d’années pour compenser ce surcoût.
Toutes ces formes d’obsolescence ont le même but : faire en sorte que nous achetions plus souvent le même type de produits et, selon certains, faire fonctionner ainsi l’économie. Mais l’impact environnemental de cette pratique saute aux yeux : elle mène droit à une surconsommation de matières premières et une surproduction de déchets qu’il faut traiter et tenter de recycler au mieux, avec une efficacité qui reste encore grandement à améliorer.
En 2010, le Centre National d’Information Indépendante sur les Déchets (CNIID) et les Amis de la Terre ont publié un rapport[ [L’obsolescence programmée, symbole de la société du gaspillage : Le cas des produits électriques et électroniques ]]
sur l’obsolescence programmée pour les appareils électriques et électroniques. Ce premier rapport français sur le sujet fait l’état des lieux du problème, depuis le gaspillage engendré par cette pratique jusqu’aux évolutions observées en matière de réparation. Force est de constater qu’il manque de contraintes structurelles pour faire reculer l’obsolescence programmée de ces appareils. Par conséquent, ces ONG proposent une série de solutions pour les citoyens, les entreprises et les pouvoirs publics. Ces pistes ont certes été élaborées pour les appareils électriques et électroniques mais sont tout à fait pertinentes pour l’ensemble des produits que nous consommons.
Pour les citoyens, la première piste qui s’impose est celle d’une consommation raisonnable et raisonnée. A partir du moment où les besoins de base de chacun sont rencontrés, les biens matériels ne sont plus synonymes de bonheur supplémentaire. A chacun donc de ne consommer que les biens dont il a réellement besoin, et de choisir des biens de qualité pour que ceux-ci durent le plus longtemps possible. Il est aussi préférable d’acheter des objets en seconde main, pour prolonger leur durée de vie, et de mettre en commun entre plusieurs personnes des objets dont on ne se sert pas souvent (outils, tondeuses etc).
Concernant les entreprises, chacune peut jouer un rôle en utilisant l’ecodesign pour ses produits. L’ecodesign, ou design pour l’environnement, permet d’optimiser la conception du produit en vue de réduire son impact pour l’environnement et notamment pour allonger sa durée de vie et faciliter sa réparation, soit l’inverse de l’obsolescence programmée. Par ailleurs chaque entreprise peut s’inscrire dans une économie circulaire (maximiser le réemploi et le recyclage) et/ou une économie de services en proposant et en utilisant des services plutôt que des biens (location, leasing, société de services…) qui participent à l’éradication de l’obsolescence programmée.
Les pouvoirs publics ont bien sûr un rôle crucial à jouer. Il n’est pas forcément évident de viser l’ensemble des pratiques que recouvre l’obsolescence programmée. Néanmoins, certaines mesures permettraient de contribuer à réduire largement cette pratique. La première urgence est de rétablir l’équilibre de l’information entre le producteur (qui sait que son produit est conçu pour un certain nombre d’années ou d’utilisations) et le consommateur, qui l’ignore totalement. Il faut donc commencer par imposer une obligation d’affichage de la durée de vie prévue sur le produit, notamment pour les appareils électriques et électroniques. Ensuite, l’augmentation de la durée de la garantie légale permettrait d’être certain que les appareils vendus sont de qualité suffisante. Au Royaume-Uni, cette garantie est de 6 ans. Les associations environnementales demandent une garantie de 10 ans pour les appareils électriques et électroniques, étant donnés leurs coûts environnementaux lors de leur production. Un soutien au réemploi et à la réparation est également nécessaire pour prolonger la durée de vie des appareils, y compris en obligeant les fabricants à garder à disposition des pièces détachées pendant toute la durée de la garantie. Ces mesures, pour être efficaces, doivent s’accompagner de la création d’un délit d’obsolescence programmée qui permettrait aux consommateurs de se retourner contre le producteur en cas de pratiques abusives.
Ce sont ces mesures qui ont été soutenues par les ONG environnementales françaises lors de la récente révision de la loi sur la consommation. Les ONG attendaient beaucoup de cette révision, en demandant avec insistance que les mesures qu’elles proposaient soient inclues et que les citoyens aient ainsi enfin un réelle opportunité de consommer de manière plus durable. Une pétition avait même été lancée en juin pour faire pression sur le gouvernement. Les mesures proposées avaient en effet été au départ bien acceptées par les Sénateurs, car bénéfiques pour l’environnement et créatrices d’emploi dans la réparation et le réemploi, mais le lobby des industriels a fini par réussir à écarter ces mesures du texte de loi final adopté le 13 septembre dernier.
En Belgique un tel débat n’a même pas encore eu lieu. Certes la garantie sur les produits de consommation a été allongée à deux ans, mais on est encore loin du compte. Le secteur du réemploi se développe petit à petit grâce à la création de ressourceries, mais il reste que sans lutte contre l’obsolescence programmée le secteur aura du mal à se développer : impossible de réutiliser des produits en panne et non construits pour être réparés. Difficile aussi de revendre en seconde main des vêtements dont la qualité ne les destine qu’à durer une saison. On blâme souvent l’Europe de ne rien faire, mais c’est oublier un peu vite les propositions faites par les ONG françaises qui sont tout aussi valables en Belgique. Notre Etat fédéral a (encore) les compétences nécessaires pour augmenter la durée de vies des appareils électriques et électroniques, pour obliger l’affichage de la durée de vie d’un produit et pour créer un délit d’obsolescence programmée. C’est évidemment aller à l’encontre du lobby d’une partie des industries, notamment des produits « high tech ».
L’obsolescence programmée, souvent vue comme un moteur d’innovation, empêche cependant aussi le développement de technologies plus propres et plus durables. Il est donc dans l’intérêt le plus large de lutter contre cette pratique en vue de mener une transition vers une société plus durable.
Pour aller plus loin :
www.dessousdelahightech.org
Les propositions des Amis de la Terre : ?