La biodiversité a aussi sa conférence internationale

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Alors que la COP 27 pour le climat vient de débuter à Charm el-Cheik en Egypte, une autre moins connue, la COP 15 pour la biodiversité, se tiendra un mois plus tard. Plusieurs fois reportée (4 fois !) à cause de la covid, et après une longue et laborieuse préparation, elle se déroule finalement en deux phases, entrecoupées de réunions de travail. Présidée par la Chine, une première session s’est déroulée à Kunming (Chine), au mois d’octobre 2021. La deuxième session se déroulera du 9 au 17 décembre à Montréal, Canada.

L’enjeu des négociations est d’aboutir à un Cadre Mondial pour la Biodiversité (CMB) post-2020 (CMB ; Post-2020 Global Biodiversity Framework), qui doit succéder aux objectifs d’Aïchi (plan stratégique 2011-2020), qui n’ont pas été atteints. Ce CMB doit s’inscrire dans la vision 2050 de la Convention sur la diversité biologique : « vivre en harmonie avec la nature ».

Théorie du changement relative du cadre

La Convention pour la Diversité Biologique et les COPs pour la Biodiversité

En 1988, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) met sur pied un groupe de travail regroupant des experts internationaux de la diversité biologique pour travailler sur un outil législatif international relatif à la protection de la biodiversité et son exploitation soutenable.

C’est au Sommet de la Terre de Rio en 1992 que la Convention sur la Diversité Biologique (CBD) est ouverte aux signatures, en même temps que la Convention sur le climat. Entrée en vigueur fin 1993, elle a trois objectifs : la conservation de la diversité biologique (diversité génétique, des espèces et des écosystèmes), son exploitation durable, et le partage juste et équitable des bénéfices de l’exploitation des ressources génétiques.

Pour la première fois dans le droit international, on tient compte de l’importance de la biodiversité pour sa valeur intrinsèque et son existence propre, mais aussi pour l’humanité, comme étant le socle du développement social et économique de toute société humaine. La biodiversité doit être protégée au moyen des outils classiques de la conservation de la nature, mais également dans toutes les activités économiques et sociales. Sont également reconnus : la responsabilité internationale et la réparation des dégâts causés à la biodiversité, le réseau écologique pour la dispersion et le flux de gènes, les savoirs locaux comme une source de connaissance et d’exploitation harmonieuse (voir aussi cet article). Elle traite aussi de la  prévention des risques biotechnologiques, à travers le Protocole de Cartagena.

La CBD a valeur de traité international pour les pays qui l’ont signée, et son application est donc obligatoire. La Conférence des Parties (COP) en est l’organisme directeur, qui compte aujourd’hui 196 gouvernements (Parties) qui l’ont ratifiée.

Lors de la 10ème conférence des parties en 2010 (COP10), une plateforme intergouvernementale (IPBES) a été créée, qui est un groupe international d’experts sur la biodiversité (l’équivalent du GIEC). Elle sert d’interface entre les scientifiques et les gouvernements, et réalise un état des lieux régulier des connaissances sur la biodiversité.

Un plan stratégique a également été adopté qui couvre la période 2011-2020 (United Nations decades of nature of restoration), avec 20 sous-objectifs et 60 éléments, connus sous le nom d’Objectifs d’Aïchi. Ce plan devait être décliné à l’échelle de chacune de nations signataires afin d‘assurer sa mise en œuvre à l’échelle nationale et locale.

Influence de la CBD sur la politique européenne et wallonne

Bien que semblant très lointaine par rapport à nos préoccupations politiques régionales, la Convention sur la Diversité Biologique a des implications concrètes jusque chez nous puisqu’elle s’appuie sur les pays et régions pour l’atteinte des objectifs globaux. En Europe, suite à la signature de la CBD, la Stratégie paneuropéenne pour la protection de la diversité biologique et paysagère a été élaborée dans l’objectif de stopper le déclin de la biodiversité avant 2010. C’est la stratégie pour 2020 qui lui a succédé, puis actuellement la Stratégie Biodiversité à l’horizon 2030, qui s’inscrivent dans la vision européenne pour 2050.

En parallèle, la rédaction et la mise en oeuvre de la Directive Habitat ont été réalisées en 1992, qui complètent la Directive Oiseaux (1979), sur base desquelles le réseau Natura 2000 s’est constitué pour atteindre les objectifs de protection des espèces et habitats d’intérêt communautaire.

A l’échelle nationale, les Etats signataires doivent décliner leurs engagements dans des plans stratégiques nationaux et régionaux. En Wallonie, c’est la Stratégie Biodiversité 360°, en cours d’élaboration et qu’on espère voir aboutir en septembre 2023, qui déclinera l’ensemble de ses objectifs pour 2030.

Pour quels résultats au niveau de la biodiversité ?

Malgré toutes ces belles stratégies recyclées chaque décennie (sur base du principe inspiré des jeux vidéo « Game over – try again ? »), aucun des objectifs d’Aïchi n’a été pleinement atteint.

Alors que la crise de la biodiversité n’a jamais été aussi forte. Plus de 40.000 espèces sont encore en danger d’extinction (IUCN 2022) et le dernier rapport « Planète Vivante » du WWF montre que la faune sauvage a subi une perte en abondance de près de 70% depuis 1970.

Une des raisons majeures de cet échec est que le risque posé à l‘humanité par la perte de la biodiversité est moins directement perceptible que ceux associés aux dérèglements climatiques. Mais on peut aussi mentionner le manque d’implémentation appropriée et d’actions effectives aux niveaux national et local, la difficulté d’identifier les acteurs et de les impliquer dans l’atteinte des différents objectifs, le peu de suivi systématique et le manque de réelle coordination internationale pour chaque objectif.

Cependant, bien qu’elles soient insuffisantes, les avancées en matière de conservation depuis 1993 ont tout de même permis de ralentir cette crise. Sans elles, le taux d’extinction des oiseaux et des mammifères à l’échelle mondiale aurait été 3 à 4 fois plus important (Bolam et al. 2020). Dans le même laps de temps, le nombre d’aires protégées a presque doublé, passant de 8% en 1990 à 15% en 2020 (bien qu’on n’atteint pas encore les objectifs de la Convention d’Aïchi qui est de 17%).

Cadre Mondial pour la Biodiversité post-2020 et enjeux de la COP15

C’est en 2018 lors de la COP14 que les discussions concernant un nouveau plan stratégique post-2020, qui s’inscrit dans vision pour 2050 (« New Deal for Nature ») ont débuté.

Le draft actuel du Cadre Mondial pour la Biodiversité post-2020 qui devrait être conclu à Montréal contient 4 objectifs globaux (pour 2050) et 21 cibles orientées-actions (pour 2030).

Au niveau de l’Union Européenne, les ministres de l’environnement ont récemment validé les positions de l’UE avec des objectifs ambitieux : protéger 30% des terres et mers d’ici 2030, restaurer les écosystèmes dégradés et stopper l’extinction des espèces dues aux actions de l’humain.

En pleine période de crise (covid et guerre en Ukraine), l’attention dont cette COP15 avait bénéficié en 2020 est largement retombée. Alors qu’elle sera probablement désertée par de nombreux dirigeants, la crainte est qu’elle n’aboutisse à aucune prise de décision effective concernant la mise en œuvre du CMB. Des objectifs chiffrés ont été retirés et des réticences se sont fait sentir sur plusieurs points notamment la mobilisation des financements et les indicateurs de suivi.

Il est cependant plus que nécessaire et urgent d’arriver à un consensus qui nous permettra d’atteindre des objectifs ambitieux d’ici à 2050 et d’inverser la tendance actuelle.

Références