Introduction
En ce début d’année scolaire, les vacances d’été peuvent déjà vous sembler loin… Pourtant, je vous propose de vous y replonger. Vous partez pour la côte belge ! Imaginez-vous, l’impatience de partir, l’excitation du départ, la frénésie à la gare… et le train bondé…
Chaque année, la SNCB est confrontée à une affluence très importante dans les trains à destination de la côte. Pour répondre à ce raz-de-marée de touristes et éviter l’engorgement, elle augmente donc son offre et affrète de nombreux trains supplémentaires, en particulier lorsque les prévisions météorologiques sont favorables.
Pourtant, en dépit de ces efforts, de nombreux trains se transforment en boîtes de sardines… Et pour cause : plusieurs facteurs limitent la capacité de l’offre ferroviaire et empêchent donc les opérateurs de transport de répondre totalement à une demande ponctuelle très élevée. Parmi ces facteurs, on peut noter le manque de personnel1, le manque de matériel roulant2 (locomotives, voitures, automotrices, etc.), ou encore la capacité du réseau.
Contrairement aux deux premiers facteurs, la capacité du réseau ferroviaire dépend du gestionnaire d’infrastructure, Infrabel. Au regard des objectifs ambitieux d’augmentation du trafic ferroviaire définis par la coalition Vivaldi (gouvernement aujourd’hui en affaires courantes), Infrabel s’est vu offrir non seulement des moyens mais aussi la responsabilité d’augmenter la capacité du réseau pour répondre à une augmentation de la demande. Face à l’ampleur de la tâche, plusieurs leviers peuvent être actionnés. Ce sont ces leviers que cet article ambitionne de vous présenter3.
La capacité de l’infrastructure ferroviaire, cwè çki c’est d’ça ?
La capacité ferroviaire définit le nombre de trains pouvant circuler sur l’infrastructure (divisée entre tronçons, bifurcations, et gares) pendant une période donnée. Pour des raisons de sécurité, la durée entre le passage de deux trains ne doit, à aucun moment, être inférieure à 3 minutes (quelle que soit la vitesse du train). Cette règle permet de définir la capacité maximale du réseau.
Le taux d’occupation du réseau ferroviaire est défini comme rapport entre le nombre de trains empruntant effectivement l’infrastructure et le nombre maximum de trains pouvant l’emprunter. On parle de dépassement de capacité lorsque ce taux dépasse un certain niveau (75 % pour les tronçons, 60 % pour les bifurcations et 50 % pour les gares selon la norme de l’UIC). Les segments de l’infrastructure présentant un dépassement de capacité sont communément appelés des « bottlenecks » (ou goulots d’étranglement en français).
De tels bottlenecks existent déjà en Belgique. Infrabel, le gestionnaire d’infrastructure, a mené un gros travail4 pour les identifier et œuvre à les supprimer progressivement grâce aux fonds obtenus en parallèle de son contrat de performance.
Et si on parlait « sillon » ?5 En matière ferroviaire, un sillon n’a, comme vous vous en doutez, rien à voir avec une charrue ou une faille géologique suivant le parcours de la Sambre et de la Meuse. Le code ferroviaire définit un sillon comme « la capacité de l’infrastructure ferroviaire requise pour faire circuler un train d’un point à un autre au cours d’une période donnée. » (Art. 3, 64°). Pour simplifier, un sillon horaire est un droit à faire rouler un train entre deux points donnés à une période donnée. Ce droit est acquis par les entreprises de transport contre une redevance. |
Un réseau ferré belge saturé ?
S’il y a bien des risques de dépassements de capacité, cela signifie-t-il pour autant que le réseau belge est saturé ? Il convient ici de relativiser un peu.
En effet, la saturation du réseau est prononcée dans le cadre de la procédure d’allocation de la capacité (des sillons). Cette allocation de la capacité est définie annuellement par Infrabel sur base des demandes des opérateurs ferroviaires. En cas de conflit entre plusieurs demandes, une procédure de coordination est lancée, au cours de laquelle des alternatives sont proposées aux opérateurs. Si ces alternatives sont refusées par au moins l’un des opérateurs, c’est alors que le réseau est déclaré en saturation. En cas de saturation (échec de la procédure de coordination), Infrabel utilise un ensemble de règles de priorité pour définir quel opérateur obtiendra le sillon. Ainsi, cet état de saturation ne dépend pas que de l’état du réseau, mais aussi des choix individuels des opérateurs.
Qui à la priorité sur le réseau ferroviaire belge ? Lorsqu’une saturation est prononcée, Infrabel utilise 4 règles de priorité pour allouer la capacité : Le fret international a priorité sur certains sillons réservés (Pre-Arranged Paths ou PAP)Les entreprises ayant utilisé moins de 80% des sillons leur ayant été réservé sont exclues directement (et le sillon est attribué à l’autre entreprise demanderesse). Certains types de train ont priorité sur certains types lignes. En dernier recours, c’est l’entreprise payant la plus grande redevance qui se voit attribuer le sillon A partir de 2025, un changement majeur va avoir lieu quant aux règles de priorité en fonction du type de ligne. En effet, jusqu’en 2024, près de 90% du réseau ferroviaire belge était considéré comme mixte (voyageurs et marchandises), et seuls 5% des lignes étaient spécialisées marchandises (suivant le réseau de transport transeuropéen (TEN-T)). Pour 2025, Infrabel a revu en profondeur sa catégorisation des lignes, définissant 46% des lignes comme spécialisées voyageurs, 29% comme spécialisées marchandises, et seulement 19% comme mixtes. |
Pour le moment, la saturation reste l’exception plutôt que la règle et si les procédures de coordinations se comptent en centaines (sur des milliers de demandes), les cas de saturation se comptent en dizaines.
La capacité ferroviaire : Un problème complexe aux solutions multiples
Si pour le moment la capacité de l’infrastructure pose des problèmes limités, la demande de capacité sur le réseau ferroviaire risque fortement d’augmenter ces prochaines années. En effet, le contrat de service public de la SNCB prévoit une augmentation du nombre de kilomètres parcourus par ses trains de 10%, et par ses passagers de 28%, d’ici 2032 ; la vision Rail 2040, quant à elle, ambitionne un quasi-doublement de la part modale du train, tant pour les marchandises que pour les voyageurs, d’ici 2040. En plus de ce trafic intérieur, le trafic international de voyageurs (dont la mise en concurrence se fait selon le principe d’ « open access ») tend à augmenter depuis plusieurs années, et de nombreux opérateurs cherchent à obtenir de nouveaux sillons sur les gros corridors nationaux. Ce phénomène crée d’ores et déjà des problèmes de capacité, par exemple sur la L27 entre Bruxelles et Anvers, et en particulier sur la portion Malines-Anvers.
Pour répondre à ce défi, il convient donc d’augmenter la capacité du réseau ferroviaire belge. Pour cela, plusieurs leviers existent, se différenciant par leur coût et l’amplitude de leurs bénéfices, mais également par la durée d’obtention des bénéfices attendus6.
Rationalisation de la capacité existante
Le premier principe d’augmentation de la capacité consiste à mieux gérer la capacité existante. Une telle amélioration est d’autant plus cruciale en Belgique qu’une même voie est utilisée par des trains aux objectifs (trains de voyageurs ou marchandise) et aux vitesses différentes. Pour ce faire, plusieurs solutions sont possibles.
Premièrement, il conviendrait de revoir la procédure d’allocation de capacité. La Suisse, par exemple, utilise un catalogue de sillons dans lequel les sillons pour le transport de voyageurs sont réservés 6 ans à l’avance, ce qui permet une meilleure visibilité sur les sillons disponibles. Malheureusement, un tel catalogue n’est aujourd’hui pas autorisé par la législation européenne. Cette approche pourrait pourtant permettre une plus grande automatisation de l’allocation de capacité et améliorer l’expérience client d’Infrabel.
Deuxièmement, il conviendrait également de mieux gérer la planification des travaux pour s’assurer qu’une capacité existe toujours pour un trajet donné. Durant l’été 2024 par exemple, des travaux ont bloqué le trafic entre Namur et Libramont à la fois sur la L162 et sur la L165, empêchant tout trajet sans rupture de charge pour les voyageurs.
Ce principe d’augmentation de la capacité (bien qu’il ne soit pas simple) induit de loin les changements les plus rapides, mais l’augmentation de capacité induite reste limitée.
Réduction de la demande de capacité
Le second principe proposé pour augmenter la capacité du réseau consiste à jouer sur la réduction de la demande en capacité.
Un premier levier consiste à éviter la non-utilisation des sillons réservés, par exemple via une révisionde la méthode d’allocation de la capacité. Une telle approche est déjà intégrée dans les règles de priorité appliquées par Infrabel (voir description plus haut).
La méthode d’allocation des sillons pourrait également inciter les opérateurs à faire rouler des trains plus longs, ce qui permettrait de transporter plus de voyageurs et de marchandises sans faire rouler plus de trains. La norme européenne permettant de faire rouler des trains de marchandise d’une longueur de 740 mètres participe à cette approche. Il est également envisageable de transporter plus de voyageurs en adaptant la composition des trains, ce qui permettrait de réduire le nombre de trains de pointe (P). Une telle méthode, utilisée en Suisse, n’est pas du tout appliquée en Belgique, où des rames Desiro vides sont parfois tractées plutôt que d’effectuer une « coupe ». Afin de mettre en place une telle modulation, des modifications infrastructurelles (voies de garages notamment) et organisationnelles (exploitation de lignes en « coupe-accroche »7, système d’exploitation basé sur des nœuds de correspondance8 plutôt que sur des corridors, etc.) peuvent toutefois être nécessaires.
Un deuxième levier consiste à réduire le besoin de capacité pour l’entretien de l’infrastructure. Comme déjà souligné par le régulateur, la gestion des travaux par Infrabel n’est pas toujours optimale. Une meilleure efficacité des activités de maintenance permettrait donc de libérer de la capacité et ainsi d’augmenter l’offre de trains, particulièrement en soirée et le week-end où cette offre est manquante.
Les mesures répondant à ce principe s’inscrivent dans le moyen terme et ont, comme les mesures du principe précédent, un impact limité.
Augmentation de la capacité disponible
Enfin, le dernier principe d’augmentation de la capacité, et le plus évident, s’attaque directement à l’infrastructure.
Un premier levier consiste « simplement » à rajouter de nouvelles voies, voire de nouvelles lignes. Bien qu’extrêmement efficace, cette approche peut s’avérer très onéreuse et implique un risque pour l’équilibre des finances publiques. De plus, son impact n’est visible que sur le temps long. Afin de limiter les investissements, il pourrait donc être intéressant, dans le cadre de cette approche, de remettre en service des voies d’évitement, demandant souvent moins de génie civil et de terrassement qu’une voie classique. En effet, de nombreux aiguillages ont été supprimés durant la dernière décennie pour des raisons de « simplification » du réseau. Malheureusement cette suppression a également entraîné une réduction de capacité et une baisse de la robustesse du réseau, l’accès à de nombreuses voies d’évitement étant par là même également supprimé.
Un deuxième levier consiste à améliorer la signalisation. C’est notamment l’approche mobilisée par l’installation du système ETCS, censé permettre la réduction de la durée de passage entre deux trains à 2 min. 30, voire 2 minutes, comme c’est par exemple le cas en Suisse. Malheureusement, sur le réseau belge, on observe l’effet inverse : Infrabel a en effet décidé d’augmenter la distance entre les trains jusqu’à 4 minutes sur certains tronçons afin de renforcer la robustesse du réseau. Ce recul souligne notamment la nécessité d’avoir un réseau bien entretenu, et donc la priorité qui doit être accordée au maintien de la capacité.
Conclusion
Si le réseau ferroviaire belge est bel est bien sous pression face à une demande de capacité qui risque de ne faire qu’augmenter au cours des prochaines années, il existe des solutions pour augmenter la capacité du réseau à court terme sans recourir à des travaux d’infrastructure coûteux et à la durée très incertaine (rappelons ici que le premier projet de RER bruxellois date de 1995…).
Il est par exemple possible de revoir la procédure d’allocation des sillons sur base d’un catalogue sillon et dans un objectif de réduction des réservations non utilisées. Il est également envisageable d’optimiser la planification et la réalisation des travaux d’infrastructure. Enfin, il doit être envisagé de revoir l’exploitation des trains en modifiant leur composition au cours de la journée et en réduisant la longueur des trajets effectués via une exploitation par nœuds de correspondances plutôt que par corridors.
Ces améliorations à court terme permettent de laisser le temps nécessaire à l’objectivation de la demande présente et future de capacité, et ainsi d’identifier les modifications infrastructurelles les plus efficaces. En particulier, cette évaluation doit être menée par tronçon afin de cibler les bottlenecks futurs et de recourir à des voies d’évitement plutôt qu’à des doublements de voie sur l’ensemble d’une ligne9. De plus, toute modification de l’infrastructure doit être alignée avec les besoins du plan de transport.
Enfin, dans un contexte budgétaire compliqué, et étant donné les moyens limités d’Infrabel (qui peine à rattraper son retard dans l’entretien de l’infrastructure à cause d’années de sous-investissement), la priorité absolue doit être donnée au maintien de la capacité pour permettre d’assurer la fiabilité des services et de réduire les retards et annulations occasionnés par le mauvais état de l’infrastructure.
Car l’essentiel pour un séjour à la côte, c’est avant tout d’arriver à destination !
Crédit image d’illustration : Adobe Stock
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- Argument par exemple mobilisé par la SNCB pour justifier sa décision de ne pas étendre son offre de transport autant que prévu en 2025 : https://press.sncb.be/le-conseil-dadministration-de-la-sncb-approuve-loffre-de-trains-2025
- Le retard de livraison des voitures dites M7 a souvent été mentionné comme une cause de suppression de trains ou de composition réduite (trains « déforcées ») durant l’année 2023.
- L’idée de cet article a été inspirée par le webinaire organisé le 31 janvier 2024 par le Conseil Central et l’Economie (CCE) et le Conseil National du Travail (CNT) : https://www.ccecrb.fgov.be/p/fr/1210/la-capacite-de-l-infrastructure-ferroviaire-face-aux-ambitions-d-un-transfert-modal-vers-le-rail/4
- Dans le cadre de son projet Phoenix (2017-2019)
- Voir par exemple l’article « « Prix du sillon » ou quand le diable se cache dans les détails… (épisode 1) » https://www.canopea.be/prix-du-sillon-ou-quand-le-diable-se-cache-dans-les-details-episode-1/
- Ulrich et al. (2023, mai 20). Next Stop: Making Better Use of Rail Infrastructure. https://www.bcg.com/publications/2023/tackling-rail-infrastructure-capacity-management
- Système consistant à atteler deux automotrices sur une partie commune et à les « couper » pour les faire ensuite circuler sur deux tronçons différents.
- Système dont la faisabilité a été démontrée par le plan Integrato : https://www.integrato.be/
- Les aspects économiques et écologiques de l’extension de la capacité ferroviaire par l’infrastructure seront traités dans une prochaine Racine.