Le 10 avril dernier, le Royal Saint-Hubert Club de Belgique organisait au Centre culturel de Marche-en-Famenne un débat pré-électoral réunissant les principaux partis politiques. Cet événement constituait le point d’orgue de la campagne électorale… du président du Saint-Hubert, une campagne entamée il y a plus de six mois et marquée par des interventions médiatiques très maîtrisées, des actions de désinformation savamment orchestrées, une stigmatisation du monde environnemental et du DNF, etc. Toute cette stratégie élaborée par celui qui est déjà et entend bien rester l’homme fort d’un club très particulier risque toutefois de s’écrouler suite à ce qui devait en être le coup de maître et pourrait in fine s’avérer le coup de trop. Car certains de ceux présents à Marche ce 10 avril en ont gardé un goût très amer.
Club, pouvoir, tableaux de chasse… et les autres
Le Royal Saint-Hubert Club de Belgique se singularise (notamment) par l’antagonisme de ses composantes. S’y retrouvent ainsi ceux qui comptent, les plus belles fortunes de Belgique et les plus grands patrimoines. Des personnalités (re)connues, habituées au rouage du pouvoir et proches des cercles de décision. Certains aiment faire des tableaux de chasse pléthoriques, l’expression de leur statut social élevé tandis que d’autres tirent notoirement profit d’une chasse commerciale et des dérives autorisées ou tolérées. Ensemble, ces « privilégiés » tirent les ficelles du Club.
Issus de sphères analogues, d’autres notables fréquentant ce milieu sont plutôt des chasseurs attentifs à la notoriété de leur passion au sein de la ruralité et ouverts au dialogue. Éconduits des cercles de décision et d’influence du Club, on ne les entend plus depuis une décennie. Malgré quelques « dégâts collatéraux », la plupart vivaient bien, jusqu’il y a peu, avec la stratégie du Club. Les plus progressistes ont quant à eux été minorisés, si pas exclus.
A l’opposé de ces notables, le Club trouve force et légitimité dans sa base, une base agissante, pleine du « bon sens » de la ruralité. En forçant le trait, ce sont ceux qui, lors des battues, servent à pousser le gibier,à cor(ps) et à cri jusqu’aux nantis qui n’ont alors plus qu’à le tirer. Rabatteurs, traqueurs, petits chasseurs ou autres suiveurs : ils sont censés représenter au sein du Club tout ce qui fait la tradition et la ruralité ! Sans oublier ceux qui, l’année durant, gardent fort jalousement ces chasses pléthoriques. Cette base, instrumentalisée par ceux qui détiennent le pouvoir, défend la chasse pour la chasse sans jamais percevoir les enjeux à plus long terme.
Mais le Club n’est pas la chasse !
Le monde de la chasse, c’est aussi nombre d’autres chasseurs, traqueurs, suiveurs ou gardes passionnés, ancrés dans la ruralité et ouverts à ses réalités. Ils partagent souvent cette activité avec d’autres loisirs ou une profession qui leur offre un regard différent sur la chasse : gestionnaires forestiers, naturalistes, agriculteurs et autres passionnés de la faune sauvage. Ceux-là défendent une chasse éthique et respectueuse de l’environnement. Ce sont les jeteurs de ponts avec les mouvements environnementalistes, ceux qui promeuvent une chasse qui avance avec son temps… Ceux qui, de plus en plus nombreux, sont aujourd’hui mis au ban de ce Club.
Ambiance des grands soirs
Mais revenons à cette soirée du 10 avril qui constituait donc le point d’orgue de la campagne de ré-élection du président de ce fameux Club. C’était la foule des grands soirs, mobilisée pour défendre une chasse menacée par « certaines associations environnementales » réceptacles « d’ayatollahs » qui tenteraient « d’imposer leur charia verte sur toute la nature[[Éditorial de « Chasse et Nature », décembre 2013.]] » . Plus encore : maltraitée par une administration partisane et décrétée « anti-chasse », par des scientifiques aux méthodes de calcul des densités erronées et par tout qui est un tant soit peu critique, appel était fait au monde de la chasse de se lever pour éviter que, demain, les densités de cervidés n’atteignent le seuil des espèces en voies de disparition !
La soirée se voulait un moment de dialogue constructif entre politiques et chasseurs. Mais après un discours présidentiel caricatural, les questions envoyées au préalable par le Club aux politiques ainsi que quelques autres, issues de la salle et triées sur le volet, furent abordées et de dialogue, il ne fut jamais question. Le public, entièrement acquis à la cause du Président, se contenta d’applaudir ou huer selon que l’intervention allait ou non dans le sens de la doctrine du Club. Les tentatives de conciliation sont niées. Difficile pour ce petit monde, chauffé à blanc par leur président depuis 6 mois de se mettre tout simplement à l’écoute. Même le politique qui, pédagogiquement, tente de leur ouvrir les yeux à propos de l’ouverture de la chasse de nuit en fait les frais. Un peu plus tard, alors qu’un autre politique, classé « anti-chasse », exprimait son avis sur la chasse à l’arc – un enjeu qui concerne tout au plus 50 personnes en Wallonie – le public ayant déjà pris sa respiration pour le huer fut complètement décontenancé et peina à retenir son tollé, en découvrant que « l’ennemi » était… en accord avec la proposition !
Des chasseurs peu crédibles
Rien ne nous fut épargné : accusation de comptages truqués par le DNF ; déni total de la réalité et de l’importance des dégâts du gibier ; revendication de l’ouverture de la chasse à tout ce qui bouge, de jour comme de nuit, et du retour au nourrissage intensif,… Ils ont même réussi à ce que le seul politique chasseur présent souscrive à la destruction par piégeage des nuisibles, en ce compris des rapaces. Une proposition pourtant contraire à la législation européenne qui révèle en outre une réelle méconnaissance des biotopes dans ce monde de la chasse. Il n’y a en effet pas (ou très marginalement) de prédations de ces espèces sur le gibier ; elles rendent par contre d’importants services pour l’agriculture. Cette soirée fut aussi l’occasion de rappeler ce petit lexique de notre faune, bec droits, nuisibles, prédateurs, …
Si certains représentants de parti politique se sont fait copieusement huer, d’autres ont largement joué le jeu de la campagne pour satisfaire le public. Ainsi, un ancien Ministre de la Fonction publique n’a pas hésité à dénigrer l’administration compétente devant une salle estimant que « le politique est là pour 6 ans, certains dirigeants du DNF ne devraient pas rester plus longtemps ! ». Les engagements pris pendant cette législature sont eux annoncés bons pour passer à la trappe lors de la prochaine.
Mais les promesses de campagne ne sont que… des promesses de campagne. En attestent les divergences entre les réponses données ce soir-là par certains partis et celles données aux mêmes questions sur la chasse de la Ligue Royale Belge pour la Protection des Oiseaux …
En fin de soirée, certains avaient le sentiment, d’une belle démonstration de force en faveur de la chasse. Pourtant, il n’avait été question que de creuser un peu plus encore le fossé qui sépare le Club du reste de la société ; l’événement avait mis une fois de plus en évidence le fait que le dialogue n’a pas de place dans ce monde à part. Cette évidence était telle que des participants, apparurent mal à l’aise, semblant prendre conscience qu’une telle radicalité de positionnement pourrait s’avérer in fine contre-productive….