A l’occasion de la troisième conférence du cycle «Croissance, consommation, progrès, … et après ?», Isabelle Cassiers, chercheur qualifié du FNRS et professeur au Département d’économie de l’UCL, nous a apporté ses éléments de réponse face à l’impasse, tant environnementale que sociale, à laquelle nous sommes actuellement confrontés. Partant du constat d’une société malade, madame Cassiers tend à insuffler un nouveau souffle au modèle économique dominant, prônant non pas la décroissance mais une autre croissance qui ne serait plus mesurée par le PIB mais par un indicateur alternatif qui, à l’instar de l’empreinte écologique, intégrerait exigences sociales et environnementales.
Pour Isabelle Cassiers, l’impasse à laquelle nous faisons actuellement face est triple. D’une part, nous sommes confrontés à un défi environnemental majeur, en témoignent la dégradation de l’environnement et la réduction de la biodiversité. En second lieu, l’instabilité géopolitique est alarmante, les réflexes sécuritaires s’en trouvant exacerbés. Enfin, les inégalités ne cessent de croîtrent, maintenant la pauvreté à un niveau extrême.
Au vu de ce triple constat, qu’est-ce qui nous poussent encore, nous, citoyens des pays riches, à continuer dans cette course effrenée ? Sommes-nous réellement heureux ?
Assurément pas, si l’on se réfère aux indicateurs, autres que le PIB, comme, par exemple, l’empreinte écologique.
L’empreinte écologique, indice développé par le WWF, exprime le nombre de planètes nécessaires pour permettre de soutenir l’activité humaine. Que nous apprend cet indicateur? Jusqu’à 1986, moins d’une planète suffisait à satisfaire les besoins humains. Depuis lors, l’activité humaine poursuit une course débridée, pompant allègrement dans les réserves de la planète. Par région, c’est l’Amérique du Nord qui a, par habitant, l’empreinte écologique la plus grande. Si tous les citoyens du monde se lançaient sur le mode de consommation effréné des Américains, ce sont plus de 5 planètes qui seraient nécessaires.
Les inégalités et la pauvreté sont un autre indicateur qui montre que 10% de la population la plus riche détiennent à eux seuls 80% des ressources.
Dans son étude « La croissance ne fait pas le bonheur : les économistes le savent-ils ? »[(en collaboration avec Catherine Delain), Regards économiques, mars 2006, n°38, 15p. Disponible sur [http://regards.ires.ucl.ac.be]], Isabelle Cassiers a considéré le PIB réel (évolution du pouvoir d’achat moyen) d’une part et la satisfaction de vie (« Etes-vous globalement satisfait de votre vie ? ») d’autre part. De cette étude, il ressort que, à travers le temps, la satisfaction de vie tend à diminuer tandis que l’indicateur de pouvoir d’achat a lui tendance à croître. Ainsi, en Belgique, le pouvoir d’achat a augmenté de 80% mais, dans le même temps, la satisfaction de vie diminuait d’environ 8%.
Face au couple contrasté « pouvoir d’achat – satisfaction de vie », les économistes apportent différentes réponses allant de la relativité de la richesse (aspect de comparaison par rapport aux autres) à l’effet d’habitude (on s’habitue à son confort).
La richesse n’est toutefois pas le seul et unique facteur contribuant à la qualité de vie. D’autres facteurs peuvent également l’affecter, positivement ou négativement : les inégalités ou le sentiment d’appartenance à une société juste, le chômage et les conditions de travail (stress, …), la santé, les relations familiales et sociales, la gouvernance et les institutions,l’environnement… Considérons le travail qui, bien que source de revenus, tend à amoindrir, par le biais de nouvelles normes stressantes, d’horaires difficiles, de l’apparition de nouveaux symptômes de maladie, etc., notre qualité de vie. La santé, elle, vacille également ; un tiers des maladies actuelles étant d’origine professionnelle (stress, dépression, cancer, …).
Face à ces facteurs de non satisfaction, pour certains indéniablement générés par le modèle-même de la croissance économique, Isabelle Cassiers préconise non pas tant un modèle de décroissance mais davantage une autre croissance, où le critère de croissance, en l’occurrence le PIB, serait revu. Cet indicateur alternatif devrait idéalement faire l’objet d’un consensus quant à l’objectif que nous voulons communément poursuivre et intégrer les composantes environnementale, sociale et de répartition. L’urgence, la pression de la population et des ONG, la montée en puissance de la Chine et corollairement le déclin de l’Occident, sont autant de chances à saisir pour quitter le modèle dominant. La donne pourrait toutefois être freinée par les facteurs de résistance que sont, entre autres, l’intérêt économique, une société schizophrène constamment guidée par les messages sous-tendus par la publicité et l’idéologie dominante et ses tenants (vertus du marché, compétitivité, mobilité, comparaison, benchmarking, absence d’alternatives depuis la chute du bloc soviétique).