Une Tribune de Pierre Courbe parue dans le journal L’Echo ce 13 avril 2022.
Le passage à la pompe est, pour beaucoup de personnes, devenu source d’angoisse. Source de récriminations, aussi. Contre les producteurs de pétrole. Contre Poutine et sa guerre en Ukraine. Contre « les gouvernements qui s’en mettent plein les poches » (nos poches collectives, en fait, qui, par ces temps de crises multiples, se vident plus vite qu’elles ne se remplissent). Mais rarement contre les constructeurs d’automobiles. Il y aurait pourtant de quoi : le coût du plein est certes proportionnel au prix du litre de carburant mais aussi à la consommation du véhicule.
Plus un véhicule est lourd, plus il est puissant, plus sa vitesse de pointe est élevée, plus sa face avant est agressive (et donc moins son profil est aérodynamique), et plus il consommera d’énergie. Or, au cours des dernières décennies, le poids, la puissance et la vitesse de pointe des voitures ont augmenté régulièrement ainsi que l’agressivité de leur face avant. Contrairement à l’histoire que nous racontent les constructeurs, ces évolutions ne sont pas induites par les consommateurs mais par le secteur lui-même, qui pilote le marché automobile avec grande dextérité. L’explosion des ventes de voitures électriques en 2020 illustre à merveille cette dextérité. En 2019, 3% seulement des voitures neuves vendues en Europe étaient électrifiées (électriques à batterie ou hybrides rechargeables) et 10,5% en 2020. Ces 7,5% supplémentaires ne sont pas tombés du ciel : leur mise à disposition avait été planifiée en amont. Et planifiée pour 2020 (pas avant), année d’application de l’objectif européen de réduction des émissions de CO2.
Ces dernières années, les constructeurs franchissent l’un après l’autre une étape supplémentaire : non content de « bodybuilder » leurs différents modèles, ils arrêtent aussi la production des voitures les plus modestes, qui sont également (c’est un principe physique élémentaire) celles qui consomment le moins d’énergie.
Parallèlement, les constructeurs de voitures continuent à consacrer des moyens colossaux à la promotion des véhicules les plus lourds et puissants. Soit ceux sur lesquels leurs marges bénéficiaires sont les plus confortables. Soit aussi, hélas, ceux qui consomment le plus d’énergie – et donc polluent le plus et coûtent le plus cher à l’utilisation.
Il est très difficile, en tant qu’acheteur.euse, de résister à cette tendance. Difficile de résister à la pression publicitaire. Difficile d’adopter une approche rationnelle et d’acheter à la juste mesure de ses besoins. Nombreuses sont les personnes qui se « laissent tenter » et se retrouvent au volant d’un véhicule sur-dimensionné. Un véhicule plus cher à l’achat, plus cher en assurances, plus cher en entretien et… plus cher en carburant !
On peut s’interroger sur la moralité de la pratique, on peut le déplorer, mais il est « normal », dans nos sociétés, de pousser ses concitoyens à surconsommer – et donc à connaître des fins de mois difficiles.
Un pouvoir public soucieux du bien-être de ses concitoyen.ne.s tentera de « corriger le tir » et de contrebalancer la promotion des véhicules surdimensionnés. Ceci avec les moyens qui lui sont propres. En l’occurrence, la fiscalité à l’achat qui permet d’introduire – et de manière directement perceptible – un peu de rationalité dans le processus de décision. Raison pour laquelle, sans doute, l’industrie automobile lobbye en faveur de sa suppression. Si à un coût d’achat plus élevé vient s’ajouter une taxe de mise en circulation plus élevée également, les consommateur.trice.s auront tendance à s’orienter vers des véhicules plus modestes, moins chers, et sur lesquels la taxe de mise en circulation sera plus faible. Les véhicules plus modestes (moins lourds et/ou moins puissants) sont aussi moins chers à l’utilisation, moins consommateurs d’énergie, moins polluants – et meilleurs pour la sécurité routière ! Des taxes de mise en circulation ayant un tel effet de « correction du marché » existent dans plusieurs pays européens (dont les Pays-Bas) et ont largement fait la preuve de leur efficacité. C’est l’adoption d’un tel système fiscal en Wallonie qu’Inter-Environnement Wallonie appelle de ses vœux depuis de nombreuses années. La déclaration de politique régionale (DPR) le prévoit. Il reste à espérer que le Gouvernement adoptera une telle réforme avant la fin de la législature. Pour réconcilier les enjeux de fin de mois et de « fin du monde ».