Cet article a été rédigé sur base d’une conférence donnée par Charlotte GILART DE KERANFLEC’H au Parlement de Wallonie le 16 mai 2024.
La médecine moderne a toujours cherché à explorer de nouvelles opportunités pour améliorer les soins et le bien-être des patients. L’un des domaines les plus fascinants et prometteurs est celui des soins verts, qui utilise la nature comme levier thérapeutique.
Forêt et dérèglements climatiques
Tout d’abord, les forêts et les arbres contribuent à une meilleure santé en jouant un rôle dans les dérèglements climatiques. Plus précisément, les arbres au sein des villes (les « forêts intérieures ») purifient l’air, compensent les îlots de chaleur (et réduisent les factures d’énergie) et enrichissent la faune locale. Les arbres des bassins entourant les villes (les « forêts voisines ») contribuent à un air et une eau potable plus propres, réduisent les inondations et permettent d’échapper à la vie urbaine trépidante. Et les arbres dans les « forêts lointaines » – en particulier sous les tropiques – séquestrent de grandes quantités de carbone et génèrent de la pluie pour le monde entier. Les forêts sont donc des partenaires incontournables pour faire face aux enjeux que nous affrontons au 21ème siècle.
Programmés pour évoluer dans la nature
En 2021, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a publié des données montrant comment l’exposition à la nature influence notre physiologie et psychologie. Les résultats sont éloquents : la nature et les écosystèmes peuvent offrir soutien et protection à la santé et au bien-être. La nature, et en particulier la forêt, joue un rôle crucial dans le renforcement de notre système immunitaire et cognitif. Contrairement à certaines idées reçues, les impacts les plus significatifs des thérapies basées sur la nature ne se manifestent pas d’abord au niveau physique. Nous sommes tous profondément enracinés dans la nature, et notre cerveau, qui a évolué sur des temps très longs, est naturellement programmé pour reconnaître et analyser notre environnement naturel.
La forêt, actrice de santé publique ?
La forêt n’est pas qu’un simple agencement d’arbres, elle est un véritable réservoir de vie, abritant une biodiversité qui nous expose à une multitude de facteurs chimiques et physiques. Ces environnements regorgent de petites molécules volatiles, appelées phytoncides.
De nombreuses études se penchent aujourd’hui sur les bénéfices de l’exposition à ces phytoncides : ils sont régulateurs des récepteurs GABA-BZD et améliorent le sommeil (1), ils seraient bénéfiques pour les maladies cardiovasculaires (impact sur la formation de plaques d’athéromes sur modèle animal) (2) et améliorent la fonction immunitaire chez les patients atteints de cancer (3).
Ces phytoncides sont composés, entre autres, de terpènes. (4) Ces terpènes, en interactions, avec des bactéries, des allergènes et d’autres micro-organismes présents dans l’air forestier stimulent notre système immunitaire. Autrefois, on pensait que les enfants mettaient tout à la bouche pour explorer le monde. En réalité, les enfants ingèrent de petites bactéries et micro-organismes présents dans la terre, qui jouent un rôle fondamental dans le renforcement de leur système immunitaire. Une étude menée sur les sangliers a révélé que ces animaux se roulent dans la terre non seulement pour se débarrasser des parasites, mais aussi pour ingérer des micro-organismes bénéfiques. Ce phénomène, par inhalation ou ingestion, agit comme un antidépresseur naturel et renforce notre système immunitaire.
Et si on emmenait des patients en forêt ?
Le soin vert, ou « Green Care », désigne une intervention ayant pour but de traiter, de soigner, de rééduquer, ou d’accompagner un patient dans les dimensions de guérison et de bien-être. Ces patients peuvent présenter une maladie ou une condition de santé défavorable. Le principe thérapeutique fondamental de cette approche est que la thérapie fait appel aux éléments naturels, à la nature. Dans les bases de données médicales, cette approche est souvent désignée sous les termes « Green Care » ou « Nature-Assisted Therapy ». (5)
L’IUFRO ( International Union of Forest Research Organizations) a publié récemment un dossier rassemblant les évidences scientifiques des liens entre foret et santé humaine.
Parmi les personnes âgées, les données scientifiques confirment un lien positif pour quatre domaines de santé étudiés (déclin cognitif et démence, capacités physiques et fragilité, santé mentale et bien-être, mortalité et longévité). Les preuves d’un impact du contact avec la nature et les forêts sur le fonctionnement physique et la fragilité sont un peu plus mitigées, principalement parce que le parcours d’activité physique sous-jacent à ces avantages peut également entraîner des accidents. Ce rapport confirme que les personnes âgées et fragiles vont particulièrement bénéficier de ces expositions aux forêts.
Les études pilotes menées dans des centres hospitaliers ont fourni des preuves concrètes de l’innocuité et des bénéfices des soins verts. Par exemple, à l’Hôpital Universitaire de Tokyo, une étude a impliqué des patients atteints de maladies chroniques qui ont été exposés à des environnements naturels pendant leur séjour. Les résultats ont montré des améliorations significatives dans les paramètres de stress, ainsi que dans les marqueurs biologiques associés à l’inflammation. En outre, des études menées par l’Institut de Recherche sur les Forêts en Suède ont montré que les gens qui passent du temps en forêt présentent des niveaux de stress réduits, ce qui est attribué aux effets calmants des phytoncides et des terpènes.
Au Japon, depuis plus de 20 ans, de nombreuses études étudient les pratiques de « Bain de Forêt », appelées Shnrin-Yoku et leurs impacts sur la santé. Côté physiologie, il a été prouvé que ces bains de foêt augmentaient les taux de cellules immunitaires (notamment les lymphocytes NK qui luttent contre les cellules cancéreuses), diminuant la tension artérielle, améliorent la qualité du sommeil, diminuent les taux de cortisol dans le sang (6). Ces bains de forêt agissent aussi sur l’adiponectine. L’adiponectine est une hormone antidépresseur, anti-inflammatoire, et qui joue un rôle crucial dans la densité osseuse. Son niveau augmente dans les environnements enrichis, c’est-à-dire des environnements offrant des stimulations sensorielles complexes, une activité physique, cognitive, et sociale. (1) Ainsi, les individus travaillant dans des jardins thérapeutiques ou dans les forêts bénéficient de niveaux accrus de cette molécule bénéfique.
Le « bain de forêt », ne se limite pas à une simple balade en plein air. Il s’agit d’une immersion dans un écosystème riche et varié, où chaque élément contribue à l’équilibre et à la vitalité de notre corps.
À ce titre, les forêts pourraient bien devenir les « Big Pharma » de demain. Si vous êtes propriétaire d’une forêt, acteur dans la gestion forestière, ou décideur dans ce domaine, vous avez entre les mains une ressource d’une valeur inestimable pour la santé publique. Prenez l’exemple du canton de Genève, où l’ingénieur en chef des forêts suisses a récemment été promu à la tête d’un projet ambitieux intitulé « Santé et Arbre ». Avec un budget colossal, ce projet, mené en partenariat avec les hôpitaux, vise à intégrer davantage d’arbres dans les espaces urbains, reconnaissant ainsi leur rôle crucial pour la santé des citadins.
Autres initiatives : la thérapie par l’aventure s’avère particulièrement efficace pour les adolescents et les personnes souffrant de dépendances. En exposant les patients à des environnements naturels stimulants et en favorisant des expériences de groupe, cette thérapie permet de développer des compétences de vie essentielles tout en réduisant les comportements de dépendance. Pour les services d’oncologie et de palliatif, la thérapie des paysages extraordinaires apporte une dimension nouvelle à la gestion des maladies graves. L’immersion dans des environnements naturels exceptionnels peut améliorer la qualité de vie des patients en fin de vie.
Ca se passe chez nous
Pour clôturer cet article, citons quelques acteurs belges et européens : La Société Royale Forestière Belge qui développe ce projet « Forêt et santé mentale ». « Un projet pilote, alliant professionnels de santé mentale et forestiers, qui vise à évaluer les bénéfices de la nature sur la santé des adolescents hospitalisés. ».
Terra Sylvia, est une association qui a pour but de promouvoir les pratiques d’accompagnement dans la nature : formations en écothérapie, séminaires, ouvrages collectifs…
Le Forest Therapy Hub est une initiative, basée en Espagne, promouvant la thérapie par la forêt. Ils forment des Guides de Bain de Forêt et des Praticiens en Thérapie Forestière dans le monde entier. Une cartographie des thérapeutes est disponible sur leur site.
Ainsi, l’avenir de la santé pourrait bien se trouver dans les forêts, où chaque arbre, chaque plante, et chaque micro-organisme joue un rôle dans le maintien de notre immunité. En valorisant cette relation intime entre l’homme et la nature, nous ne faisons pas seulement un pas vers une meilleure santé, mais aussi vers un avenir plus durable et en harmonie avec notre environnement.
1. Woo J, Lee CJ. Sleep-enhancing Effects of Phytoncide Via Behavioral, Electrophysiological, and Molecular Modeling Approaches. Exp Neurobiol. 30 avr 2020;29(2):120‑9.
2. Lim L, Jang YS, Yun JJ, Song H. Phytoncide, Nanochemicals from Chamaecyparis obtusa, Inhibits Proliferation and Migration of Vascular Smooth Muscle Cells. J Nanosci Nanotechnol. janv 2015;15(1):112‑5.
3. Heo SJ, Park SK, Jee YS. Effects of phytoncide on immune cells and psychological stress of gynecological cancer survivors: randomized controlled trials. J Exerc Rehabil. juin 2023;19(3):170‑80.
4. Petrović J, Stojković D, Soković M. Terpene core in selected aromatic and edible plants: Natural health improving agents. Adv Food Nutr Res. 2019;90:423‑51.
5. Annerstedt M, Währborg P. Nature-assisted therapy: systematic review of controlled and observational studies. Scand J Public Health. juin 2011;39(4):371‑88.
6. Antonelli M, Barbieri G, Donelli D. Effects of forest bathing (shinrin-yoku) on levels of cortisol as a stress biomarker: a systematic review and meta-analysis. Int J Biometeorol. août 2019;63(8):1117‑34.
Crédit image d’illustration : Adobe Stock
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