Lorsque nous réclamons des changements d’organisation sociétale en faveur de la préservation de l’environnement, on nous oppose souvent l’argument de la liberté de consommer. C’est oublier que l’organisation actuelle de la société nous prive d’une autre liberté : celle de ne pas consommer !
« C’est vraiment tout petit, chez toi. Pourquoi tu ne cherches pas un logement plus grand ? » « Je n’irai plus chez toi, il fait trop froid » « Dis donc voisin, il faudrait tondre ta pelouse, c’est la jungle… Pourquoi tu n’achètes pas une tondeuse-robot ? » « Un petit week-end à Rome entre amis, ça te dit ? » « Quoi, tu n’as pas de smartphone ? Mais comment tu fais ? » « Tu devrais manger de la viande, tu vas avoir des carences » « Il serait temps de te racheter un nouveau pantalon, il est tout déchiré ! » « Pourquoi tu ne travailles pas à temps plein ? Tu pourrais gagner plus… »
Ces petites phrases illustrent la pression sociale qu’on peut subir lorsqu’on décide de moins consommer. En effet, notre société capitaliste, basée sur la croissance économique, est confrontée à une question cruciale : comment poursuivre cette croissance lorsque tous les besoins de la population (du moins, celles et ceux qui ont la chance de disposer d’un « pouvoir d’achat » suffisant) sont remplis ? D’après le sociologue Daniel Bell, deux inventions ont permis l’avènement de la société de consommation telle qu’on la connaît aujourd’hui : le crédit (renforçant le caractère immédiat des achats réalisés : plus besoin d’attendre d’avoir suffisamment économisé pour s’offrir une belle voiture ou la dernière télévision high tech !) et la publicité (générant artificiellement de nouveaux besoins, et donc de la surconsommation). On pourrait en ajouter une troisième, plus récente : l’e-commerce, qui renforce encore l’immédiateté et le caractère impulsif des achats. Même plus besoin de se rendre en magasin, on peut acheter à toute heure et en quelques clics un objet se trouvant à l’autre bout de la Terre ! Et tant pis si cette pratique contribue au dérèglement climatique et génère des quantités monstrueuses de déchets…
La publicité, une entrave à la liberté
Comme l’explique mon collègue Alain Geerts dans son étude sur le sujet, la publicité est conçue pour nous donner envie d’acquérir des objets dont nous n’avons pas réellement besoin. Elle véhicule et amplifie toute une série de stéréotypes qui renforcent les inégalités (en particulier la domination sociale des plus riches sur les plus pauvres), avec la possession matérielle comme marqueur de réussite sociale (consommation ostentatoire) et vecteur d’expression de soi. Comme le dit la sociologue Valérie Sacriste, « la publicité n’est pas une seule et simple information économique, assurant un unique lien fonctionnel mais aussi un miroir social, exerçant une fonction normative en tant qu’elle est un lieu d’exposition du monde, des cultures, des modes de vie, des statuts, des pôles, des stéréotypes, des façons de penser et de se comporter ». Pour séduire, elle s’inspire de représentations sociales et stéréotypes existants, qu’elle entretient, renforce et utilise en les associant aux produits qu’elle promeut pour susciter l’envie d’acheter. En retour, les messages véhiculés par la publicité ont été petit à petit intégrés dans nos normes sociales et culturelles.
La représentation de la voiture dans l’imaginaire collectif en est une bonne illustration. Si la voiture est au départ un simple outil de mobilité permettant de se déplacer d’un point A à un point B, les représentations qu’elle véhicule sont multiples, pouvant être à la fois considérée comme vectrice de liberté, objet esthétique, génératrice de sensations, moyen d’expression de soi, source de puissance, objet de passion, ou encore révélatrice d’un statut social. Les publicités automobiles font appel à ces différentes représentations et poussent ainsi à l’achat de voitures toujours plus lourdes, puissantes et polluantes, à l’opposé du concept de Lisa Car (Light and Safe Car) prôné par Canopea pour réduire l’impact environnemental de ce moyen de transport et le danger qu’il représente pour les usagers faibles. On le voit, contrairement à cette représentation de liberté que l’industrie automobile associe à la voiture, le choix d’une voiture… n’est pas libre, puisqu’il est fortement influencé par la publicité.
La fast fashion en est un autre exemple. Les marques pratiquant la fast fashion renouvellent leurs collections très rapidement, parfois jusqu’à 36 fois par an ! Si elles parviennent à inonder le marché d’une telle quantité de vêtements, ce n’est que grâce à un énorme effort publicitaire, qui vise en quelque sorte l’obsolescence programmée de notre garde-robe : après quelques mois, voire quelques semaines, un vêtement acheté neuf n’est déjà plus « tendance ». Résultat : 470 000 tonnes de textiles sont jetées chaque année en Europe !
La pub est partout : dans les médias, sur les réseaux sociaux, dans nos boites mail… et même dans l’espace public ! Bien sûr, nous pouvons choisir de ne pas regarder la télévision ou de zapper les pubs, installer un bloqueur de pub sur notre navigateur internet et filtrer les spams sur notre boite mail. Mais à moins de rester cloîtré chez soi, il est impossible d’échapper au matraquage publicitaire dans l’espace public ! Cette pollution visuelle est omniprésente : dans les rues, dans les gares, aux arrêts de bus,… Où est notre liberté face à ces injonctions à la consommation, qui poussent de nombreuses personnes à consommer des aliments nocifs pour leur santé, ou à s’endetter lourdement pour acheter un gros SUV alors qu’elles habitent en ville ? La vraie liberté ne serait-elle pas de pouvoir échapper à cette influence néfaste, pour faire des choix de (non-)consommation plus adaptés à nos besoins réels et à notre situation personnelle ?
Quand les pouvoirs publics s’en mêlent…
La publicité n’est pas seulement tolérée, elle est même soutenue par les pouvoirs publics qui concluent des contrats avec des entreprises publicitaires. Ainsi, la ville de Namur et la Région Bruxelloise mettent des emplacements publicitaires à disposition de la société JCDecaux en échange d’un service de vélos partagés. Une manière astucieuse de faire financer un service public par une entreprise privée… au prix de la dégradation du cadre de vie. Des pétitions circulent actuellement à Namur et à Bruxelles pour réclamer la fin de ces contrats publicitaires et la suppression de la publicité dans l’espace public : n’hésitez pas à les signer !
La Région Wallonne va même jusqu’à financer directement un événement servant de vitrine à l’industrie automobile, en épongeant régulièrement les dettes du Grand Prix de Spa-Francorchamps qui peine à atteindre la rentabilité. En effet, sous couvert d’événement « sportif » (on peut s’interroger sur la pertinence de cette appellation alors que toute la puissance déployée provient du moteur d’une voiture et non des muscles des « coureurs »), il s’agit d’une véritable ode aux voitures puissantes, qui sert de vitrine aux marques automobiles les plus prestigieuses.
Mais il y a pire, lorsque nos décideurs politiques obligent pratiquement les citoyens et citoyennes à consommer, sous peine d’être privés de certains services. C’est le cas avec le développement du numérique, largement encouragé et subventionné par les pouvoirs publics (550 millions d’euros dépensés par la Région Wallonne sur la période 2021-2024 !). L’Europe a établi une stratégie numérique, avec notamment pour objectif le développement généralisé de la 5G, la digitalisation des services publics et l’utilisation croissante des différents outils numériques par les entreprises, les citoyens et citoyennes.
Sur base de cette stratégie européenne, la Wallonie a établi sa propre stratégie, baptisée « Digital Wallonia ». Cette transition vers le « tout numérique » induit un risque de discrimination et d’exclusion pour les personnes qui n’utilisent pas les outils numériques, et cela se reflète dans différents services publics. Par exemple, Test Achats a récemment dénoncé les tarifs discriminatoires de la SNCB, qui propose pour certains billets de train des tarifs plus chers s’ils sont achetés aux guichets ou aux automates que via l’application en ligne.
Le gouvernement wallon est bien conscient de ces problèmes liés à la « fracture numérique ». Dans sa Déclaration de Politique Régionale, il indique vouloir « déployer une politique permettant de garantir aux citoyens en situation d’exclusion digitale un moyen d’accéder et d’utiliser les outils numériques, cela permettant à terme, de faire de l’accès au numérique une réalité », notamment par la formation et la mise à disposition d’équipements à prix réduits. Il part donc du principe que si une personne n’utilise pas les outils numériques, c’est soit par manque de compétence soit par manque de moyens financiers. Le fait qu’une personne puisse décider, par exemple pour des raisons éthiques ou environnementales, de refuser d’utiliser ces outils même si elle en a les capacités n’est absolument pas pris en compte. Une fois encore, notre liberté de choix se trouve bafouée.
Conclusion
On l’a vu, dans une société qui nous pousse à la surconsommation, la plupart de nos choix ne sont pas libres. Mais si nous en prenons conscience, nous pouvons nous réapproprier notre liberté de consommer… ou de ne pas consommer ! Par exemple, en appliquant la méthode BISOU qui permet de nous poser les bonnes questions avant d’acheter, en boycottant les produits qui entrent en contradiction avec nos valeurs, en privilégiant les achats en seconde main, etc. N’oublions pas que chaque choix de consommation peut aussi être un choix politique !
Vous souhaitez aiguiser votre esprit critique face à la publicité et retrouver votre liberté d’usage (ou de non-usage) des outils numériques ? Inscrivez-vous à nos ateliers « Désintox numérique » et « Déconstruisons la publicité » !
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