La Commission européenne a présenté hier son nouveau Livre Blanc sur les transports à l’horizon 2050. Occasion historique de réorienter LE secteur dont les émissions de gaz à effet de serre augmentent de la façon la plus préoccupante (un tiers d’émissions en plus depuis 1990), ce document, très attendu, mérite une lecture attentive et une analyse approfondie. Quelques lignes de force (ou de faiblesse…).
D’emblée, les espoirs de voir la situation s’améliorer rapidement sont largement déçus. Dès le titre, la hiérarchisation des priorités est donnée : « Feuille de route pour un espace européen unique des transports – Vers un système de transport compétitif et économe en ressources ». Il s’agit ainsi, avant tout, d’assurer « la mise en place d’un secteur des transports compétitif qui permette une plus grande mobilité » , comme le souligne Siim Kallas, vice-président de la Commission en charge des transports. Et de poursuivre, sans rire, « L’idée, largement répandue, que la lutte contre le changement climatique impose de réduire les déplacements est tout simplement fausse. (…) Freiner la mobilité n’est pas une option, pas plus que le statu quo » . C’est seulement dans ce cadre d’une mobilité libérée de toute entrave que peuvent être envisagées la lutte contre les dérèglements climatiques et la réduction des émissions polluantes.
Du bon et du mauvais
Il est positif que l’Europe se dote d’un objectif chiffré : 60% de réduction des émissions de gaz à effet de serre liées au transport pour 2050 par rapport au niveau de 1990. Même si cet objectif est en-deçà de celui promu par les scénarios 100% renouvelable en 2050[voir, notamment, le [scénario de l’EREC au niveau européen et celui du WWF au niveau mondial.]] , il peut être salué quand on connaît la difficulté à réduire les émissions du secteur. Mais comment y arriver en pratique ? Le document avance certaines mesures qui méritent d’être soulignées, même si elles sont on ne peut plus «classiques» : report de plus de 50% du transport routier de passagers et de marchandises sur le train et la navigation et réduction des émissions liées au transport maritime.
La Commission estime par ailleurs que les tarifs et les taxes doivent être restructurés afin de progresser vers la pleine application des principes du pollueur payeur et de l’utilisateur payeur de manière à parvenir à des prix qui reflètent les coûts et à éviter les distorsions. C’est une avancée par rapport à la situation actuelle, où les coûts externes sont généralement loin d’être couverts par les contributions des usagers, mais cela invite à une mise en garde : l’objectif d’une taxation n’est pas de couvrir les coûts d’un secteur, il est plus fondamentalement d’orienter les comportements et de financer les politiques structurellement non rentables mais à haute valeur sociétale, comme les services publics, notamment. Pour prendre un exemple concret, comment favoriser le train par rapport à l’avion, si ce n’est par l’introduction d’une « distorsion » en faveur du premier ?
Certaines mesures a priori sympathiques, comme la disparition progressive des véhicules à carburant traditionnel dans les villes, s’avèrent discutables : pourquoi baser une politique sur une technologie particulière plutôt que sur les émissions incriminées ? On pourrait tout à fait imaginer de grosses voitures hybrides qui émettent plus que de petits véhicules thermiques. Des plafonds contraignants d’émissions seraient plus pertinents. De plus, le débat sur le développement des véhicules électriques montre qu’il importe de prendre en compte le cycle de vie complet des véhicules pour établir un bilan environnemental cohérent.
Cependant, la contradiction entre recommandations pratiques et objectifs environnementaux devient manifeste lorsque le Livre Blanc affirme que « la capacité des aéroports doit être développée pour faire face à la demande croissante de déplacements (…) qui pourrait multiplier au moins par deux les activités de transport aérien de l’UE d’ici à 2050 » .
Tabous et priorités
Au vu des enjeux environnementaux et énergétiques, il est regrettable que le Livre Blanc évite délibérément d’envisager tout scénario de réduction de la demande de transport, pour se cantonner à la promotion du report modal et de l’amélioration des performance énergétiques des véhicules, en faisant la part belle aux innovations technologiques.
En partant sur de telles bases, l’issue semble entendue : l’objectif d’augmenter la mobilité sera atteint, mais pas celui de réduire de manière importante les émissions de gaz à effet de serre. C’est exactement ce qu’on a observé ces dernières années : l’amélioration des performances environnementales des véhicules est bien réelle, mais plus lente que l’augmentation du trafic. Ainsi, depuis 1990, les émissions moyennes des voitures neuves vendues en Belgique ont diminué d’environ 30%[en valeur nominale : il s’agit de progrès réels principalement, mais aussi d’une meilleure maîtrise des cycles de tests par les constructeurs.]]. Dans le même temps, le nombre de kilomètres parcourus sur nos routes a augmenté de 40%. Il en résulte une augmentation importante des émissions de gaz à effet de serre pour le secteur des transports. C’est ce qu’on appelle [l’effet rebond.
Quelles conclusions tirer de ceci ? Que la maîtrise de la demande de transport est la première priorité d’une politique de mobilité qui se veut durable. C’est une condition sine qua non : si l’on ne pose aucune limite aux déplacements effectués, toute autre mesure diminuant la consommation, et donc le coût, risque fort d’être compensée par un effet rebond.
Postuler que la croissance de la mobilité est nécessaire, c’est confondre les fins et les moyens. La finalité d’un transport est d’accéder aux biens, aux lieux, aux services… La mobilité, mesurée par le nombre de kilomètres parcourus par unité de temps, est l’indicateur sur lequel se base la majorité des politiques de transport. Pourtant, de nombreux analystes[Adams J., The social implications of hypermoblity, OECD 2000.]] estiment que l’accessibilité, mesurée par le nombre de lieux, de biens, de services auxquels ont peut accéder par unité de temps, est un indicateur plus pertinent. On le voit, une bonne accessibilité n’est pas forcément liée à un nombre élevé de kilomètres parcourus. Au contraire, la proximité des lieux, biens et services est la meilleure garantie d’une bonne accessibilité. Ainsi, [une politique d’aménagement du territoire favorisant la densité et la mixité des fonctions est un des outils les plus puissants pour réduire la demande de transport. On peut regretter que le Livre Blanc se contente d’évoquer cet outil une fois seulement, et dans le cadre bien précis des déplacements de personnes en milieu urbain.
Au niveau du transport de marchandises, inutile de préciser que la production et la consommation locales – concepts avec lesquels l’idéologie européenne dominante est totalement incompatible – ne sont pas mentionnées. La dynamisation de l’économie locale permettrait pourtant d’augmenter notre capacité à encaisser la future hausse du prix des transports et des matières premières, tout en diminuant notre impact environnemental. C’est ce qu’ont bien compris les initiateurs du mouvement des villes en transition.
Ce qui est visé dans le Livre Blanc, c’est avant tout l’extension du marché et des volumes transportés, y compris au niveau international, la réponse aux défis environnementaux se limitant à ce qui est compatible avec cette priorité. Ainsi, pour la Commission, « l’ouverture des marchés de pays tiers en ce qui concerne les services, les produits et les investissements dans le domaine des transports reste une priorité essentielle ». Sans faire grand cas du principe de souveraineté, ni des concessions mutuelles propres à toute négociation, elle souhaite « étendre à nos voisins immédiats notre politique en matière de transports et d’infrastructures, afin d’améliorer l’interconnexion des infrastructures et l’intégration du marché ».
Nos enfants feront les vrais efforts
Au vu des priorités mises en avant dans le Livre Blanc, rien d’étonnant à ce que les objectifs de réduction des émissions soient principalement reportés au-delà de l’année 2030. Il est regrettable que l’objectif de réduction de 60% des émissions liées au transport à l’horizon 2050 ne soit pas assorti de mesures crédibles et immédiates. Comme l’indique Jos Dings, directeur de l’ONG Transport & Environment, « la Commission vise seulement une réduction des émissions de 1% par an jusqu’en 2030 et, ensuite, s’attend à ce qu’elles diminuent comme par magie de 5% par an pour atteindre l’objectif en 2050. C’est fantaisiste. Nous avons besoin d’un plan d’actions réaliste pour répondre au double défi du changement climatique et de la dépendance énergétique ; plus vite nous agissons, meilleures sont nos chances de succès » .
Extrait de nIEWs 91, (31 mars – 14 avril 2011),
la Lettre d’information de la Fédération.
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