Le 21 mars 2023, la Wallonie se dotait d’un plan d’action pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 55% en 2030 (par rapport à l’année de référence 1990). Aboutissement d’un long processus au cours duquel la rationalité scientifique semble avoir été quelque peu malmenée par les considérations politico-stratégiques, le Plan Air Climat Energie 2030 (PACE pour les intimes) est, selon l’analyse de Canopea, insuffisant pour atteindre les objectifs déclarés. Ceci est particulièrement criant en ce qui concerne la mobilité.
Paru récemment, le dernier rapport de synthèse du GIEC a pétrifié d’angoisse certaines des personnes qui ont pris la peine de le lire. Dans son style imagé et engagé, Monsieur Antonio Gutteres, secrétaire général des Nations Unies, l’a qualifié de « guide de survie pour l’humanité ». Des scientifiques, exténué.e.s de s’investir corps et âme dans des travaux de recherche ignorés des décideurs, décident de se lancer dans l’action directe, comme le 24 mars à Louvain-la-Neuve. Et pendant ce temps-là …
… Le Gouvernement wallon adopte un plan d’action qui, pour l’exprimer dans un langage policé, ne pèche pas par excès d’ambition. Ou, pour le dire de manière plus claire, semble avoir été négocié dans le but premier de « montrer que l’on fait quelque chose » tout en évitant soigneusement de fâcher trop de monde.
La proposition initiale du Ministre wallon du Climat, déposée en septembre 2022, était prometteuse. Canopea s’en était réjouie, espérant que les Ministres améliorent la proposition, notamment en y incluant les mesures disruptives qu’il est aujourd’hui urgentissime de mettre en œuvre. C’est hélas tout le contraire qui s’est produit. Ce qu’illustrent parfaitement les (non)mesures du chapitre mobilité.
Une dynamique inadaptée
Le lièvre et la tortue, fable de Jean de la Fontaine, débute par cette affirmation que les procrastinateurs s’entendent souvent rappeler : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point ». Mais quand on a vraiment beaucoup tardé à partir, courir devient une nécessité si l’on veut avoir une petite chance d’arriver pas trop en retard. Hélas, non contente d’avoir snobé le signal du starter (les alertes de la communauté scientifique), l’humanité (la Wallonie et son PACE ne font pas exception) avance à contre-cœur sur le chemin de la transition écologique, en traînant les pieds, en faisant de nombreuses poses, en pratiquant la technique du « trois pas en avant, un pas en arrière ». Quand ce n’est pas un en avant et trois en arrière, comme lorsqu’on couvre de panneaux solaires une extension d’aéroport…
L’horizon de temps du PACE est 2030. 7 ans seulement nous en séparent. Les objectifs déclarés (55% de réduction des émissions de GES sur la période 1990-2030), conformes tant à la DPR de 2019 qu’à la stratégie européenne « Fit for 55 » sont certes « ambitieux ». Mais ils sont surtout et avant tout imposés par l’urgence climatique découlant de décennies d’inaction. Atteindre ces objectifs est indispensable pour conserver une planète garantissant des conditions de vie décentes pour l’ensemble de l’espèce humaine. Exprimé en ces termes, cela peut paraître « grandiloquent » ; c’est, hélas, la triste réalité.
Le secteur des transports représente 22% des émissions de GES de la Wallonie et 37% des émissions des secteurs non-ETS. Ce secteur n’a pas, à ce jour, réalisé de réductions d’émissions conformes aux trajectoires visées. On a enregistré 8% de réduction sur la période 2005-2019. Et 43% sont nécessaires, selon le PACE, sur la période 2005-2030. On a donc fait -8% en 14 ans. Il faut maintenant faire -35% en 7 ans. Soit un rythme près de 9 fois plus élevé… Ce qui ne peut raisonnablement s’envisager sans mesures de rupture. Nous ne pouvons y parvenir en conservant nos logiciels du vingtième siècle.
Dans la présentation des objectifs du PACE, les choses paraissent entendues. Il y est rappelé que si « Les améliorations et progrès technologiques (motorisation, carburants alternatifs, …) permettront de réduire de façon substantielle les émissions […] des mesures incitatives et/ou coercitives fortes seront également nécessaires pour favoriser l’évolution rapide du système de transport et les changements de comportement. »
Une stratégie ASI pas très A…
ASI : Avoid-Shift-Improve, soit éviter, transférer et améliorer. Cet acronyme anglophone est utilisé depuis des décennies par les experts des transports pour présenter la manière dont devraient être structurées les politiques publiques pour répondre à l’ensemble des incidences négatives (dont les émissions de gaz à effet de serre) des transports.
- Première priorité : éviter, c’est-à-dire limiter les déplacements des personnes et le transport des marchandises.
- Deuxième priorité : transférer, c’est-à-dire limiter le recours aux modes de déplacement les plus incidents et privilégier ceux qui le sont le moins. Ceci en respectant le principe STOP.
- Troisième et dernière priorité : améliorer, c’est-à-dire accroître l’efficacité énergétique des véhicules (ainsi que leur sécurité) et réduire leur empreinte écologique.
Les mesures du PACE sont structurées selon cette logique. En apparence du moins. Car des 25 mesures de la rubrique Avoid, 9 seulement relèvent bien du contrôle de la demande de transport. 12 trouveraient mieux leur place dans la rubrique Shift (dont le soutien aux initiatives publiques innovantes de transport collectif en zone rurale) et 4 dans Improve (dont la centralisation de la gestion des feux tricolores).
Les mesures proposées qui relèvent bien de l’Avoid, si elles sont nécessaires et si nous ne les remettons nullement en question, ne sont pas suffisantes pour décarboner la mobilité « à marche forcée » (ce qu’impose aujourd’hui le défi climatique). Sans vouloir nous montrer trop critiques, « Consacrer dans le CoDT l’objectif d’assurer un développement durable et attractif du territoire dans le respect de l’optimisation spatiale », cela ne sonne-t-il pas un peu creux ? « Localiser au maximum les bâtiments à construire dans les tissus bâtis existants (urbains, ruraux ou périurbains) situés dans les centralités urbaines et rurales », cela n’a-t-il pas un petit air de déclaration d’intention dont rien ne garantit une application (ce qu’on pourrait pourtant attendre d’un « plan ») ?
A la recherche des mesures perdues
De nombreuses mesures issues de la Stratégie régionale de mobilité (SRM) n’ont pas été reprises dans le PACE 2030, bien que celles-ci n’aient pas encore été mises en place. On constate aussi que, par rapport aux propositions du panel citoyen climat rendues publiques en mars 2022, certaines mesures ont été affaiblies, voire supprimées du document. C’est symptomatiquement le cas de la réduction des vitesses sur le réseau routier. Il s’agit d’une mesure qui est déjà appliquée à des degrés divers aux Pays-Bas, en France et en Flandre. Une des rares mesures qui coûte très peu (voire même rapporte vu la baisse de consommation), qui est efficace directement et qui produit des effets collatéraux bénéfiques sur le plan de la sécurité routière. Elle a été rangée au placard en Wallonie. Le tabou de la vitesse automobile est symptomatique des travers de notre société : on continue à mettre en péril l’avenir de nos enfants (et leur sécurité au quotidien) pour gagner quelques minutes…
Un bouchon poussé un peu loin…
Inciter à l’achat de véhicules moins polluants par le biais de la fiscalité automobile : il s’agit d’une des recommandations de longue date de Canopea (notre premier dossier consacré à ce thème remonte à 2009…). C’était aussi une des mesures-phares de la DPR du Gouvernement en exercice qui s’était engagé en ces termes en 2019 : « Les taxes de circulation et de mise en circulation seront revues, à fiscalité globale inchangée, pour les moduler en fonction des émissions de CO2 et de la masse / puissance. L’objectif est notamment d’encourager des voitures moins puissantes et moins lourdes et dès lors moins polluantes. » A un an des prochaines élections, la chance de voir cette mesure mise en œuvre frise le zéro absolu. Ce que confirme en creux la mesure 554 du PACE 2030, libellée en ces termes : « Etudier les évolutions possibles de la fiscalité automobile à long terme afin de garantir dans la durée son caractère juste et incitatif à l’achat de véhicules moins polluants. » Etudier les évolutions possibles à long terme… ouuuuh, que cela est ambitieux ! Mais là où le Gouvernement pousse le bouchon plus loin que bien trop loin, c’est en qualifiant cette mesure de « Nouvelle »… Les études ont été faites et refaites avec beaucoup de compétence par des experts universitaires lors de la législature précédente et de celle en cours (voir nos commentaires). Canopea a également contribué à enrichir la réflexion politique avec de nombreuses études en la matière. Citons l’analyse des effets du prélèvement kilométrique en Suisse. Ou encore la récente mise à jour du benchmarking des pratiques fiscales en Europe. Et le Gouvernement envisage d’étudier les évolutions possibles à long terme, présentant cela comme une nouveauté…
Rapports du GIEC, discours du Secrétaire Général des Nations Unies et alertes des scientifiques d’une part, PACE 2030 d’autre part… Entre les deux, un fossé, un gouffre, une fosse des Mariannes… Pourrions-nous humblement demander au Gouvernement wallon de revoir sa copie ?
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