La mobilité wallonne en 2016 : beaucoup d’infrastructures, bientôt du souffle ?

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:Mobilité
  • Temps de lecture :10 min de lecture
You are currently viewing La mobilité wallonne en 2016 : beaucoup d’infrastructures, bientôt du souffle ?

Qui dit fin d’année dit bonnes résolutions pour l’an neuf, projets divers et parfois même, estimation du budget familial pour réaliser ces idées fraîches. La famille Wallonie n’échappant pas à la règle, nos ministres se sont prêtés en novembre dernier, comme leur impose le nouveau règlement du Parlement wallon, à un exercice prospectif, devant leurs commissions respectives, note de politique générale dans une main, budget associé dans l’autre. D’autant qu’ils se sont collectivement engagés, rappelons-le, à mettre en œuvre la Déclaration de politique régionale (DPR) valable pour toute la législature 2014-2019.

La répartition des compétences wallonnes en matière de mobilité ne facilite pas une approche globale et intégrée des différentes politiques publiques en la matière. En effet, faut-il le rappeler, alors que le Ministre Carlo Di Antonio est notamment chargé de définir la politique wallonne de mobilité, de rédiger et d’assurer le suivi des Contrats de gestion avec les TEC (et d’allouer les dotations d’exploitation associées), de développer la marche à pied, le covoiturage et le vélo, de mettre en place une politique aéroportuaire, son collègue, le Ministre Maxime Prévot possède les leviers infrastructurels (autoroutes, routes, Ravel, voies navigables + « voix wallonne » en matière de rail, compétence fédérale) qui viendront soutenir (ou non) la politique de mobilité. Autant dire qu’une entente et une coordination sérieuse sont nécessaires entre les deux ministres.

Quels sont les projets dans les tiroirs pour cette année 2016 ?

Le tableau ci-dessous en présente les lignes principales, par mode de transport et par ministre compétent. (Si vous souhaitez le consulter de manière plus lisible dans un fichier excel, cliquez ici ou dans un fichier pdf, cliquez ici)

tableauceline.jpg
Tableau 1 : Synthèse des principaux projets prévus en 2016 en matière de mobilité par les Ministres Di Antonio et Prévot (Sources : Notes de politiques générales des Ministres Di Antonio et Prévot + débats parlementaires associés. Réalisation : IEW).

Que retenir de ces orientations ?

 Le prélèvement kilométrique pour poids lourds, dont l’entrée en vigueur est programmée au 1er avril 2016, aura pour conséquence de gonfler le réseau dit « structurant » entrant dans le giron de la SOFICO de 800 km (pour un total de 2.300 km), la SOFICO voyant dès lors ses budgets augmenter de façon considérable et son équilibre budgétaire amélioré. On n’entend plus guère parler, cependant, de l’utilisation d’une partie (de l’ordre de 25%) des recettes du prélèvement kilométrique pour le développement des transports en commun, ce qui est regrettable.

 Du côté des bus, d’ailleurs, notons qu’aucune augmentation tarifaire n’est planifiée au niveau du groupe TEC et que la dotation d’exploitation attribuée au groupe est globalement stable, ce qui est appréciable par les temps qui courent. Les contrats de service public, en cours de renégociation, devront venir confirmer cette tendance. On reste par contre sur sa faim en ce qui concerne la politique de transports en commun qui semble se concentrer sur de l’organisationnel (étude d’une possible fusion des TEC) ou des projets très locaux (liaison Charleroi-Bultia), le projet de tram de Liège étant en attente d’un troisième avis d’Eurostat. Le travail en cours au sein du groupe TEC sur le développement de l’offre à long terme devrait, s’il est soutenu politiquement, idéalement aider à trouver ce souffle, bien nécessaire.

 Ce souffle, celui d’une politique de mobilité intégrée et pensée en cohérence avec les objectifs environnementaux (rappelons que le secteur du transport est responsable de près d’un quart des émissions totales de CO2 et est en augmentation alarmante !) ne viendra sans doute pas du Plan régional de mobilité durable (PRMD), rebaptisé pour l’occasion Schéma régional de mobilité (SRM), dont la cohérence avec le nouveau Schéma de Développement Territorial (SDT, ex-SDER) sera fort heureusement travaillée dès le début de l’année 2016. Car le caractère purement indicatif du document et la seule prise d’acte prévue par le Gouvernement laissent entendre que celui-ci ne sera pas le plan d’action ambitieux et solide que réclament depuis longtemps les représentants de la société civile. Mais nous demandons à voir, bien entendu !

 Compétence fédérale, le rail wallon se limitera de facto, en 2016, à la « défense de ses intérêts » au sein de la cellule d’investissements du groupe SNCB, où deux représentants de la région sont désormais désignés, ainsi qu’au travail d’analyse fine élaboré par l’administration wallonne (cellule ferroviaire de la DGO2) concernant le Plan Transport (en vue de sa révision en 2017) ou le fret. Les priorités wallonnes en matière de rail demeurent, on le suppose, les mêmes que lors de la rédaction du Plan pluriannuel d’investissements 2013-2025, car le Ministre n’en dit rien. On ose par ailleurs espérer qu’un jour, la région prendra conscience qu’elle a dans ses mains une ressource stratégique encore insuffisamment exploitée : les quartiers de gares, qui demeurent à ce stade bien trop dédaignés du pouvoir wallon.

 Le vélo se voit nourri de nombreux projets d’infrastructure, dans une orientation très « chaînons manquants », tant pour le RAVeL lui-même (+300 km) que pour relier celui-ci aux pôles d’activités et aux zones d’habitat (l’ambition restant à définir pour ce second volet), ce dont on se réjouit. On peut toutefois regretter que les infrastructures cyclables soient déconnectées du « Plan infrastructures » qui fait la fierté du Ministre Prévot. Aucune mention n’est faite à ce stade sur la nécessité de développer des parkings sécurisés pour les vélos autour des pôles d’activités majeurs. Notons enfin que le budget du Plan Wallonie cyclable reste nébuleux (le soutien aux villes pilotes Wallonie cyclable s’éteint et se crée un nouvel article budgétaire au libellé flou « Dépenses de toute nature »), il conviendra d’y être attentif.

 Le covoiturage, cheval de bataille du cdH depuis les dernières élections, devrait tenir ses promesses pour une première phase pilote en matière de bandes d’arrêt d’urgence réservées. Espérons que celle-ci porte rapidement ses fruits pour envoyer un signal symbolique (et pragmatique !) fort aux usagers de la route !

 Grandes absentes des notes de politique générales des deux Ministres, l’intermodalité et la multimodalité, ne sont pas évoquées une seule fois…

 Les grands gagnants des orientations budgétaires en matière de mobilité sont bel et bien les routes et autoroutes, sous leurs différentes dimensions. Ainsi, en cumulant le Plan Infrastructures (320 mio € pour la période 2016-2019, dont une première tranche de 135 mio d’€ en 2016) et les budgets ordinaires (hors entretien courant) de la DGO1 et de la DGO2, on obtient, en 2016, un budget de 270 mio € attribués aux routes. Dans les cartons du Ministre Prévot, avant tout un indispensable volet de réhabilitation des axes routiers régionaux et des traversées d’agglomération (notons une augmentation de 93% du budget, par rapport au budget initial 2015, pour le réseau dit « non structurant »). Mais aussi, nettement moins appréciable, la poursuite d’un rêve d’un autre âge : celui des « Routes de l’Emploi » qui, selon le mythe des effets structurants du transport[[Mythe pourtant maintes fois démonté par le monde scientifique. Voir notamment, déjà en 1993 (!) les travaux de J.M. Offner, « Les effets structurants du transport : mythe politique, mystification scientifique », L’Espace géographique, 1993, vol. 22, n°3, pp. 233-242 : http://www.persee.fr/doc/spgeo_0046-2497_1993_num_22_3_3209]] , viendrait développer l’attractivité économique de notre région. Au vu du passif wallon, on ne peut que s’étonner des retombées économiques insuffisantes d’un réseau routier aussi dense que le nôtre ! Notons aussi que ces Routes de l’Emploi commenceront à impacter le budget régional en 2017 (liquidation).

 Enfin, alors que la nécessité de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre vient d’être reconnue par l’ensemble de la communauté humaine à la COP21 de Paris, le transport aérien (mode émettant le plus de CO2 par unité transportée) continue de jouir du soutien du Gouvernement : les budgets du mode aérien continuent de s’envoler (près de 6 mio € supplémentaires en crédits d’engagements en 2016). Seule fleur au chapeau du Ministre Di Antonio sur ce dossier : la mise au frigo (voire au congélateur) de la liaison ferroviaire vers l’aéroport de Gosselies au profit d’une bien plus raisonnable et réaliste amélioration de la liaison bus à haut niveau de service entre la gare de Charleroi-Sud et BSCA, permettra au moins d’éviter de grever les budgets ferroviaires par des projets grandiloquents dépourvus d’une quelconque pertinence.

Pour en savoir plus :

  Note de politique générale du Ministre Di Antonio.

 Note de politique générale du Ministre Prévot.

 Rapport de la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et des transports, sur le projet de décret contenant le budget général des dépenses de la Région wallonne pour l’année budgétaire 2016 : http://nautilus.parlement-wallon.be/Archives/2015_2016/BUDGET/bud42.pdf

 Rapport de la Commission des travaux publics, de l’action sociale et de la santé sur le projet de décret contenant le budget général des dépenses de la Région wallonne pour l’année budgétaire 2016 : http://nautilus.parlement-wallon.be/Archives/2015_2016/BUDGET/bud51.pdf

Céline Tellier

Anciennement: Secrétaire générale et Directrice politique