Le silence était l’élément le plus impressionnant des forêts hivernales de mon enfance. J’ai aujourd’hui la tristesse de vous annoncer sa disparition… Allez vous asseoir dans le cœur des grands massifs forestiers les plus reculés de Wallonie et concentrez vous sur un seul sens: l’ouïe. Attendez, écoutez. J’ai fait l’expérience pour vous, dans les bois qui surplombent Stavelot, la ville ou j’ai grandi, les plus éloignés d’une route que l’on puisse trouver dans notre région. Et le constat est clair. En journée, en plein cœur de l’hiver, le silence est mort en Wallonie.
Pour celui qui tend l’oreille, différents bruits liés à l’activité de l’homme jaillissent de manière sporadique dans nos forêts et ont progressivement remplacé le bourdonnement des insectes. Durant les beaux mois, il y a toujours un motard qui s’offre un shoot d’adrénaline sur la route de l’Amblève à quelques kilomètres de là, un ULM ou un avion de loisir qui fait des ronds dans le ciel pour se désennuyer un peu … L’Ardenne est devenue un terrain de loisir. Et faire du bruit reste un des meilleurs moyens de se divertir pour beaucoup d’entre nous.
Mais en ces journées d’hivers ou le plus hormoné des motards reste dans son salon, ou le brouillard ferment pour un temps les portent du ciel à tous les Icare du dimanche… Dans ces mois les plus sombres où la nature se tait dans l’attente de mois moins austères, et où on pourrait croire qu’un monde silencieux est possible… On découvre alors que nous vivons dans un bourdonnement permanent.
On l’entend rarement le reste du temps, par habitude peut-être, ou parce-qu’il est noyé dans les autres bruits de la vie. Mais quand le monde semble se taire, il vous saute au tympan et on finit par ne plus entendre que lui, continu, variant entre un franc bruit sourds et un léger souffle rauque. Ce dernier, c’est celui des avions qui par milliers nous passent à chaque instant au dessus de la tête.
La mort du silence est un dommage collatéral de l’explosion de l’aviation commerciale. Depuis ma naissance le nombre de passagers sur les vols commerciaux européens a été multiplié par 10. Le fret aérien, par 14. Dans ma classe de primaire, quelques camarades avaient pris l’avion. Dans celle de ma petite nièce de 8 ans, les enfants qui ne l’ont jamais pris sont rares… Une conséquence directe de ce développement est qu’en Europe de l’ouest en tout cas, il est devenu pratiquement impossible de ne pas avoir un avion qui passe au dessus de soi, à portée d’oreille. Il est donc devenu impossible de trouver un endroit (extérieur) où ne nous arrive pas le bruit d’une turbine ou d’un moteur…
Je ne vais pas vous dire ici que les voyages sont une mauvaise chose. Le fait que découvrir le monde ne soit plus l’unique apanage d’une classe hyper privilégiée est sans doute positif. Le but de ce petit post n’est pas non plus de s’étendre sur les impacts environnementaux de cette surconsommation de transport aérien et sur les milles et un disfonctionnement politiques et économiques qui la favorisent. Rien n’a changé depuis cet appel du réseau action climat qui date pourtant de quelques années. Mais marchant dans les champs de sapins, les mains dans les poches et sans doute le cœur un peu sombre, je ne pouvais m’empêcher de regretter un monde dans lequel, se retirer, juste pour quelques heures était possible.
En Wallonie (et probablement dans toute l’Europe de l’ouest) le silence s’est tu pour toujours. Rest in peace.