Il y a tellement de villes, de bourgs, de villages, qui sont à la recherche de liens humains. Dès lors pourquoi s’acharner à développer des projets immobiliers de construction à tout-va ? Comment peut-on prétendre valoriser les savoir-faire, économiser les ressources, si on détruit ce qui existe (maisons, jardins, cours, annexes, tout y passe) ? Comment peut-on prétendre vouloir préserver la biodiversité et le cadre de vie, si on impose des projets inutiles, hors d’échelle, garnis d’espaces de plein air que personne ne parvient à s’approprier ? Elles ont bon dos, la densité et la mixité, si c’est en leur nom que ces projets se font !
« Alors que les villes visionnaires déminéralisent et végétalisent leurs espaces, Namur reste définitivement ancrée dans cette philosophie du tout au béton et de l’artificialisation de son environnement naturel » dit le communiqué de presse publié par Ramur et le Collectif du Parc Léopold, ce lundi 25 janvier 2021, à propos du projet « Côté-Verre ».
« Namur ne construit pas la ville de demain
Mais réédite les erreurs d’hier. »
Le communiqué de presse dans son intégralité, ici : http://ramur.be/2021/01/24/projet-de-pru-quartier-leopold-de-besix-lanalyse-de-ramur/
Interviewés par François Louis pour la RTBf, deux conseillers communaux namurois, Thierry Warmoes (PTB) et Fabian Martin (PS), vont dans le même sens : « Le PTB, de son côté, n’accepte tout simplement pas la disparition du Square Léopold. Il faut bien entendu nettoyer le parc en profondeur et le réaménager avec, entre autres, des espaces de jeux pour les enfants et une fontaine, plaide le chef de groupe Thierry Warmoes. Le centre-ville manque cruellement de verdure, c’est pourquoi nous tenons à ce parc, et plus encore avec les étés chauds qui se succèdent.
PS et PTB, à l’unisson, dénoncent l’intention de Besix Red de construire sur le même site 10.000 m² de logements de standing, alors que Namur manque cruellement de logements à prix modéré, selon Thierry Warmoes. On se préoccupe d’abord des mieux nantis, ajoute Fabian Martin. Pourquoi ne pas envisager des logements publics dans un tel projet. Nous devons veiller à la mixité sociale dans les quartiers. » François Louis titre son article en citant Fabian Martin : « Square Léopold de Namur : « Le projet de Besix me fait penser aux paquebots qui défigurent Venise ». »
Dès le lendemain, le même journaliste relate la présentation par Besix Red de son projet de centre commercial mixte au conseil communal namurois. Annoncée en clôture de son précédent article, la présentation du 26 janvier 2021 ne laisse planer aucun doute sur le caractère privé des nouvelles constructions : « Ce lieu de vie ne sera toutefois pas accessible la nuit, après la fermeture des bars et des restaurants. Difficile donc de parler d’un nouveau quartier de la ville, même s’il en aura toutes les apparences durant la journée. » Le calendrier ? « Le planning du promoteur prévoit le début des travaux en 2023 et une ouverture de ce nouveau quartier commercial namurois en 2025. Soit 20 ans après le lancement du projet. Mais dans ce dossier à rebondissements, plus personne n’oserait parier sur un agenda. »
Cas d’école ?
Le Parc Léopold de Namur est un cas d’école. C’est un cas concret, désespérément concret.
Depuis 2007, le site est pressenti pour y implanter un vaste shopping center à l’américaine (ou à la n’importe quelle nationalité, il y en a partout dans le monde, de toute façon).
Les associations de défense de l’environnement et les comités de citoyens ont, dès le début, exprimé leur désapprobation et leur scepticisme. Les griefs à l’encontre du projet ont été à maintes reprises détaillés, lors de débats publics et dans des interviews avec la presse ; tous les arguments sont accessibles sur Internet, qui oublie rarement ce qu’on lui confie… Une consultation populaire a été organisée, et le « Non » l’a emporté.
A propos de l’équilibre commercial du centre de Namur, déjà fortement mis à mal par le contexte de pandémie, le communiqué de presse conjoint de Ramur et du Collectif du Parc Léopold évoque ce qui s’est déjà passé dans de nombreuses villes. « Déstructuration brutale et durable des commerces historiques de la vieille ville : le complexe est réalisé de sorte que le consommateur y trouve tout ce qu’il y cherche (…). La prétendue perméabilité du complexe est un leurre. L’objectif de revente rapide du complexe avec profit maximum par le promoteur passe inévitablement par le succès de fréquentation du site qui induira une concurrence importante pour le commerce existant et une accélération du problème de cellules vides. »
Le projet namurois de centre commercial mixte « Côté-Verre » est détaillé sur le site Architectura : un nouveau site d’information sur les projets d’architecture et de génie civil, soutenu par des dizaine de partenaires, parmi lesquels l’Union Wallonne des Architectes (UWA).
Beaucoup d’argent public a été englouti, notamment dans la réalisation d’un Plan d’Aménagement Communal Révisionnel, ou PCAR, en 2014. L’objectif du PCAR était de changer la destination de la zone. De « Zone de Service public et équipement communautaire », elle allait devenir « Zone d’Activités économiques mixtes ». Ce qui, en tirant un peu sur la définition communément admise de la « Zone d’Activités économiques mixtes », permettait de déposer une demande de permis unique pour un centre commercial. Le Conseil Wallon de L’environnement et du Développement Durable (CWEDD, devenu Pôle Environnement du CESE) avait rendu sur ce PCAR l’avis disponible ici.
Après avoir changé de mains plusieurs fois, le projet est aujourd’hui géré par Besix Red. Et comme Besix Red veut déposer un permis pour une série de fonctions non admises en Zone d’Activités économiques mixtes, comme du logement par exemple, eh bien, on passe à un autre type d’outil d’aménagement, le Périmètre de Remembrement Urbain, ou PRU. Ce PRU sera prochainement soumis à enquête publique. Avec le PRU, il faut à nouveau distendre un peu la définition de l’outil pour rejoindre la réalité du projet. Dans le cadre de la procédure de demande de remembrement urbain (PRU), une fois l’aval obtenu, le projet circonscrit dans ce PRU peut s’inscrire en faux par rapport au plan de secteur, à un autre plan ou à un schéma. Comme le résume François Louis, « Actuellement, la zone visée est affectée uniquement à la fonction de commerce. Les pouvoirs publics, en l’occurrence la Région wallonne, doivent donner leur feu vert pour accueillir aussi du logement à cet endroit. »
Mais quand on veut, on peut, et visiblement, Namur veut son centre commercial, à cet endroit-là. Alors que d’autres sites centraux conviendraient mieux, et que la ville n’a, fondamentalement, pas besoin d’un centre commercial.
Par contre, Namur a un criant besoin d’espaces à la fois verts ET ouverts. Des espaces verts blottis dans des îlots bâtis, la ville en a. Elle dispose même d’un autre parc, beaucoup plus luxuriant, beaucoup plus vaste : le Parc Louise-Marie ; mais il est hors du périmètre des petits trajets multiples du centre ville, et entouré d’une grille qui n’en facilite pas l’utilisation.
Le Parc Léopold est facile d’accès, bien situé, sans clôture. Un parc parfait… s’il était entretenu !
La nIEWs « La place de la nature en ville et au parc Léopold de Namur » énumère les qualités du Parc Léopold. Parmi ces aménités, une série d’ormes centenaires, plantés après la démolition de la muraille des fortifications basses de Namur. Pratiquement tous les ormes d’Europe ont succombé à la graphiose dans les années 1970. Ceux du parc sont des survivants ! Leur ramure est impressionnante. Si on les abat, on détruit non seulement des puits de carbone, on détruit des biens communs, on détruit des témoins uniques. Peut-être que le centre commercial ne se soucie pas des témoins uniques et des biens communs, peut-être ignore-t-il les aménités que peuvent procurer les grands arbres anciens et toute la biodiversité qui va avec.
Mais une chose est sûre : il se tracasse beaucoup de son empreinte carbone et il veut faire bonne figure sur ce plan-là. Encore une fois, il a exactement ce dont il a besoin, et il veut le faire disparaître. Les arbres du parc lui procureraient pourtant un excellent crédit carbone.
Quitte à vraiment devoir mettre là un centre commercial, pourquoi ne pas prendre moins de place ? Démolir-reconstruire la gare des bus + parking, se limiter à cette enveloppe pour y disposer les m² de commerces et de logements sur plusieurs étages, et ainsi préserver le parc dans son intégralité. Le parc sera un fameux atout si le centre commercial veut se distinguer commercialement et afficher une empreinte carbone enviable.
Pédagogie ou boulimie ?
A quoi rime cette manie de vouloir toujours plus de m², alors que la Wallonie affiche un nombre effarant de cellules commerciales vides, jusque y-compris dans les centres commerciaux ? Le dossier « Centre commerciaux. Mode d’emploi » d’IEW dénonçait la danse de séduction où se laissent prendre les édiles : « Vous avez besoin d’un nouveau lieu », « Vous avez besoin d’un très grand projet », « Je vais vous offrir ce dont vous avez besoin ». « Je suis la modernité ».
C’est en cela que le Parc Léopold de Namur est un cas d’école. Verviers avec « Rives de Vesdre », Estaimpuis avec le Cora, Louvain-la-Neuve avec l’Esplanade, ont vécu et vivent encore les mêmes difficultés ; à Bruxelles, le « Néo » du Heysel veut purement et simplement faire son nid à l’emplacement du Stade Roi Baudouin, rien que ça. A Gonesse, en Ile-de-France, c’est le projet Europacity, un mammouth à propos duquel un excellent documentaire est sorti récemment, « Douce France », de Geoffrey Couanon, où des lycéens passent de l’indolence à une réelle prise de conscience politique en menant leur enquête sur l’agriculture et les dernières terres cultivées face à la mécanique immobilière.
La boulimie de m² ne concerne pas que les centres commerciaux.
Actuellement, la mode est à la construction d’immeubles à appartements et de résidences-services. Le logement a le vent en poupe. Il est présenté comme un achat de type investissement. Ce qui veut dire qu’on construit, construit, construit. Ça trouvera toujours bien preneur. Et puisque la tendance est au retour vers les centralités, on impose son projet de logements là où il y a déjà des constructions, des habitants, une vie de quartier. Comme il n’y a pas beaucoup de place, on casse. Tout ce qui gêne est gentiment raccompagné vers la sortie ou vers le divan, à grand renfort de « Vous n’avez pas bien compris, nous n’avons pas été assez pédagogiques ».
IEW reçoit quotidiennement des alertes émises par des citoyens et des associations, à propos de situations similaires. Je vous cite un mail anonymisé :
J’habite à x, une ville qui « bétonne » à tout va ! Les lotissements, projets de lotissements et autres constructions du même type foisonnent… Une vraie champignonnière, cela pousse dans tous les coins à un rythme soutenu.
Il n’y a pas un seul jour sans que la presse régionale ne dévoile une nouvelle réalisation avec des dizaines d’appartements à la clef…
La plupart de ces lotissements sont prévus en périphérie immédiate de x et « bouffent » ce qui reste d’espaces verts. C’est révoltant.
La ville encourage (et ne s’en cache pas) les promoteurs à venir construire. Il existe au sein du service urbanisme de la ville une cellule dite « investisseurs » chargée de stimuler et d’aider les promoteurs à monter leur dossier…
Un parc communal ?
Personne ne demande de faire du Parc Léopold un parc national !
Mais un parc communal, pourquoi pas ? Il l’est, dans les faits. Il ne l’est déjà plus en droit, puisqu’à son emplacement, le Plan de secteur révisé via le Plan Communal Révisionnel cité plus haut, a inscrit sur toute la surface de l’îlot une zone d’activités économiques mixtes. Toujours à propos de droit, cet espace public communal a été cédé par emphytéose aux prédécesseurs de Besix Red. Une location de longue durée (entre 18 et 99 ans) pour un montant symbolique.
Il est souvent question de « lasagne » à propos des multiples contraintes juridiques et techniques qui compliquent la vie des investisseurs et des promoteurs immobiliers désireux d’intervenir sur des parcelles en centre ville. Ici, force est de constater que c’est l’investisseur lui-même qui a mis toute la sauce pour bétonner les contraintes. Et la Ville de Namur lui a apporté à chaque fois de belles pâtes bien fraîches. Avec l’emphytéose, le Plan Communal Révisionnel et, maintenant, le Périmètre de Remembrement Urbain, les autorités communales ont contribué à consolider les couches de droit qui rendent le projet incontournable, inattaquable. L’emphytéote est en effet un quasi-propriétaire du bien qui lui est donné à bail.
Voilà pourquoi le communiqué de presse conjoint de Ramur et du Collectif du Parc Léopold a tout à fait raison de dénoncer la perte d’espaces publics au profit d’intérêts financiers privés.
Le Parc Léopold doit être préservé en tant que parc communal. Il doit être enfin entretenu.
Cela fait des années que son mobilier tourne à rien. Il y a du parking sauvage en plein milieu des allées piétonnes, en toute impunité. Le mochissime pavillon du tourisme est vide depuis des mois et impose néanmoins son encombrement. Pourquoi ne pas démonter ce pauvre pavillon et réutiliser ses matériaux ailleurs ?
Cette balise concerne la végétation et les espaces verts en place et insiste sur les continuités entre espaces naturels. Elle n’y va pas par quatre chemins: il faut transformer les surfaces agricoles, les bois et les espaces verts urbains en vrais maillons d’une trame verte. Si l’on veut des villes et des villages neutres en carbone, il faut y laisser s’épanouir parcs, jardins et espaces verts à hauteur de 80% de la surface. Cela veut dire maintenir la végétation en place et la développer. Pas supprimer des parcs!
La solution est au bout de la rue : dans les quartiers déjà construits, déjà habités, encore un peu commerçants, il est grand temps de prendre soin des bâtiments existants et de les rénover. Dans les parcs publics existants, il est grand temps d’aider la biodiversité à se maintenir au lieu de bétonner tous les vides pour mettre des arbres en pots.
La formule » Reconstruire la ville sur la ville » retrouvera ainsi son sens premier :
• Rénovation, plutôt que démolition – construction
• Rénovation, plutôt que construction sur des parcelles non urbanisées
En savoir plus
- La décrépitude. Les centres commerciaux n’y échappent pas. Cela arrive aux meilleurs d’entre nous. Le blogueur Dan Bell se passionne depuis des années pour les « Dead Malls », les centres commerciaux abandonnés. Visite surréaliste dans sa vidéo de 2015 du Landmark Mall à Alexandria, Virginia, près de Washington, https://www.youtube.com/watch?v=UK-MrUb3eZw. Le complexe est alors encore ouvert, et une grande partie des magasins et des snacks ne sont plus en fonctionnement. Des cellules commerciales ont été murées ; pour sauvegarder les apparences, il y a toujours de la musique, des plantes, quelques enseignes, et une propreté irréprochable. Le centre commercial Landmark a été définitivement fermé deux ans plus tard, en 2017. Pour découvrir les archives de Dan Bell :
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- La ceinture verte autour de Londres (Green Belt) : envie de vous intéresser à un cas d’école d’Outre-Manche ? Raffinez votre anglais en regardant ce débat, « Express Debate » https://www.youtube.com/watch?v=sEIdO5A4rlQ sur la délicate question « doit-on construire sur la Green Belt around London? » Vous y verrez que, décidément, la mauvaise foi est loin d’être une spécialité belge… Pour une vision plus joyeuse et participative, voici les témoignages de volontaires qui plantent des arbres sur la Green Belt : « Woodland Restoration in the Green Belt », par Cities4Forests https://www.youtube.com/watch?v=l-zJu372DnU
- Une très bonne idée pour maintenir du lien, la Maison de l’Urbanisme du Brabant Wallon innove avec les « Mini Midis », une série de rendez-vous virtuels qui permettent de débattre de l’actualité de l’urbanisme. La MUBW vous fixe rendez-vous tous les 15 jours, le vendredi. Les Mini Midis consistent en des interviews d’acteurs clés de l’aménagement du territoire du Brabant wallon (bourgmestres, échevins, responsables des services urbanisme, architectes, urbanistes, promoteurs, citoyens engagés dans la vie associative, chercheurs, membres de CCATM, etc.) en format vidéo. Les Mini Midis sont diffusés en direct via les comptes Facebook et LinkedIn de la MUBW. Le public pourra dialoguer avec les oratrices et orateurs. Vous n’êtes pas suffisamment à l’aise avec les outils informatiques pour interagir pendant l’événement ? Envoyez vos réflexions et questions à l’avance par mail (m.urbanisme[at]ccbw.be).
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